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«Al adhân, un exercice principalement rituel»
SALIM DADA. MUSICIEN, COMPOSITEUR ET MUSICOLOGUE
Publié dans El Watan le 04 - 01 - 2014

L'appel à la prière du muezzin renferme une dimension historique, sociale et culturelle insoupçonnée...
- Sur le plan musicologique, a-t-on idée de l'adhân original ?

Non, pas plus que des hypothèses. La première exécution d'un adhân remonte à l'an 632, elle a été donnée par Bilâl Bnu-Rabâh à Médine. Bilâl était d'origine éthiopienne de par de sa mère, mais de culture arabe de par son vécu comme esclave à la Mecque. On sait qu'il avait des capacités vocales remarquables puisque le Prophète lui-même l'avait désigné plutôt que ceux qui lui ont révélé concurremment comment ils avaient rêvé la façon et les paroles de l'appel à la prière, non encore établis en cette première année de l'Hégire, à savoir Abdullah Bnou-Zayd et Omar Bnou-l-Khattab. Dans cette histoire, relatée à quelques variantes près, par différents témoins du choix de l'appel à la prière et du adhân, le Prophète ne va pas seulement désigner Bilâl comme premier muezzin en Islam, mais il va donner l'argument de son choix : «Innahu (en parlant de Bilâl) andâ sawtan mink» (Ibnu-Majah n° 706), ce qui nous laisser penser qu'il avait une voix, non seulement belle et juste, mais également puissante et largement diffuse. Là, on est face à une réflexion très intéressante, celle de la part de la musique et de l'esthétique dans l'Islam, étant donné que le choix de Bilâl a été notamment établi sur un argument acoustico-vocal.
Il se trouve que certaines sources relatent une expérience musicale de Bilâl dans sa vie qoreichite d'avant l'Islam. Quel type de voix avait-il ? Quels modes utilisait-il ? Est-ce du pentatonisme africain hérité de la culture de sa mère éthiopienne ? Est-ce des vocalises dans le style du huda' des chameliers arabes ? Ou avait-il écouté les chanteurs privilégiés de Qoreich qui souvent se concurrençaient dans l'imitation du style persan, très à la mode à l'époque ? Un tas de questions à creuser, qui pourront nous conduire hypothétiquement à l'esthétique du premier adhân. Une pratique qui serait, à mon avis, très différente de celle de l'appel à la prière d'aujourd'hui, même à la Mecque ou à Médine, et ce, pour une infinité de raisons historiques, politiques, culturelles, urbanistiques, artistiques, organologiques, etc.

- Quel est le degré des variations et de similitudes, selon les régions du monde musulman ?

A part les quatre phrases qui ont été rajoutées ultérieurement dans la version chiite, notamment celle qui fait référence à Ali, portant ainsi le nombre total de phrases du adhân à 19 au lieu de 15 comme chez les sunnites (13 chez les malikites) ; à part une adaptation turque et momentanée du texte du adhân sous la réforme kémaliste dans les années 1930 ; et à part quelques rares exceptions touchant à la forme et aux phrases, le texte du adhân est resté inchangé depuis le VIIe siècle. Ce qui n'est pas du tout le cas de la musique, puisque de milliers de mélodies ont orné et embelli al adhân partout dans le monde. On estime au nombre de 2,5 millions les appels du adhân dans diverses interprétations, et ce, rien qu'à Al-Masjid An-Nabawi, la mosquée du Prophète à Médine. En effet, les styles mélodiques et vocaux du adhân sont aussi diversifiés que le sont les musiques des différentes aires islamiques. Par exemple : au Maroc et en Algérie, la tradition fait appel aux ornementations modales du tab‘ et à la technique vocale des chanteurs de la musique arabo-andalouse. Dans le Sahara et dans les steppes du Maghreb allant jusqu'à la Tunisie et la Libye, l'appel à la prière est caractérisé par sa sobriété et son pentatonisme. En Egypte et au Proche-Orient, l'appel des muezzins se manifeste dans le même registre de la voix utilisée dans le tarab, avec des phrases très longues et très riches en mélismes et en glissandi. 
Pareillement, dans chacun des styles mecquois, iranien, turc… Geste, matériau, vocalité et expression ne seront jamais pareils et reflèteront à chaque fois la langue parlée et l'esthétique musicale spécifiques à chaque région. De ce point de vue, et au-delà de sa dimension religieuse et communautaire — et là, c'est l'idée centrale de la thèse de doctorat que je mène à la Sorbonne au laboratoire «Patrimoines et Langages Musicaux» — al adhân peut être étudié en tant que phénomène sonore urbain reflétant une identité musicale et culturelle locale distincte.

