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« Vacances » au pays de Djenia
A MARHOUM, AU VILLAGE DE LA DIABLESSE DU RAÏ
Publié dans El Watan le 01 - 09 - 2004

En entamant le dernier tronçon de route reliant Bir H'mam à Marhoum, le chauffeur du véhicule qui nous conduisait chez les Khlaïfas la plus importante tribu de Marhoum ne pouvait cacher son effarement : « C'est incroyable ! On dirait un nuage mouvant. » Assailli par des nuées de criquets ailés qui venaient allégrement s'écraser sur le pare-brise du véhicule, notre chauffeur s'est vu obligé d'accomplir moult acrobaties pour rester sur le chemin.
On venait de quitter, depuis trois heures, notre cocon urbain pour se lancer dans l'immensité « désertique » du sud de Sidi Bel Abbès où le criquet règne en maître. L'invasion est telle que la route dégarnie par endroits est drapée de criquets écrabouillés constituant un long tapis jaune d'insectes agonisants. Trois heures de route éreintantes et périlleuses à bord d'une vieille Daewoo dépourvue de climatisation, contrairement à ce qu'on avait espéré. Se lancer à la découverte de ces hommes semi-nomades qui jadis marchaient sur la « mer d'alfa », aujourd'hui décimée par la sécheresse, le défrichement et le surpâturage, semblait donner quelques doutes à mes accompagnateurs, sourcillant à l'idée de traverser de larges étendues steppiques qui, il n'y a pas si longtemps, étaient infestées des hordes terroristes. Une fugace appréhension mêlée à un sentiment de crainte qui, a bien réfléchir, nous donna sérieusement envie de braver la chaleur exténuante d'un été capricieux, livrant tantôt un air doux et trompeur, tantôt un souffle venu tout droit de l'enfer. Non loin de Marhoum s'érigent les localités de Taffessour, Taourira, Taoudmoundt, Tagouraya... une toponymie à consonance berbère « qui perpétue à jamais l'impérissable souvenir d'une ancienne cartographie éclatée », retraçait il y a quelques années un confrère, pour qui chaque déplacement vers l'immensité steppique du tell oranien prend l'allure d'une véritable expédition ethnohistorique. En cette journée de mi-juillet, le chergui et le guebli se croisent aux limites d'El Kheïter soulevant un nuage de particules, taquinant sans relâche nos narines et rendant notre séjour des plus désagréables. « Une randonnée pour tuer le temps », s'empresse de dire notre accompagnateur à la vue d'adolescents, l'air hagard, traînant les pieds le long de la piste qui va de Marhoum au château d'eau, planté à un jet de pierres. Marhoum se découvre à nos yeux sous son visage habituel : poussiéreuse avec ses routes défoncées et son architecture approximative, elle épouse un calme ennuyeux. Tout autour des jeunes de cette localité, tarabustés par une chaleur embrasée, une seule impression se libère : la désolation. « On fuit Marhoum pour aller s'installer sous d'autres cieux plus cléments, quitte à renoncer à tout ce qu'on a de plus précieux. C'est l'instinct de survie qui prime dans un tel contexte », résume un employé de la daïra. Pour le reste, c'est qu'on doit sûrement s'impatienter d'aller en vacances, nous vient-il à l'esprit. Après quelques brefs échanges avec les habitants de cette localité, on se ravise rapidement car, à l'évidence, « se permettre des vacances quand on réside à Marhoum relève sûrement de l'indécence ». Un vrai luxe auquel ne peut accéder qu'une poignée de nantis. « Et encore ! Vous arrivez à supporter à longueur de journée toute cette chaleur ? Ça ne vous dit pas une virée au bord de la mer ? », interroge notre accompagnateur, un jeune chômeur visiblement désappointé. Après un long silence, celui-ci surpris et apparemment gêné fait mine de ne rien comprendre ou plutôt de ne pas vouloir répondre tant cette question lui semble étrange. « C'est le néant par ici. Pour une trempette dans la grande bleue il faut consentir une fortune alors que, comme vous le voyez, tout le monde ici est condamné à vivre un chômage forcé. Heureusement que l'invasion du criquet qui fait rage ces jours- ci occupe un peu les badauds », lâche, en guise de réponse, son cousin assis à ses côtés, à même le sol. Hormis ce passe-temps occasionnel (la chasse aux criquets), on peut dire que c'est à une mort lente qu'est livrée toute une génération aux rêves enfouis et à l'existence morose. A peine 20 ans, Mahmoud dont la curiosité n'a pas de limites s'accommode aisément de la présence de ces insectes voraces sur le territoire à l'antique « yagoubia ». Il joint l'utile à l'agréable : harponner des criquets est depuis peu rémunéré par les pouvoirs publics.
