La création de l'académie de tamazight telle décidée par le projet de la révision de la nouvelle Constitution doit absolument répondre à des exigences des scientifiques et chercheurs pour qu'il ne soit pas un projet mort-né. - Une académie sera créée pour accompagner l'officialisation du tamazigh selon le projet de la nouvelle Constitution. Qu'apportera-t-elle de nouveau dans la mesure où le haut commissariat à l'amazighité est déjà mis en place sans pour autant faire dans la recherche linguistique et scientifique ? Qu'elle soit attachée à la présidence de la République ne pose pas de problème. Le plus important, c'est qu'elle soit autonome dans ses recherches et ses décisions. Il faut par ailleurs qu'elle soit strictement scientifique. Elle ne doit absolument pas, comme le HCA et le Conseil supérieur de la langue arabe reconnus par l'Etat, être un lobby linguistique. L'académie, elle, ferait uniquement de la politique linguistique. Il serait d'ailleurs souhaitable qu'une coordination s'établisse entre l'académie de langue arabe et l'académie de tamazigh. Les deux travaillent sur des langues nationales et les questions linguistiques se ressemblent. Et les deux langues connaissent des problèmes conceptuels. Aujourd'hui dans une perspective d'austérité économique, les deux instances pourraient mener leurs recherches ensemble. Les personnes compétentes qui seront recrutées doivent seulement l'être sur la base de projets de recherche. Le rôle de l'académie est de normaliser la langue dans chacun des caractères adoptés (latin, arabe et tifinagh). La question qui pourrait se poser est économique : on ne peut pas, par exemple, publier un journal officiel en quatre langues. On peut évoquer alors la possibilité de trancher par le principe de démocratie linguistique en fonction des locuteurs les plus nombreux. Le kabyle représente 7 millions de locuteurs, le chaoui, 2 millions, le mozabite, quelques 3000 000 et le touareg, 40 000. Il y a entre 30 et 40 % de lexique et grammaire communs avec une phonétique différente. On pourrait alors décider que la langue dominante soit choisie comme ça été le cas au Maroc pour le chlouh. C'est la solution la plus rapide et surtout la plus pratique. - Qu'en sera-t-il alors des autres variétés ? Il est clair qu'elles seront représentées. A côté, la néologie lexicale serait désormais commune : les nouveaux termes seront communs dans les différents variétés. C'est une des solutions mais c'est à l'académie de trancher la question sur des critères non idéologiques. Il serait intéressant que cette académie émette aussi des orientations sur l'enseignement de la langue dans le système éducatif. Aujourd'hui, il se fait par région et de manière anarchique, sans instance pour le normaliser. Commençons par faire un diagnostic des travaux faits jusque là pour savoir ce qui nous manque. Ce travail devra constituer une base. Il est très urgent aussi de constituer un corpus de la langue et de référence. C'est à dire recueillir la langue telle qu'elle est utilisée par les locuteurs natifs pour qu'elle ne soit pas marginalisée. Cela peut prendre un peu de temps, mais avec les moyens technologiques que l'académie va acquérir, elle pourrait avancer rapidement. L'académie telle qu'elle a été proposée en 2008 devrait être efficace. Le texte de création de l'académie a été déjà discuté et débattu en Conseil du gouvernement en 2008 puis déprogrammé en Conseil des ministres. J'avais une idée sur cet ancien texte. Si c'est le même, c'est un bon texte. C'est un statut de recherche qui donne les moyens et les ressources nécessaires pour la recherche. - Vous avez parlé d'austérité. Est-il possible que le projet ne voit jamais le jour… Je sais que cela coûtera de l'argent mais ce n'est pas un argument car aujourd'hui, l'Etat finance des institutions de manière anarchique. Il n'est pas normal qu'aujourd'hui, contrairement à l'académie de la langue arabe, on maintienne encore le Conseil supérieur de la langue arabe. Il ne sert à plus rien. C'est un lobby. C'était important quand il y avait un conflit de langue en Algérie après l'Indépendance. L'Algérie avait mis en place ce lobby pour défendre l'arabisation face au français. Le Haut commissariat à l'amazighité aussi était né à une période où il était nécessaire d'envoyer un signe important à la demande d'amazighité. Il était chargé de défendre la promotion et l'extension de la langue. Ces deux institutions sont aujourd'hui devenues sans objet puisqu'aucune des deux langues ne peut maintenant être remises en cause. Il existe un consensus social de la communauté politique algérienne sur cette question. Il suffirait de mettre en place des institutions scientifiques, la question politique et les lobbies doivent rester des prérogatives des partis politiques. Il faut donner de l'argent à la recherche et arrêter de subventionner des lobbies qui pourraient se constituer en dehors de l'administration. J'avais même proposé la création d'un seul institut des langues nationales placé sous l'autorité de la Présidence qui engloberait l'arabe et le tamazight, et peut-être même l'arabe algérien. Il faut répondre simplement à la demande de champs linguistique algérien. Mais j'ai l'impression que les gestionnaires de l'Etat ne se sentent pas assez forts pour entamer des réformes de fond. - Le Maroc avait entamé une expérience similaire, devons- nous suivre son exemple ? Comme l'Algérie, le Maroc a rusé dans la Constitution. La révision opérée en 2012 était venue pour calmer les esprits face à un monde arabe révolté. Le Maroc avait reconnu le tamazight comme langue officielle tout en annonçant la mise en place de dispositifs d'applications pour que la décision soit concrète. En Algérie, le texte est presque le même. C'est dommage car on aurait voulu qu'elle soit officielle au même titre que l'arabe sans attendre d'autres mesures. Rester attendre, ça n'a pas de sens. Il ne faut pas non plus faire dans la précipitation. Le français a mis près de deux siècles pour devenir une langue standardisée et prendre en charge la science. L'arabe a mis six siècles pour avoir sa première œuvre lexicographie «Lissane El Arab». Et aujourd'hui ces deux langues connaissent une perte de domaine, c'est-à-dire qu'elles sont un peu dépassées face à l'anglais et à l'espagnol.