Cheikh Sidi Bémol est un troubadour algérien des temps modernes, arborant un air de bohème, un catogan de travers, une guitare en bandoulière et une voix « rurbaine ». Un artiste iconoclaste du gourbi-rock ! Vous vous produisez à Alger, chaque année, histoire de garder le contact avec le « bled »... Oui ! Un concert, ici, à Alger vaut cent mille concerts en France. (rires) Je suis établi en France, mais mon public est ici, en Algérie. C'est sûr, ce sont des retrouvailles ! Cheikh Sidi Bémol, vous êtes un chanteur algérien inclassable. On n'arrive pas à vous situer, vous qualifier... Ce que je fais, franchement, c'est d'une manière naturelle. Ce n'est pas une recette que j'applique. Ce n'est pas calculé... Oui. Ce n'est pas une combinaison d'instruments. Je n'ai jamais appris la musique. Un autodidacte... Voilà ! J'ai appris la musique tout seul. Je prends une guitare et je joue par instinct. J'aime beaucoup le blues, le rock, la guitare électrique, la batterie... Et depuis ma prime enfance, j'adorais la musique traditionnelle algérienne. J'écoutais énormément cheikh Hamada. Franchement, il m'impressionnait autant que les Rolling Stones, Led Zepplin. D'ailleurs, pour moi, c'était un peu pareil. Et je me disais, si le guitariste des Stones (Kieth Richards) jouait avec cheikh Hamada, ce serait génial ! Ils se seraient entendus tout de suite. Imaginez le riff de guitare avec le son du guellal (percussion). Vous êtes roots (racines) avec ce phrasé de goual (conteur) de la poésie populaire chantée... Vous savez, il y a beaucoup de journalistes en France et en Europe qui viennent me voir en me disant que j'ai modernisé telle musique traditionnelle algérienne. Ce n'est pas vrai ! Au contraire ! Cette musique des chioukh, c'est elle qui est moderne. Peut-être, si vous l'écoutez dans mille ans, elle sera toujours aussi fraîche et actuelle. Parce que c'est une musique que vous pouvez arranger, vraiment, de manière exponentielle. Dans toutes les régions d'Algérie, il y a une immense richesse musicale et qu'on commence à peine à découvrir. On parlera encore de la musique algérienne dans le monde à l'image du gnawi marocain. Parce que l'Algérie est un pays qui a plus de diversité musicale que le Maroc, par exemple. Vous revendiquez la « machiakh » (droit d'aînesse)... Je me sens proche de ce précieux legs des chioukh. C'est peut-être un peu prétentieux (rires), mais je me sens dans leur trip (voyage). Et je me dis qu'en jouant cette musique, je fais découvrir aux jeunes celle des chioukh. Et c'est une façon de dire que ces anciens sont toujours modernes et actuels. Quand on écoute Slimane Azem, c'est d'une actualité extraordinaire ! Pour moi, c'est de la musique traditionnelle du futur, quoi ! Un cheikh mettant un bémol dans la musique ambiante... Le bémol, c'est pour dire qu'il ne faut pas se prendre trop au sérieux. D'ailleurs, moi-même, je ne me prends pas au sérieux. Justement, Cheikh Sidi Bémol entretient un humour dans sa façon d'interpréter les textes... Des fois, les textes retracent des histoires un peu graves. Cependant, avec une pointe d'humour. Les Algériens, face à n'importe quel problème, avec l'humour, ils trouvent toujours le moyen de dédramatiser. J'aime bien les gens qui ont le sens de l'humour. Comme les textes d'El Bandi et de celui du milieu carcéral... Je pense que c'est très important. Je pense qu'à travers le mode de vie en milieu carcéral et comment sont traités les détenus, on peut deviner comment est traité le reste de la société aussi. C'est révélateur, quoi ! El Bandi, c'est une chanson contre la peine de mort ! Votre répertoire est ouvert sur la musique universelle, celte... Par exemple, entre la musique kabyle et celte, il y a beaucoup de similitudes, correspondances en matière de son, les instruments, les thèmes et autres mélodies. Pour vous dire, quand on a interprété un titre de musique kabyle en Bretagne, les spectateurs nous ont dit que c'était une chanson bretonne. On leur a répondu que nenni ! (rires). On leur a expliqué que c'est typiquement kabyle. Cheikh, vous êtes agitprop... de talents au sein de Louzine... Oui, justement, on a créé cette association Louzine. On a monté des studios d'enregistrement et de répétitions. C'est vrai, c'est pour un peu aider les jeunes groupes algériens qui sont en France. Faire de la musique en France ou en Algérie, c'est difficile. Les répétitions coûtent très cher ! Si un chanteur ou un groupe, ici en Algérie, vous sollicite... Oui, avec plaisir. Ici, à Alger, il y a un groupe que j'aimais bien. C'était Index. J'aurais bien aimé qu'on fasse quelque chose ensemble. Je trouve que ce groupe a fait du bon travail. J'espère que cela se fera un jour. Vous avez plusieurs cordes à votre... violon d'Ingres. Ancien biologiste, dessinateur, grapheur, parolier, compositeur, instrumentiste... Comment arrivez-vous à gérer toutes ces casquettes ? C'est vraiment des passions ! Par exemple, le dessin, c'est quelque chose que j'ai toujours fait en esquissant des portraits de personnages depuis que j'étais enfant, à l'école, quand le cours ne m'intéressait guère. Au même titre que la musique, je n'ai jamais pensé en faire mon métier. D'ailleurs, je n'ai jamais suivi de formation ni dans le dessin ni dans la musique. Finalement, je ne regrette pas la biologie. Je lui préfère la musique et le dessin. Vous préparez un nouvel album... Là, je suis en train de l'enregistrer en studio. Je vais bientôt le terminer. Et cette fois, ce sera un album qui va sonner avec de la batterie, basse et guitare électrique. Les three pieces (trois pièces) du rock... Oui, absolument ! Dans le style B'net Louxe, Bouzenzel... D'ailleurs, l'album va s'intituler Gourbi-rock. Justement, on a « affublé » votre style de gourbi-rock. Qui a eu cette trouvaille ? C'est Azziz Smati qui trouvé cela pour définir ma musique. Il a dit que c'était du gourbi-rock. C'est joli comme définition. Cela a un sens. Un gourbi, une habitation de fortune. Mais c'est une maison quand même (rires). Vous n'avez jamais songé à couper votre catogan ? Je porte le catogan depuis environ vingt ans. J'ai horreur des coiffeurs. Vous m'avez dit de vous surnommiez votre femme « Lala dièse »... Un beau couple mélomane... (Rires) Cela équilibre mon bémol. Comme je suis très zen, calme, et elle, c'est plus haut dans la gamme (rires). Elle pousse un peu.