Misère et désespoir
A Marhoum, une bourgade du fond du pays qui fut le théâtre de plusieurs actes terroristes, le temps s'est arrêté brutalement depuis une éternité pour céder la place à un vide ahurissant. La « mer d'alfa » s'est retirée pour laisser place à un paysage lunaire. « Y a ni loi, ni Etat, ni même un semblant d'autorité. Ici, c'est les chefs de tribu du moins ce qui en reste qui dictent notre conduite », ose protester un jeune diplômé au chômage, avant qu'il soit rattrapé par ses aînés. Le poids des contraintes tribales dans cette contrée éloignée interdit bien des « excès ». On l'aura compris. On oublie l'inconfort, la promiscuité et la canicule qui s'immisce sous la porte en zinc des Mebarki, qui nous accueillent dans leur demeure après un petit tour dans les « rues » abandonnées de Marhoum. Un modeste deux-pièces cuisine attenant à une école construite en préfabriqué et que seul l'hospitalité de ses occupants remplit. « Ici, pas moyen de se cuirasser contre la chaleur, et vous ne risquez pas, de sitôt, de tomber sur une maison climatisée, manque de moyens et délestage systématique obligent », explique-t-il. « L'hospitalité des gens de Marhoum est légendaire, tout autant que ses problèmes sur lesquels l'on ne finira jamais de deviser. » Depuis belle lurette, une chape de plomb s'est abattue sur la localité de Sidi Khelifa El Marhoum, indicible et sournoise.
« La mafia de la steppe »
On raconte dans une histoire célèbre chez les habitants de cette enclave éloignée du sud de la wilaya que le saint patron du village, Sidi Khelifa El Marhoum, s'est fait guérir d'une maladie incurable en se désaltérant de la source de chott Chergui. On laisse entendre, également, que les autorités ont misé sur le volet économique pour tenter de tirer un trait sur les années rouges tout en implorant la « baraka » du saint Marhoum. Force est de constater que tout ce qui a été entrepris « sur le terrain » et dans les discours ne fut que de la poudre aux yeux, s'accorde-t-on à dire. Originaire de Ras El Ma, on parle trop de ce sénateur entrepreneur à qui tous les marchés sourient comme par miracle. Mais ici, on ne s'épanche guère sur les raisons profondes qui font qu'on est du jour au lendemain un nabab « adulé » de la steppe, alors que d'autres, trop nombreux, peinent à manger à leur faim. A pied, avec chèvres, poules et mode de vie rural, les nomades ont décidément changé de vocation. Le chômage atteint ici un seuil alarmant. La misère crève les yeux. Des baraques de fortune, érigées à l'aide de tôles ondulées et de parpaings, laissent s'échapper une odeur de détresse. Marhoum, la mystique, continue à faire peur. « Il faut parcourir une soixantaine de kilomètres soit vers El Kheïter ou vers Ras El Ma pour une boîte de paracétamol, vous vous rendez compte ! », lâche, non sans amertume, un vieillard bruni par le soleil accablant d'une steppe qui ne semble faire aucune concession à ces gens. « Veuillez transmettre ce message à ceux qui nous gouvernent : au lieu d'injecter de l'argent pour qu'il soit dilapidé par les gros bonnets de la contrebande et de la maffia de la steppe dans de soi-disant projets de développement, qu'ils construisent plutôt une prison à Marhoum et qu'ils nous enferment tous, car là au moins on pourra manger gratis ! » La messe est dite. Ici un seul espoir, un seul sujet de discussion semble animer les longues et harassantes discussions auxquelles se livrent les Khlaïfas, de jour comme de nuit. Un investisseur veut lancer un projet de mise en bouteille de l'eau de chott Chergui, se met-on à espérer. Une eau légère et largement appréciée pour ses vertus curatives. A côté des dizaines d'échos positifs et d'élans d'espoir qu'a éveillés cette perspective, la réaction d'un petit enfant paraît tout à fait innocente. « On nous construira alors une piscine, n'est-ce pas père ? » Un rêve d'enfant. Bien légitime. Car contrairement à Zegla, localité plus au nord, qui verra dans quelques jours l'achèvement des travaux d'un complexe omnisports, la cité des Khlaïfas broie du noir. Plusieurs projets sont à l'arrêt pendant que d'autres croupissent au fond des tiroirs sans qu'on sache réellement à qui incombe la responsabilité. Au wali ? Au chef de daïra ? Aux élus ? Ou bien est-ce simplement un mauvais sort qu'on a jeté aux habitants de cette région ? Mystère.
Djenia, la prêtresse des plaisirs interdits
Mais Marhoum, c'est aussi cheikha Djenia El Haqania bint El Yagoubia et non pas Saïda. Le plaisir de la musique, de la gasba et du merjou. Un raï trab pur « mahna » et « zaâf ». Née Fatma Mebarki, elle signe son premier enregistrement en 1970. A bien l'écouter, elle prédisait pourtant dans ces chansons : « Les temps ont changé/Mes amis que Dieu nous protège/L'épine est là/Et indique danger » Prêtresse des plaisirs interdits, ses paroles aiment les étreintes brûlantes, les fugues irrésistibles et prouvent, si besoin est, l'étendue du désespoir dans une région meurtrie mais aussi tout le génie d'une enfant de Marhoum. Sur sa lancée, cheikha El Wahdania et cheikh Tahar, tous deux originaires du même patelin, continuent à semer les paroles d'un raï démonté, loin d'un enfer qui a pour nom Marhoum. Des cheikhs et cheikhate qui perpétuent la tradition, enflammant les douces soirées de la corniche oranaise et brassant dans une même ferveur envolées éthyliques et paroles venues des immensités steppiques du désespoir. De la guinguette à Marhoum, c'est pratiquement le paradoxe d'un été algérien !


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