- Mais d'où viennent ces variations ?

Du paysage sonore de chaque cité musulmane et qui résulte de l'interaction de multiples paramètres spécifiques à chaque région : la géographie, l'urbanisme, les dialectes et les accents linguistiques, les musiques locales et les modalités utilisées, etc. Jusqu'aux années 1950-1960, chaque ville, parfois chaque quartier, avait, comme une sorte d'empreinte sonore, son propre adhân et son muezzin élu, détenteur d'un style authentiquement local de l'appel à la prière. Personnellement, j'ai pu observer cela durant mon enfance au Sahara, quand les vieilles personnes me parlaient de mon arrière grand-père que je n'ai pas connu et qui était muezzin, tantôt pour louer sa piété, tantôt pour me raconter, non sans orgueil, et dans un récit qui frôlait le fabuleux, les facultés vocales extraordinaires de Si Tahar ben Dada et de sa voix qui pouvait, quand il n'y avait pas de vent à l'aube, réveiller les habitants de Ksar el-Hiran, un village situé à une trentaine de kilomètres de Laghouat.

- El adhân a-t-il inspiré des compositeurs ou servi de matériau musical ? Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

En tant que phénomène sonore, al adhân a pu influencer, dès le XIXe siècle, les premiers compositeurs orientalistes. En 1850, Ernest Reyer, un compositeur français qui avait passé sa jeunesse en Algérie, a choisi de clôturer son opéra «Sélam» par le tableau d'un muezzin appelant à la prière les pèlerins revenus de la Mecque avant qu'il ne rejoigne ensuite leurs chants et leur fête. Quant au compositeur polonais, Carol Szymanowski, sa fascination pour l'Orient et sa curiosité pour l'Islam l'ont conduit, non seulement à faire un long périple maghrébin mais elles ont été admirablement exprimées dans des œuvres telles que Le chant du Muezzin passionné pour chant et piano (1918, orchestré en 1934) et qui n'est rien d'autre que la réminiscence d'un adhân entendu au ramadhan. Ce thème musical réapparaîtra par la suite dans sa Symphonie n° 3. D'autres exemples de ces influences peuvent être retrouvés dans des pages de Félicien
David, Antonin Dvorak, Henri Tomasi et plein d'autres.

- Quel accueil ont reçu ces œuvres dans le monde musulman ?

On a un bel exemple, le film culte Ar-Rissâlah (Mohammad, Messenger of God, 1976) de Moustapha Akkad. Car il détient son succès colossal entre autres grâce à la musique. Signée Maurice Jarre, cette bande originale était basée entièrement sur la mélodie du adhân en mode hijaz, une version fortement pratiquée dans la région homonyme et au Moyen-Orient. Cette même mélodie avait été utilisée auparavant par le compositeur égyptien Rifaat Jarana, en 1962, dans le dernier mouvement de son Concerto pour qanun et orchestre qui est certainement une des premières tentatives dans le monde arabe d'utilisation du matériau musical religieux dans un contexte compositionnel moderne. Ce concerto a été hautement salué au Caire et rapidement enregistré et rediffusé.

- Peut-on parler de «musique religieuse» pour désigner l'adhân ?

