2 049 106. C'est le nombre de logements qui, selon les statistiques du ministère de l'Habitat, ont été lancés pour la seule période de 2004 à 2011, tous segments confondus. Au vu de ces chiffres, des innombrables chantiers en Algérie et des projets de construction en cours ou à lancer, le secteur de l'habitat se porte comme un charme. Du moins en apparence. Entre les retards enregistrés, la conception des projets et les nombreuses irrégularités dans la distribution, la satisfaction en termes de réception est en deçà des prévisions. Ainsi, pour la même période, 1 448 807 des logements inscrits ont été livrés, toujours selon les données du ministère. D'ailleurs, d'après les bilans dressés à la fin 2012, le programme quinquennal n'a été réalisé qu'à près de 55%. Les autorités, qui n'ont de cesse d'affirmer leur volonté de solutionner définitivement cet épineux problème, ont conscience de l'importance névralgique que représente la «sécurité du logement», annonçant la construction de millions de logements, à coups de milliards de dinars. Ce qui n'a cependant pas pu résorber une crise du logement, jugée «artificielle» par certains, mais assurément devenue structurelle. Il semblerait même qu'au lieu de calmer un front social en ébullition, ces innombrables promesses d'un «logement pour chaque Algérien» exacerbent davantage les attentes populaires et les désillusions. Preuves en sont les récurrentes émeutes qui éclatent un peu partout dans le pays, à chaque distribution de logements sociaux par exemple. Et si, pour Abdelmadjid Tebboune, ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, des dispositions ont été prises afin d'éviter de tels scénarios (lire interview), reste que le scepticisme est de mise chez les citoyens. «Le problème est que l'on voit partout des chantiers, que l'on entend tous les jours que des logements sont en construction, mais qu'au bout du compte, il est toujours extrêmement difficile, voire impossible, d'avoir un logement à soi», s'étonne un père de famille. «Est-ce que l'Etat ne fait rien ou bien est-ce qu'il le fait mal ?», s'interroge-t-il. Quelques experts penchent pour cette deuxième explication.Pour l'architecte Abdelhamid Boudaoud, président du Conseil national des experts-architectes (CNEA), il n'y a simplement pas eu de politique du logement «sérieuse». De l'urgence de l'élaboration d'une carte nationale du logement «A l'indépendance, le pays comptait 1 900 000 logements, ce qui peut expliquer que les dirigeants de l'époque n'aient sans doute pas considéré le logement comme prioritaire, contrairement à, par exemple, le secteur de l'éducation», estime M. Boudaoud. «Une trentaine de ministres se sont succédé à l'Habitat depuis 1977. Dès lors, comment parler de stratégie de l'habitat avec une telle instabilité ?», souligne-t-il. D'autant plus que lorsque les autorités prennent conscience de la forte montée de la demande en la matière, elles se lancent dans une logique quantitative, et ce, au détriment du qualitatif. Là où le bât blesse est peut-être que des formules globalement jugées «intéressantes» ont été mises en place, mais l'exécution n'a pas été à la hauteur. Le logement social est, par exemple, une solution salutaire pour des milliers de familles à faibles revenus. Mais les accusations d'opacité dans la distribution ainsi que les déséquilibres entre offres et demandes ont tout faussé. De même, la conception et l'intégration de ces cités ont fait défaut, provoquant une sorte de «ghettoïsation». L'autre problème, que soulèvent les experts, est la localisation des différents sites d'implantation de ces projets, et tout particulièrement pour les logements AADL, qui ont été concentrés dans les grandes villes du nord du pays. «Il en résulte une pénurie de terrain pouvant abriter ces projets ainsi qu'un déséquilibre régional», déplore M. Boudaoud. La solution est pourtant «simple». «Il est urgent et nécessaire de se doter d'une carte minutieusement élaborée, et sur la base de laquelle l'on saura définir et évaluer l'offre et la demande en matière d'habitat sur l'ensemble du territoire national», répond-il, et ce, pour ne pas accentuer davantage les déséquilibres entre les villes et les zones rurales, qui favorisent depuis des décennies l'urbanisme «sauvage» mais aussi et surtout les tensions sur le logement.