-Vous vous êtes éloigné du milieu du théâtre pendant une certaine période. Et là, vous revenez avec ce livre coécrit avec Makhlouf Boukrouh. Et ce retour se fait avec Mustapha Kateb, l'homme qui est aussi célèbre qu'inconnu dans son pays ! Ce recul m'a permis de voir des choses qui n'étaient pas apparentes à mes yeux, auparavant. J'ai constaté que la critique théâtrale a tendance à mépriser, voire à renier, la créativité scénique. Le langage dominant est plus proche du commerce que de la culture. J'ai senti, quelque part, la nécessité de rendre hommage à des symboles de l'art et de la culture algériens. Je peux même parler de dette envers ces artistes dont nous connaissons la production. Nous avons été formés, dans les années 1970, grâce à tous ces travaux artistiques. Mustapha Kateb fait partie des artistes précurseurs. Avec Mahieddine Bachtarzi, ils ont été les deux locomotives du théâtre algérien. Bachtarzi, depuis le début et jusqu'aux années 1940, et Kateb, des années 1940 jusqu'à son décès, en 1989. Ecarté du Théâtre national, Mustapha Kateb a occupé le poste d'animateur culturel au ministère de l'Enseignement supérieur. Même durant cette période, il poursuivait son travail en faveur du théâtre. Il assurait des cycles de formation pour les universitaires. Certains enseignants reconnaissent aujourd'hui la valeur de cette action de formation. Mustapha Kateb est un contemporain essentiel en Algérie. Il était dramaturge, critique, journaliste, comédien, metteur en scène…Il était leader de l'action théâtrale dans le pays, à travers son engagement dans le travail de la troupe du FLN dans les années 1950 et dans la création du Théâtre national algérien. Tenter de le faire oublier ou de marginaliser son travail est un acte négatif et immoral. D'où notre initiative de préparer ce livre qui n'est pas un ouvrage biographique sur Mustapha Kateb. Nous avons, Makhlouf Boukrouh et moi-même, tenté de présenter ce dramaturge à travers ses écrits sur le théâtre algérien, sur la mise en scène, sur les problèmes traités sur les planches, sur la formation, les conditions esthétiques. Mustapha Kateb a écrit sur le quatrième art algérien avant et après l'indépendance du pays. Des écrits qui dénotent une immense culture théâtrale et qui dévoilent également les grandes références artistiques de l'auteur. Ces textes complètent ceux qu'ont laissés Bachtarzi et Rouiched dans leurs mémoires. Chacun d'eux a contribué à l'écriture de l'histoire du théâtre algérien. Ce livre explore la vision qu'avait Mustapha Kateb sur les planches. Nous en avons besoin pour mieux connaître l'évolution du quatrième art en Algérie. Les jeunes trouveront dans ce livre des détails intéressants sur le théâtre algérien dont l'histoire est déjà riche. -Pourquoi Mustapha Kateb a-t-il été quelque peu marginalisé des années durant après l'indépendance de l'Algérie ? J'ai envie de poser la même question. Peu de personnes évoquent l'œuvre de Mustapha Kateb. Rares sont les livres qui lui ont été consacrés. Pourtant, son parcours artistique et créatif est une partie intégrante de celui du théâtre algérien. Que ceux qui ont des choses à reprocher à l'action de Mustapha Kateb ou qui ont des critiques à exprimer le fassent. Nous voulons bien lire ces critiques. -Existe-t-il une raison politique à cela ? Il y a un silence. Nous ne disons rien sur les travaux de Kateb Yacine, de Mustapha Kateb, d'Abou Laïd Doudou. Rien n'a été écrit sur ce dernier, un écrivain et traducteur de dimension mondiale. Aucune conférence ne lui a été consacrée ou dédiée. Malgré tout l'argent dont elle dispose, l'Algérie est incapable d'organiser un débat ou un colloque sur cette personnalité culturelle de haut niveau. A Alger, l'ambassade d'Autriche a pris l'initiative d'organiser une rencontre sur Abou Laïd Doudou (cet universitaire a enseigné la langue arabe en Autriche, où il a publié des livres sur la littérature algérienne en langue allemande, ndlr). En Algérie, nous avons un problème avec le talent, la vocation et la pensée. Nous aimons plus le vide que la construction ! Des pans entiers de notre histoire culturelle sont mis de côté, ignorés. Il faut se poser des questions… -Vous relevez dans le livre que beaucoup d'écrits de Mustapha Kateb ont disparu. Comment et pourquoi ? En faisant mes recherches, j'ai trouvé que Mustapha Kateb a publié plusieurs textes dans des revues qui ont disparu des archives des bibliothèques en Algérie. D'autres écrits sont conservés dans des bibliothèques à l'étranger, notamment au Maroc et en France. Il faut peut-être les récupérer, même en copies. Il est important de continuer les recherches dans les différentes revues et périodiques où Mustapha Kateb publiait ses réflexions sur le théâtre. Je m'interroge, moi aussi, sur la disparition de certains écrits, qui étaient pourtant inscrits aux Archives en Algérie. Il ne s'agit pas de textes compromettants sur le passé politique de certaines personnes, mais d'idées sur la culture et le mouvement théâtral. Donc, pourquoi les avoir fait disparaître ? Le professeur Makhlouf Boukrouh était un ami de Mustapha Kateb. Il a travaillé avec lui lorsqu'il était responsable au ministère de l'Enseignement supérieur. Il a donc conservé quelques textes. Nous avons trouvé des écrits non publiés de Mustapha Kateb, que nous avons repris et mis en ordre. On peut y puiser de belles idées sur le théâtre. Mustapha Kateb ne s'est jamais arrêté de travailler même durant les derniers jours de sa vie. C'est un homme qui a beaucoup donné à la culture algérienne.