L'appel à la prière en Islam se pratique continuellement dans chaque mosquée, cinq fois par jour. Il indique aux musulmans les heures de la prière et ceux du jour : subuh à l'aube, duhur à midi, ‘asur l'après-midi, maghrib au crépuscule et ‘ishâ' pour le début de la nuit. En tant que phénomène social, l'adhân régule l'activité commerçante et ouvrière de la société et crée un contexte de rassemblement régulier pour la communauté. La voix humaine est de ce fait le seul instrument jouissant de cette ordonnance. Les muezzins concurrencent et comparent la force et la beauté de leurs voix, ils excellent dans leurs interprétations afin d'inciter les gens à la prière «Les muezzins auront les plus longs cous le jour du Jugement dernier» (Hadith n° 387, Sahih Muslim).
Bien que l'élément musical soit essentiel dans la technique de l'adhân, l'exercice en soi reste principalement rituel. Pendant plusieurs siècles, la vulnérabilité au changement et à l'influence exogène est restée infime dans cette pratique vocale. Les mutations musicales dans l'adhân sont largement plus lentes que dans les autres pratiques musicales de la société. Dans ma thèse de doctorat, je considère al adhân comme un réservoir immuable d'une modalité séculaire, celle du maqâm. A nos jours, l'adhân reste encore un phénomène sonore culturellement «inclassable» : matière à interprétation pour les musulmans, sujet d'inspiration pour les occidentaux. Remarquons que ces derniers utilisent le mot «chanter» pour désigner la pratique vocale de l'adhân. Le verbe arabe attribué découle de son appellation racine, un muezzin you'addhin. Le verbe ('addhana) n'est jamais employé hors du contexte de l'appel à la prière. Une majeure partie de la complexité de la situation de l'adhân découle de cette sémantisation. Si les cantillations coraniques sont arrêtées «cultuelles» et si on considère les chants de louanges du pèlerinage comme «liturgiques» et les célébrations des fêtes religieuses comme «paraliturgiques», l'adhân, quant à lui, se trouve non seulement dans l'une et dans l'autre des catégories, mais également dans d'autres situations qui relèvent du social (naissance d'un nouveau-né, rassemblement des croyants...) ou de l'artistique (chant soufi, madih,'inshad, compositions musicales...).

- Qu'en est-il de l'Algérie ? Peut-on établir une cartographie nationale de l'adhân ?

Il existe plusieurs styles particuliers à chaque région. Parfois, on a des variantes d'interprétation propres à chaque ville. Cependant, aucune cartographie ou typologie de style n'ont été réalisées à nos jours concernant l'adhân en Algérie. Il serait temps de faire ce travail devant la disparition silencieuse des vieux muezzins de la tradition et face à la forte influence exogène que subit le style de l'adhân algérien (radios et télévisions internationales, chaînes numériques, wahhabisme...).

- Existe-t-il actuellement en Algérie des cas de muezzins qui pratiquent le chant ou inversement ?

Pareillement, il s'agit d'une autre question qui nécessite un sérieux travail de terrain, une approche prosopographique des muezzins algériens contemporains.

- Les particularités régionales changent-elles avec le temps ? Assiste-t-on à une uniformisation ?

A partir de la deuxième moitié du XXe siècle, le développement des systèmes de sonorisations électroniques et l'indépendance des pays arabes du colonialisme franco-britannique ont fait que progressivement les mosquées ont adopté la sonorisation. Accrochés aux minarets, des mégaphones électriques servent désormais d'amplificateur «non naturel» de la voix du muezzin, mais également de celle de l'imam lors des prières ou des croyants lors des chants et des louanges dans les fêtes religieuses. Depuis une vingtaine d'années, on assiste à d'autres manifestations qui affectent cette pratique vocale cultuelle : les transmissions télévisées massives des rituels de prière
(La Mecque, Le Caire...), la diffusion de l'adhân enregistré sur les chaînes de télévision, les applications de téléphonie mobile, la gestion numérique de l'adhân par des logiciels, l'unification des appels à la prière et la transmission satellitaire dans les mosquées (Emirats arabes depuis 2004), etc. D'autre part, d'un pays à l'autre, des réactions de résistances ont été manifestées : une razzia radicale dans les mosquées d'Al-Bahah en Arabie Saoudite, ordonnée par le ministre des Affaires islamiques où des centaines d'amplificateurs ont été saisis dans 43 mosquées à cause de leur puissance. Les Emirats ont procédé à des actions en ce sens. Les haut-parleurs ont été tout simplement supprimés des mosquées, sans toutefois interdire leur usage pour un appel à la prière satellitaire (Le Jour d'Algérie, 7 août 2010). En 2004, le ministre des Wakfs, responsable des mosquées en Egypte, avait décidé de mettre en place un adhân unique et centralisé qui sera relayé par des mosquées mises en réseau. Tout cela va avoir des conséquences directes sur la musicalité de l'adhân, sur sa technique vocale, sur la notion de géographie et du paysage sonore dans la cité musulmane contemporaine. On assiste ainsi à une uniformisation et mutation des styles locaux vers un style générique du Hijaz, qui se réfère symboliquement à la Mecque, berceau de l'Islam (construction d'un imaginaire communautaire de la 'umma). De même, sont apparues une dénaturalisation de la voix humaine par l'amplification électrique et une perte de la puissance d'émission et de la technique vocale chez certains muezzins. Enfin, on peut signaler aussi une déshumanisation de la pratique par l'usage des transmetteurs et des horloges électroniques.


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