Pour des juristes, le dernier décret portant création d'un service d'investigations judiciaires auprès du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) viole le principe du parallélisme des formes consacré en matière de droit l Ils expliquent que les missions de la police judiciaire sont définies par le code de procédure pénale et ne peuvent être élargies ou réduites par un simple texte réglementaire. Pour les nombreux professionnels du droit avec lesquels nous nous sommes entretenus, «le Président a outrepassé ses prérogatives en limitant le champ d'action de la police judiciaire militaire par un décret présidentiel aux nombreux vices de forme». Ils expliquent qu'une telle décision aurait dû passer par un texte législatif, parce qu'«il s'agit des prérogatives de la police judiciaire que le code de procédure pénale a bien définies». Tout en restant dans le respect de ce qu'ils appellent «le parallélisme des formes», ils font une comparaison entre le décret 14-183 du 14 juin dernier portant création d'un service d'investigation judiciaire au niveau du DRS, et celui du 9 février 2008 faisant état de la création d'un service central de la police judiciaire des services militaires de sécurité du ministère de la Défense nationale, qui a été annulé il y a moins d'un an. «Elaboré en 2008 sur rapport du ministre de la Défense nationale, comme il est bien précisé, ce décret a regroupé tous les éléments de la police judiciaire militaire au sein d'une seule structure, un service central placé auprès des services militaires de sécurité du ministère de la Défense nationale. Ce qui veut dire : au plus haut niveau de la hiérarchie. Sa mission est de constater les infractions à la loi pénale et au code de justice militaire, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte. Lorsqu'une information est ouverte, il exécute les délégations des juridictions d'instruction et défère à leurs réquisitions. L'organisation du service ainsi que les attributions de ses composantes sont fixées par arrêté du ministre de la Défense». Jusque-là, notent nos sources, à aucun moment, le décret, articulé autour de 8 articles, ne fait état des prérogatives et missions de la police judiciaire, qui restent bien définies dans le code de procédure pénale. Composé de 13 articles, le décret de 2014 repose sur les mêmes attendus – sauf qu'il n'y a pas la mention «sur rapport du ministre de la Défense» – et porte sur la création d'un service d'investigation judiciaire au sein de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), laquelle relève du DRS. Qu'en est-il des autres structures dont les éléments avaient la qualité de la police judiciaire comme, par exemple, la Direction centrale de la sécurité de l'armée (DCSA) qui est sous la coupe du ministère de la Défense nationale ? Autre aberration : celle contenue dans l'article 5 qui limite le champ d'action des éléments de ce service au terrorisme, à la sécurité du territoire, à la subversion et au crime organisé. Or, «ces prérogatives ne peuvent être définies par un texte réglementaire mais plutôt par un décret législatif, c'est-à-dire une loi qui passe par l'Assemblée populaire nationale parce que cela touche aux libertés et droits des citoyens». Champ d'action restreint Mieux, indiquent nos sources, «l'article 10 de ce décret prohibe toute intervention du service qui aurait été initiée en dehors des missions et attributions qui lui ont été conférées. Cela veut dire que les officiers de cette structure n'ont pas le droit d'intervenir en dehors des missions qui leur ont été confiées. Comment est-ce possible, lorsque l'on sait que le simple citoyen est poursuivi en justice quand il est témoin d'un acte pénal et ne le dénonce pas ? La qualité d'officier de la police judiciaire implique une obligation de dénoncer tout acte défini comme étant en violation avec la loi pénale, que le décret 14-183 du 11 juin dernier a bien cité dans son article 3». Par ailleurs, nos sources estiment que le nouveau service d'investigations judiciaires n'a pas été totalement écarté des enquêtes sur les affaires économiques. «Le décret n'a pas totalement écarté les affaires économiques du champ d'action de ce service, à partir du moment où il est chargé aussi du crime organisé, qui englobe tous les actes pénaux commis en bande organisée, c'est-à-dire avec un chef. Les affaires de dilapidation de deniers publics, de malversation et de corruption relèvent, dans la majorité des cas, du crime organisé parce que les auteurs agissent souvent en bande. Est-ce que l'auteur de ce décret sait que la corruption peut faire partie du crime organisé ? La question reste posée. Ce qui est certain, c'est que le décret de 2014 comporte de nombreux vices de forme», notent nos interlocuteurs. Pour ces derniers, «le texte a été fait dans la précipitation, pour régler une situation de droit qui aurait dû être traitée avec le droit et non pas avec une autre violation du droit».