Examen de deux projets de loi relatifs aux médailles militaires    Lancement d'un concours de recrutement d'agents de police    La locomotive de l'économie innovante    Lancement d'un «chatbot islamique» par la société Humain    Le projet italien de production de céréales et de légumineuses avance    L'Algérie appelle à mettre fin au colonialisme marocain au Sahara occidental    Des milliers de manifestants réclament des sanctions contre Israël pour les crimes commis à Gaza    Quand Donald Trump humilie Emmanuel Macron en le jetant sur le trottoir de New York    L'Algérie décroche 16 médailles, dont six en or    Mondial-2026 : légère séance d'entraînement des Verts en vue de leur prochain match    Ligue 1 Mobilis : Signature d'une convention de sponsoring entre l'ENSP et le MBR    La date limite de dépôt des offres techniques et financières a été prolongée jusqu'au 14 octobre.    Plus de 1500 appels reçus par la Sûreté de wilaya    Accidents de la route Douze morts et 455 blessés en 48 heures    Réouverture de la mosquée historique « Djamâa Safir » après sa restauration    Icône d'Hollywood et muse de Woody Allen    Du Conservatoire à la légende    Promulgation du statut de la magistrature avant fin 2025    Début catastrophique pour la billetterie de la CAN 2025    Algérie : le message fort de Djamel Belmadi aux supporters des Verts    L'Algérie convoque des talents évoluant en Europe pour la Coupe Arabe 2025    Festival international du Malouf: fusion musicale syrienne et russe à la 4e soirée    Adhésion de l'Algérie à l'AIPA en tant que membre observateur unique: le Parlement arabe félicite l'APN    Industrie pharmaceutique : nécessité de redoubler d'efforts pour intégrer l'innovation et la numérisation dans les systèmes de santé nationaux    Conseil de sécurité : début de la réunion de haut niveau sur la question palestinienne et la situation au Moyen-Orient    Examen de validation de niveau pour les diplômés des écoles coraniques et des Zaouïas mercredi et jeudi    APN : la Commission de la santé à l'écoute des préoccupations des associations et parents des "Enfants de la lune"    Réunion de haut niveau du Conseil de sécurité sur la question palestinienne et la situation au Moyen-Orient    Boudjemaa reçoit le SG de la HCCH et le président de l'UIHJ    Athlétisme / Mondial 2025 : "Je suis heureux de ma médaille d'argent et mon objectif demeure l'or aux JO 2028"    Ligne minière Est : Djellaoui souligne l'importance de la coordination entre les entreprises de réalisation    Mme Bendouda appelle les conteurs à contribuer à la transmission du patrimoine oral algérien aux générations montantes    CREA : clôture de l'initiative de distribution de fournitures scolaires aux familles nécessiteuses    Poursuite du suivi et de l'évaluation des programmes d'investissement public dans le secteur de la Jeunesse    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 65.382 martyrs et 166.985 blessés    La ministre de la Culture préside deux réunions consacrées à l'examen de l'état du cinéma algérien    Le Général d'Armée Chanegriha reçoit le Directeur du Service fédéral pour la coopération militaire et technique de la Fédération de Russie    Foot/ Coupe arabe Fifa 2025 (préparation) : Algérie- Palestine en amical les 9 et 13 octobre à Annaba    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Woody Allen, Cinéaste hors-catégorie : Névroses en rose
Arts et lettres : les autres articles
Publié dans El Watan le 23 - 06 - 2012

Des erreurs ? J'en ai faites dans ma vie. D'abord, je suis né. Première erreur !» Cette boutade, typique de Woody Allen, résume toute la complexité du personnage : ce rouquin à lunettes, intellectuel névrosé, limite écorché vif, et torturé depuis toujours par toutes sortes de questions existentielles auxquelles, du haut de ses 77 ans, il n'a toujours pas trouvé de réponses.
Juif new-yorkais, né dans le Brooklyn des années ‘30, il répond au nom d'Allen Stewart Königsberg. A la fois réalisateur, scénariste, comédien, dramaturge, et même humoriste – au début de sa carrière avec quelques stands-up qu'on appelait encore «monologues» –, il est aussi clarinettiste de jazz et se produit périodiquement en tournée.
