Abdelmalek Sellal n'aime pas le mot «austérité». Il préfère parler de «maîtrise» des dépenses. Mais existe-t-il un plan clair, précis, tracé pour limiter les dépenses publiques ? Existe-t-il un plan B et C au cas où ? Pas si sûr. «Nous allons avoir un déficit de 14,7%, si nous poursuivons ce rythme de dépenses et de recettes», a déclaré le Premier ministre, mercredi soir, à la télévision d'Etat. La précision de ce chiffre (0,7%) ne semble pas se traduire dans les faits, même si Sellal, quelque peu prévoyant, a parlé d'un budget d'Etat basé sur un calcul de 60 dollars le baril de pétrole. D'abord, le gouvernement continuera de donner des crédits pour le programme Ansej pour lutter contre le chômage. Or, à ce jour, il n'existe pas de programme transparent de remboursement des crédits déjà dégagés pour des dizaines de milliers de micro-entreprises. Quel est le taux réel d'échec de ces projets lancés par les jeunes ? Existe-t-il une liste de mauvais payeurs ? Et quel est le niveau des crédits perdus à jamais ? L'achat de la paix sociale a fait oublier à l'Etat l'obligation de récupérer les crédits. Selon Sellal, l'Etat va soutenir la création de star-up pour les jeunes diplômés, mais n'a pas indiqué comment. Combattre le chômage paraît être une priorité pour le gouvernement, mais les nouvelles contraintes financières ne sont visiblement pas prises en compte dans cette projection. Idem pour les projets d'équipement publics inscrits dans le plan 2015-2019. Il n'existe aucune indication sur les opérations que le gouvernement a supprimées de la liste. Mandat Le Premier ministre a évoqué vaguement des projets de tramway et de transport ferroviaire. Dans quelles régions ? Et pourquoi cibler les chemins de fer alors qu'il s'agit d'un type de transport stratégique pour un pays où seul l'usage de la route domine les modes de déplacement ? Le Premier ministre a évoqué l'extension de l'aéroport international d'Alger (70 milliards de dinars) et le futur port de Ténès qui sera cent fois plus grand que celui d'Alger (plus de 3000 hectares). Dans la conjoncture actuelle, le projet gigantesque du port est-il économiquement utile, prioritaire ? Les banques seront, selon Sellal, sollicitées pour financer ce projet ainsi que d'autres. Mais jusqu'à quel niveau et sous quelles formes ? Qui seront prioritaires, les banques privées, les banques publiques, les deux ? Le gouvernement compte visiblement sur les réserves de change pour poursuivre le «développement socio-économique pour les trois ou quatre prochaines années», selon les termes de Sellal. Autrement dit, jusqu'à la fin du quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika en 2019. Qu'en est-il de l'après-2019 ? Qu'arrivera-t-il si toutes les réserves de change venaient à être épuisées ? Pas de réponse. Sommes-nous devant une crise d'imprévoyance ? D'une absence manifeste de vision à long terme ? Possible. Sellal a soutenu que tout sera entrepris pour sauvegarder «la décision souveraine» de l'Algérie en matière économique. Il a parlé de la limitation de l'exportation de la devise et des importations. Le gouvernement a-t-il tous les moyens sécuritaires, techniques et administratifs pour contrôler les gros importateurs, ceux qui bénéficient de couvertures politiques en haut lieu ? Sellal a cité la Banque d'Algérie (BA) alors que cette institution a les mains ligotées et la bouche cousue. Idem pour les Douanes qui, souvent, ne peuvent rien faire face à des hommes protégés, à la voix rauque et aux mains couvertes de bagues en or ! Qui osera s'aventurer dans la jungle des ports ? Faillite Aucune évaluation sérieuse n'a été faite sur les grosses sommes généreusement données pendant des années à des entreprises publiques, telles que Sonelgaz, la SNTA ou Air Algérie, pour les sauver de la faillite. Des plans de sauvetage qui semblent n'avoir pas eu de résultats probants. Il n'y a qu'à citer la gestion catastrophique actuelle d'Air Algérie pour s'en convaincre. Une compagnie aérienne où il est difficile de trouver «l'historique» des pièces détachées dans les dépôts ! Il est évident qu'au train où vont les choses, l'Etat ne peut plus sauver des entreprises publiques mal gérées. Mais existe-t-il des solutions de rechange pour éviter la perte d'emplois ? Enigme. L'évasion fiscale ne semble pas apparaître dans le tableau de bord du gouvernement. A l'ENTV, Sellal a soigneusement évité d'aborder cette question. On ne sait pas si des mesures fermes seront prises pour obliger les gros importateurs, les gros commerçants et les milliers de petits entrepreneurs à payer leurs impôts. Aucun responsable algérien n'a évoqué la création d'un impôt sur les grosses fortunes, comme si cela relevait du tabou. La lutte contre le commerce informel ressemble à un combat contre les armées de l'ombre. Les dépenses sociales du gouvernement seront maintenues (santé, éduction, enseignement supérieur). Mohamed Djellab, ministre des Finances, a annoncé, lors d'une séance à la commission des finances de l'APN, de nouvelles mesures sur le payement de certaines prestations, comme les soins dans les hôpitaux et les loyers pour les logements sociaux. Djellab n'a, bien entendu, pas précisé comment cela se fera. Est-ce là la forme visible de «la solidarité» exigée du citoyen algérien pour «appuyer» un Etat dépensier en manque d'argent ?! Aucune mesure n'a été annoncée sur le financement excessif dans les secteurs de la défense, des collectivités locales et des postes diplomatiques. Quelle est donc la contribution de l'armée à la création de la richesse en Algérie ? A l'effort financier de l'Etat ? Faut-il garder le même schéma de l'armée populaire qui est dépassé partout dans le monde ? Une évaluation détaillée doit être faite pour le travail des ambassades à l'étranger. Des ambassades qui, selon plusieurs rapports, ne semblent pas faire grand-chose pour convaincre les investisseurs ou les touristes à venir en Algérie. Autre question : les casernes, les brigades de gendarmerie, les commissariat de police, les wilayas, les daïras, les APC, les ministères et toutes les autres institutions de l'Etat sont-ils «obligés» de changer de véhicule ou de mobilier de bureau chaque fin de saison ? «Il y a du gaspillage dans certains secteurs», a lancé Sellal sans autre précision lors du débat à la télévision. Puisque le gaspillage est officiellement constaté et reconnu, le gouvernement n'a pas d'autre choix que de prendre des décisions fortes et urgentes. La réduction ou la rationalisation des dépenses publiques exige du courage, de la détermination, de la prospective des instruments politiques puissants. Dans le cas contraire, l'attitude de gouvernement ressemblera à celle d'un capitaine non voyant guidant un navire dépourvu de lumière et de boussole en pleine tempête nocturne en haute mer…