Pour les experts ès cinéma réunis autour du thème «La mémoire et le cinéma en Algérie» à Oran, «ce n'est pas le film qui fait le cinéma mais c'est le cinéma qui fait le film». Le Théâtre régional d'Oran a abrité, cette semaine, une journée d'étude sur «La mémoire et le cinéma en Algérie». Organisée par l'Ucclla, antenne du Crasc, la rencontre de dimanche dernier a été rehaussée par la présence de grands spécialistes du cinéma algérien, notamment Ahmed Bedjaoui, Mohamed Bensalah, Si El Hachemi Assad, ou encore Hadj Fitas. C'est Mohamed Bedjaoui, qui a ouvert le bal par une communication ayant trait aux «regards et lectures critiques sur le cinéma algérien depuis l'indépendance». Autant dire qu'il n'y est pas allé avec des pincettes pour dire ses quatre vérités sur la situation qui a prévalu, des décennies durant, dans le domaine cinématographique algérien. Il s'est complu, dans une analyse pertinente, à détailler les raisons ayant concouru aux fermetures massives des salles obscures dans notre pays. Première erreur : l'attribution des salles aux APC. «Une salle qui nécessite 5 employés s'est vue confiée à une cinquantaine. Comme il fallait l'entretenir, et qu'il n'y avait plus d'argent pour cela, on procédait à sa fermeture dès lors qu'elle n'était plus rentable». Quant à la production cinématographique, il étayera son propos avec cette jolie parabole : «de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, un film ne fait pas le cinéma. Ce n'est pas le film qui fait le cinéma, mais c'est le cinéma qui fait le film». Ahmed Bedjaoui a d'abord débuté sa communication en faisant un bref historique du cinéma algérien. On apprendra ainsi que les Algériens ont été atteints de «cinéphilie» bien avant l'indépendance, et leur «désir» de cinéma allait croissant au fil des années. A ce propos, la France coloniale craignait terriblement l'émergence d'un cinéma proprement algérien, et faisait tout pour museler les cinéastes épousant la cause nationale. Pour information, deux négatifs contenant des documentaires inédits réalisés bien avant la guerre de libération par Tahar Hannache ont mystérieusement disparu. Il n'empêche, ironie de l'histoire : le premier film «100% algérien» a été réalisé en 1954. Il s'agit de Plongeur du désert de Djamel Hannache. C'est l'histoire de Momo, jeune Algérien obligé d'aller purger des palmiers en apnée, tandis que son «collègue» français, pour faire le même travail, se servait d'une pompe. Un film qui démontre clairement l'injustice que subissaient les Algériens au quotidien. Si la France de l'époque abhorrait qu'un cinéma soit propre à l'Algérie en lutte, c'est parce qu'elle savait pertinemment que ce moyen de communication pourrait lui être fatal. «On avait toute une génération de stratèges. La guerre d'indépendance avait été gagnée par l'intelligence, et le cinéma algérien est né dans le maquis», dira-t-il enfin. Pour sa part, Mohamed Bensallah a axé sa communication sur les liens entre «Les discours filmique, discours historique». Il a déclaré que «les productions cinématographiques relatives à l'histoire sont diversement appréhendées et appréciées en fonction des publics, des histoires, des contextes, des moments de réception et du background des spectateurs». Pour lui, l'histoire analytique de la Révolution algérienne, telle que portée à l'écran, n'est guère satisfaisante. En témoignent les débats houleux qui ont suivi les sorties de L'Oranais, de Mustapha Ben Boulaïd ou Zabana, «qui ont traduit un climat délétère insoutenable». Néanmoins, il mettra en garde contre toutes velléité de censure. «Au lieu de censurer les Rachedi, Bouchareb, Ould Khelifa, Salem et autres cinéastes à venir, il y a lieu de tout faire pour que leurs films soient projetés partout aux contribuables qui les ont produits, afin que ces derniers puissent les apprécier à leur juste valeur, et mettre en œuvre des stratégies de distanciations, si besoin est, pour s'en démarquer». Il conclura son propos en déclarant que dès lors «que les mémoires qui remodèlent les épisodes fondateurs d'une vie se tarissent, lorsque les archives sont mises sous séquestre, et lorsque des pans entiers du passé sont volontairement ignorés, il n'y a pas lieu de s'étonner alors que s'érigent les murs de l'ignorance».