Il est surtout connu pour être le cinéaste le plus prolifique de toute l'histoire du septième art. Il réussit le tour de force de réaliser un film par an, dont il est, qui plus est, le scénariste ! Chaque année, ses fans ont droit à un nouveau cru. Ses admirateurs, par millions dans le monde, sont assez différents. Il y a ceux qui l'aiment pour ses classiques, comme Annie Hall, Manhattan ou La Rose pourpre du Caire. D'autres, notamment parmi les nouvelles générations, le connaissent pour Match Point, Vichy Christina Barcelona, ou encore Midnight in Paris. Mais ses fans les plus acharnés l'admirent pour l'ensemble de ses films (bientôt une cinquantaine) ainsi que pour ses œuvres littéraires et théâtrales.
On aime Woody Allen parce qu'il a l'art de nous faire rire avec des sujets qui, de prime abord, ne se prêtent pas à l'humour. C'est tout l'art de se moquer de nous-mêmes, de notre condition d'humain, qui est mis en relief dans son œuvre. Le vide de l'existence, la vanité de l'homme, la religion, les femmes, toutes ces questions sont passées au crible dans la majeure partie de ses films, sans qu'à aucun moment il n'ait la prétention d'apporter une réponse. C'est du reste la raison pour laquelle ce cinéaste est à ce point aimé : tout philosophe qu'il est, il reste conscient de sa «relativité» et en fait même un point d'orgue. Il ne vient pas, auprès de son public, comme un porteur de lumière. En vérité, il ne fait que crier «au secours !».
Son seul regret dans la vie est de ne pas être quelqu'un d'autre. Il aurait tant aimé n'être qu'une personne superficielle, lambda, n'ayant cure des questions existentielles, et profitant de la vie autant que faire se peut. Au lieu de cela, il est cet éternel angoissé dont la névrose va à ce point qu'il s'est plu à dire : «Pendant longtemps, j'ai cru bon de me convaincre de l'existence de Dieu avant de me rendre compte qu'il fallait d'abord me convaincre de ma propre existence !». Ou encore : «Et si tout n'était qu'illusions ? Et si rien n'existait vraiment ? Dans ce cas-là, j'aurais payé ma moquette un peu trop cher !»
Dans ses préfaces aux deux livres de Woody Allen (Dieu, Shakespeare et Moi et Pour en finir une bonne fois pour toute avec la culture*), Michel Lebrun souligne : «Plus il gémit sa détresse, plus nous rions, sans toujours nous rendre compte que sa panique, c'est la nôtre, qu'il prend à son compte, assume pour notre vif soulagement. Si un jour il cessait de souffrir pour nous, quel drame !» Son angoisse du vide de l'existence et de l'humaine souffrance atteint un tel degré chez lui qu'il a fait sienne cette célèbre phrase de Sophocle à laquelle il fait référence dans deux films : «Le mieux aurait peut-être été de n'être jamais venu au monde !»
Le travail de Woody Allen de ces quarante dernières années est remarquable. Il a réussi à désacraliser l'angoisse humaine ; à parler de problèmes sérieux, profonds, inextricables, sans jamais ennuyer le spectateur. Tout compte fait, le cinéma n'est pour lui qu'une sorte d'outil pour véhiculer ses idées et transbahuter ses névroses à la postérité. Même si on ne trouve rien à redire à sa façon de filmer ou à son jeu d'acteur, tout aussi singulier, la caméra reste un «moyen» de mettre en exergue ses préoccupations et ses idées, même les plus débridées. Tous ses scénarii auraient pu faire l'objet de remarquables ouvrages littéraires.
Pareils à sa personnalité, les films de Woody Allen se scindent en plusieurs catégories. Les premières œuvres sont globalement dénuées de tout questionnement philosophique. Prends l'oseille et tire-toi ; Bananas ou encore Woody et les robots l'ont imposé comme l'un des cinéastes les plus drôles au monde. Dans Woody et les robots, il s'essaye même, dans quelques scènes, au cinéma muet. Toutefois, malgré leur côté «léger», ses films sont «très structurés et travaillés».
