L'avènement d'internet, sa démocratisation et ses rapports avec l'art est en substance le contenu de l'intervention, au Crasc, à Oran, de Jean-Paul Fourmentraux, maître de conférences à l'université de Lille. Le sociologue, invité de l'Institut français, est également intervenu à l'Ecole des beaux-arts d'Oran pour une communication centrée sur la pratique elle-même. Au Crasc, devant un public de chercheurs en sciences humaines, il part du principe que «les artistes ne prennent pas pour argent comptant ce que leur propose la politique, la publicité etc., mais aussi la technologie et se donnent toujours le temps de réfléchir et de développer des démarches alternatives». Auteur, déjà, d'un ouvrage Art et Internet, paru en 2005, puis réédité récemment, Il analyse donc le travail et les comportements de ces artistes, usagers pionniers d'internet au moment où ce média commence à se démocratiser dans les années 1995/1996. Il relève l'émergence et la production d'œuvres classées Net-art, et s'intéresse à la manière dont elles s'exposent et s'insèrent dans le monde de l'art en général. Par Net-art, il entend surtout ce qui est conçu par, pour et avec internet, car dans la Toile on retrouve aussi des œuvres anciennes de la manière qu'on pourrait les retrouver dans un livre ou une revue. Ici, il constate que l'art adopte une vision moins hiérarchisée avec la prise en considération des collaborations et des contributions d'autres acteurs : ingénieurs informaticiens, développeurs de programmes, performances des machines, etc. Son étude tient compte des «pirates» ou «hackers» et s'intéresse à leurs opérations anonymes, aux environnements parallèles et alternatifs, qu'ils créent face aux institutions classiques : musées, galeries, etc., mais aussi face aux outils techniques qu'ils mettent parfois à mal. Il montre comment des artistes, activistes-designers, infiltrent les espaces intimes, créent des bugs, des erreurs et développent des spams pour aboutir à l'idée d'une territorialisation de cet espace virtuel devenu parfois un véritable champ de bataille, où s'affrontent les puissants et les partisans de la liberté et des usages démocratiques et gratuits des outils techniques. Le groupe d'artistes européen «Etoy», dont le site éponyme a été menacé de fermeture par une multinationale suisse de jouets «Etoy», a dû livrer une véritable guerre (wartoy) sur le Net pour recouvrer ses droits en infligeant une perte conséquente au groupe suisse, en utilisant les ressources offertes par ce média. En plus du Chaos computer club (CCC), collectif de hackers influents en Europe qui interviennent sur l'espace public, Il donne également l'exemple du groupe Yes Men, collectif activiste et artistique qui, en multipliant les canulars, tentent de dénoncer le libéralisme et ses effets pervers sur la société. On leur doit l'édition et la distribution gratuite, à 100 000 exemplaires, d'une fausse édition du New York Times où sont publiées uniquement les bonnes nouvelles dont par exemple, à l'époque (novembre 2008), la fin de la guerre en Irak. Les activistes du Net-art peuvent même, par ailleurs, s'attaquer aux logiciels de conception artistiques, tels photoshop en considérant que les fonctions prêt-à-porter limitent les possibilités de création des artistes. Ce type de logiciels apporte des nouveautés mais reste verrouillé, ce qui est perçu comme une sorte de dictat comme le sera le moteur de recherche Google utilisé et piraté par l'artiste informaticien Christophe Bruno. Dans ses œuvres, celui-ci critique la logique marchande d'internet. Certains artistes font entrer l'idée de l'interactivité dans l'art avec, notamment, Martin le Chevallier et ses vidéos interactives par simple clic ou Samuel Bianchini (Tous ensemble), un autre exemple de collaboration entre art et technologie, mais aussi une tentative de rendre les médias participatifs. Parmi les figures du Net-art, Jean-Paul Fourmentraux cite le collectif Jodi et Mark Napier qui a élaboré Shredder 1.0, dont la fonction consiste à craquer les codes de sites Web pour créer des compositions abstraites originales. Interactives, génératives ou participatives, les œuvres du Net-art se distinguent par une nature immatérielle mais aussi par une certaine ubiquité avec un accès simultané illimité. L'universitaire français tient compte de l'avènement d'un deuxième âge du Web, à partir de 2005, plus dynamique par opposition au premier jugé statique et où les possibilités de l'interactivité sont limitées. Le chercheur tient compte des stratégies économiques liées au développement de ce média et relève leur nature ambivalente : en même temps émancipatrices et contraignantes. D'où l'idée d'une inscription dans l'histoire de l'art, comme le fut la rupture des années 1950 avec l'avènement de l'art nouveau