Avec sa moustache bien taillée, son trench-coat ceinturé, son accent reconnaissable entre mille et sa gestuelle si expressive, Hadj Abderrahmène a marqué à jamais la mémoire des Algériens. Entre les années 1960 et 1980, il fut l'un des visages les plus aimés du grand et du petit écran. Sa popularité repose surtout sur son rôle mythique de l'inspecteur Tahar, qu'il formait en duo légendaire avec Yahia Ben Mabrouk, alias « l'Apprenti ». Ensemble, ils ont créé un univers à la fois comique et profondément ancré dans le quotidien algérien. Né le 12 octobre 1940 à Télemly (Alger), Hadj Abderrahmène Ben Mohamed grandit à El Harrach, dans une famille originaire de Taher, près de Jijel. Très jeune, il manifeste un vif intérêt pour le cinéma. En 1962, il rejoint la Radio et Télédiffusion Algérienne (RTA), où il commence comme technicien avant de devenir caméraman. C'est là que naît sa passion pour la scène. Sous la direction du comédien et metteur en scène Allel El Mouhib, il fait ses débuts au théâtre, jouant dans des pièces comme Monserrat d'Emmanuel Roblès ou Les fusils de la mère Carrar de Brecht. C'est au Théâtre national algérien (TNA) qu'il rencontre Yahia Ben Mabrouk, ancien membre de la troupe artistique du FLN. Leur complicité scénique séduit le réalisateur Mustapha Tizraoui, qui les réunit pour la première fois dans un sketch télévisé. Hadj Abderrahmène y incarne un policier naïf et bavard, l'Inspecteur Tahar, affublé d'un accent jijelien savoureux, face à son adjoint rusé et maladroit. Ce duo spontané devient rapidement culte. Entre 1967 et 1978, les deux acteurs tournent ensemble huit films. Le premier, L'inspecteur mène l'enquête, réalisé par Moussa Haddad, ouvre la voie à une série de comédies policières. Mais c'est La souris (1968), de Mohamed Ifticène, qui révèle véritablement le duo au grand public. Les aventures rocambolesques de Tahar et de son Apprenti, traquant un voleur de bijouteries surnommé « La souris », fascinent les téléspectateurs. Leur succès repose sur un équilibre parfait : un inspecteur autoritaire, parfois ridicule, mais attachant, et un assistant plus lucide, contraint de le suivre dans ses extravagances. Ce tandem comique renvoie, avec humour, à des rapports sociaux bien réels dans l'Algérie de l'époque. En 1972, Hadj Abderrahmène atteint la consécration avec Les vacances de l'inspecteur Tahar, un film de Moussa Haddad écrit et dialogué par lui-même. Ce long-métrage, véritable phénomène culturel, demeure l'un des plus grands succès du cinéma algérien. On y retrouve l'humour simple, l'observation fine des comportements et un rythme soutenu, sublimé par la musique d'Ahmed Malek. Les années suivantes voient naître d'autres productions, dont L'auberge du pendu (1971), Yadès et L'inspecteur Tahar marque le but (1977), où le duo explore de nouveaux registres, du polar au sport, tout en conservant ce ton populaire et ironique qui a fait leur renommée. Le public se reconnaissait dans leurs dialogues, souvent improvisés, et dans leurs aventures tirées du quotidien. En 1978, sort Les chats, réalisé par Abdelghani Mehdaoui, dernier film du duo. Hadj Abderrahmène en signe le scénario, abordant des thèmes audacieux pour l'époque : chômage, insécurité, corruption et désillusion sociale. Malheureusement, le 4 octobre 1981, Hadj Abderrahmène meurt subitement à Paris à l'âge de 41 ans, laissant un vide immense dans le monde artistique. Son décès met un terme brutal à une carrière exceptionnelle. Quarante ans après sa disparition, Hadj Abderrahmène reste l'une des figures les plus aimées du patrimoine cinématographique algérien — un acteur dont le rire et la tendresse continuent de rassembler toutes les générations.