Arrive ensuite Guerre et amour. Même s'il s'agit d'une comédie, le cinéaste se plaît déjà à aborder des sujets qui lui sont chers : la mort et les rapports tumultueux entre les hommes et les femmes. Il pond, dans la même foulée, un film à sketchs, doté tout simplement du titre le plus long de l'histoire du cinéma : «Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander !». Le tournant de sa carrière arrive en 1977, avec Annie Hall, pour lequel il décroche 5 Oscars. Pour l'anecdote, il jouait de la clarinette dans un bar de Manhattan pendant qu'à Hollywood son film raflait toutes les récompenses. Ce n'est que le lendemain qu'il apprendra la nouvelle dans le journal.
A partir de ce film, la femme prend un rôle prépondérant dans ses films qui se mettent à traiter de sujets on ne peut plus sérieux mais, toujours, avec cette touche humoristique utilisant le vernis de la dérision pour masquer son angoisse abyssale. Au départ, Annie Hall devait se titrer Anhédoniste ! Ce terme, introuvable dans le dictionnaire, est une pure invention de Woody. Il signifie, grosso-modo : «un état mélancolique, psychologique, qui empêche sa victime de se permettre de goûter aux envies et aux joies de l'existence !» Autrement dit, le contraire de l'hédonisme. En dépit de répliques hilarantes, ce film est profondément mélancolique.
Woody Allen y dépeint, avec dextérité, un personnage complexe, parano, dont la vie se scinde en deux catégories, «l'horrible et le misérable», et, comme si ce n'était pas assez, passe comme un éclair. Il tombe éperdument amoureux d'Annie, superbement interprétée par Diane Keaton, avec laquelle il vit alors. Mais l'osmose finira par s'émietter. De leur passion torride ne survivra, au final, qu'une belle et tendre amitié. Ce «non-happy-end» est à l'image de l'idée de Woody Allen sur les rapports entre hommes et femmes : «En dépit de ce qu'on peut te raconter, l'amour ne triomphe pas de tout, et de toute façon, ne dure pas !»
Le merite de la chance
D'ailleurs, la majeure partie de ses films n'ont pas de happy-end, malgré son affirmation : «on s'efforce toujours d'atteindre la perfection dans l'art, c'est tellement difficile dans la vraie vie !» Vient ensuite Intérieur, considéré comme l'un de ses films les plus aboutis, mais aussi les plus bergmaniens… En effet, Woody Allen est un fan absolu du réalisateur Ingmar Bergman. C'est l'histoire de trois sœurs. La première, écrivaine, talentueuse, a bâti toute sa vie autour de l'art, mais est finalement arrivée à la conclusion que «l'art n'est pas salvateur» et que la notion d'immortalité par la postérité était dérisoire. «Qu'une œuvre soit lue ou visionnée après la mort de son auteur, est-ce censé lui apporter une forme de compensation ?», se tourmente-t-elle. La deuxième, débordante d'émotions, est dépourvue de tout talent. Ressentir les choses de façon intuitive, sans moyen de les projeter par un écrit, un film, une composition musicale ou une peinture, finira par créer chez elle une névrose.
Quant à la troisième, actrice dotée d'une «sensualité creuse», elle est le prototype des personnes dépourvues de profondeur d'esprit. Les trois filles seront tyrannisées par une mère psychotique, dévouée corps et âme à «l'esthétique» et à la propreté maladive, aux dépens de son entourage. Un film profond, qui surprend par la capacité de Woody Allen d'explorer les tréfonds de l'âme humaine. En 1978, il tourne Manhattan, autre grand chef-d'œuvre, avant tout un hommage à sa ville adorée, New York, et, précisément, à la presqu'île de Manhattan. Le film est tourné entièrement en noir et blanc pour la bonne raison que «New York est une ville qui empeste le noir et blanc !».
On y découvre des intellectuels stressés et compliqués, incapables de jouir des petits plaisirs de la vie et d'entretenir des relations avec le sexe opposé. Les années ‘80 sont marqués par la réalisation de grands opus : Zelig, Comédie érotique d'une nuit d'été, Stardust Memories, La Rose pourpre du Caire, Hannah et ses sœurs, September, Radio days ou encore Une autre femme. En 1989, avec Crime et délit, il met en exergue une théorie qui lui est chère : c'est la chance, et non l'effort ou le talent, qui détermine le destin d'un homme, une vie de couple ou une carrière et c'est elle qui régente notre vie, bien plus qu'on ne veut l'admettre. Il démontre aussi, en extrapolant un peu, l'inexistence d'une justice immanente. Pour peu qu'un homme ait de la chance, même ayant commis un crime, il pourra sereinement profiter de la vie, sans jamais être inquiété. Un grand film, destiné à mettre le spectateur mal à l'aise. Quelques décades plus tard, il poursuit sa théorie de la chance avec Match point, affirmant : «Peu de gens osent admettre combien leur vie dépend de la chance. Ça fait peur de savoir que tant de choses échappent à notre contrôle.»
Les années ‘90 sont également très productives. Si Woody Allen était comparé à un sirupeux, on dirait qu'il vieillit bien. De grands films comme Harry dans tous ses états, Coup de feu sur Brodway, Maudite Aphrodite, Maris et femmes, ou encore Tout le monde dit I love you, sont alors réalisés, à la grande joie du public à l'endroit duquel Woody Allen est doublement généreux. D'abord par sa qualité de cinéaste prolifique, mais aussi par le contenu de ses films aux références littéraires, musicales et cinématographiques abondantes. Gageons que beaucoup de personnes ont vu Casablanca et découvert les films d'Humphrey Bogart, seulement après avoir vu Tombe les filles et tais-toi.
Idem pour les films de Bop Hope et des Marx Borther auxquels Woody Allen fait des clins d'œil répétés. Au plan musical, le jazz et la musique classique bercent l'ensemble de son répertoire. Quant à la littérature, là encore, les références ne manquent pas. Dans une réplique de Maris et Femmes, il place cette belle parabole : «Tolstoï est un repas complet. Tourgueniev est un fabuleux dessert… quant à Dostoïevski, c'est un repas complet, mais avec vitamines et une portion supplémentaire de germes de blé». Les rôles féminins, du moins au début de sa carrière, ont été confiés aux comédiennes ayant partagé sa vie. Louise Lasser d'abord, qui a joué dans ses trois premières comédies ; Diane Keaton ensuite, avec laquelle il a tourné 7 longs-métrages, et enfin Mia Farrow, qui jouera dans une douzaine de ses films, de 1981 à 1992.
Par la suite, il choisira de jeunes actrices sexy, mais néanmoins talentueuses. Celle qui sort du lot est Scarlett Johansson qui a tourné dans trois de ses films. Le début des années 2000 est marqué par le retour à la bonne vieille comédie, dépourvue de tout questionnement existentiel : Escroc mais pas trop, Le Sortilège du scorpion de Jade ou encore Hollywood Engind, dans lequel il lance quelques piques au système du show-biz américain : «Hollywood est une entreprise où l'on fabrique 17 films pour une idée qui ne vaut même pas un court-métrage !» Ne se sentant pas en phase avec ce système dominé par l'argent, il décide «d'exiler» ses nouvelles œuvres et de tourner en Europe : à Londres (Match Point, Scoop, Cassandra's Dream, Vous allez rencontrer un bel et étrange inconnu), à Barcelone (Vicky Christina Barcelona) et à Paris (Midnight in Paris). Il poursuit son périple européen avec son dernier film, To Rome with love.
Avec des chefs-d'œuvre «à la pelle», Woody Allen a sans doute marqué l'histoire du cinéma. Lui qui se plaît à dire qu'il fait des films dans l'unique but de «s'occuper» et de ne pas penser «aux vrais problèmes», force est de constater qu'il s'est fait une place de choix dans le palmarès mondial des grands réalisateurs. Une chose est sûre, ce n'est sûrement pas son succès mirobolant qui lui montera, ne serait-ce qu'un tantinet, à la tête. Pour lui, seules deux choses comptent dans la vie d'un homme : le sexe et la mort… Même si, ajoute-t-il avec son humour exceptionnel : «avec la mort, on est rarement déçu !».

* Solar Editeur Paris, 1979


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.