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Le talent et la grâce
Musique andalouse .Présence et visibilité des femmes
Publié dans El Watan le 05 - 03 - 2016

Le chant est une des spécialités de l'art vocal au féminin, mais paroles et musiques sont souvent signées par des messieurs. Serait-ce que l'art de la composition musicale ne se conjuguerait qu'au masculin ? Grande question, me direz-vous.
Pourtant les femmes, intimement liées à l'histoire de la musique, ont été poétesses et compositrices, ces dernières quasiment effacées de la mémoire collective. Mais, présentes à toutes les périodes, elles n'ont pas été reconnues. En revanche, elles ont eu droit à l'interprétation vocale et instrumentale en raison de l'éducation musicale qu'elles recevaient, mais aussi parce que souvent elles étaient perçues comme des muses.
En Europe, dès le Moyen-âge et jusqu'au XXe siècle, des noms de femmes se sont distingués. Cassienne de Constantinople (née vers 805) abbesse, poétesse et compositrice de l'Empire byzantin, a laissé des hymnes pour la liturgie encore joués aujourd'hui par des musiciens modernes. Plus tard, l'Allemande Hildegard von Bingen (1098-1179), religieuse bénédictine, compositrice et femme de lettres, produira un répertoire de plus de soixante-dix chants liturgiques, récemment repris et enregistrés par des ensembles de musique médiévale. Bien plus tard au XIXe siècle, Fanny Mendelssohn, sœur du grand musicien, et Clara Schumann, épouse de Robert, seront reconnues parmi les rares compositrices de leur époque.
Lili Boulanger, sœur cadette de Nadia, bouleversera l'ordre établi en devenant la première femme à obtenir le fameux Prix de Rome auparavant décroché par Berlioz et Debussy. Mais y a-t-il eu des compositrices dans la musique andalouse ? La littérature établit que, dans la période préislamique, les femmes côtoyaient les arts. Sous les Omeyyades et, plus encore, sous les Abbassides, les grands pôles de pouvoir, Damas et Baghdad, connurent un développement sans précédent des arts et des lettres.
Poètes et musiciens furent légion, hommes et femmes se concurrençaient dans des joutes oratoires. Malgré les bouleversements politiques, économiques et sociaux du monde musulman, de multiples guerres et des poussées de rigorisme, les arts ont résisté. Que ce soit en Andalousie ou au Maghreb, la pratique et la transmission de la musique se poursuivront et connaîtront même des périodes fastes. Appelées qiyan, des musiciennes-chanteuses du Machreq, également versées dans les lettres, la philosophie et la jurisprudence, se distingueront par leurs talents au point que l'histoire a retenu leurs noms. Nous y reviendrons une prochaine fois.
En Algérie, durant la période ottomane, des récits attestent de l'existence de formations musicales féminines. Dans un livre paru à Londres en 1839 sous le titre Six years residence in Algiers, l'auteur Mrs Broughton publie les notes de sa mère, épouse de l'ambassadeur du Royaume britannique en poste à Alger de 1805 à 1812. Celle-ci, habituée du palais, y est invitée en 1806 pour le mariage de la fille du Dey Ahmed Benali Khodja.
Elle décrit le faste dans lequel il vit et toutes les étapes du mariage. A un moment, la narratrice relate l'arrivée de femmes qui prennent place sur les sofas de la grande salle. Elles jouent sur des instruments à cordes, «des sortes de guitares»… On imagine aisément une kwitra ou un ‘oud. La percussion est présentée comme «une sorte de poterie en faïence dont une extrémité est fermée par ce qui semble être du parchemin et sur laquelle une femme scande le rythme».
La narratrice la nomme «tambouca» mêlant peut-être le mot tambour à celui de derbouka. «Ces femmes jouent et chantent en chœur et, à un moment, l'une se lève, un foulard dans chaque main et esquisse des pas de danse». Nous reconnaissons là les ancêtres de nos messamaâte. La présence de ces ensembles féminins prouve l'existence d'une tradition de formation musicale, même si nous sommes encore loin de l'école de musique et du conservatoire.
Le monde de la musique andalouse est longtemps resté masculin. Même si Maâlma Yamna et son orchestre féminin ont inauguré le XIVe Congrès International des Orientalistes en 1905 à Alger, marquant ce jour par l'interprétation d'un majestueux Rana Djinek, il s'agit probablement d'une exception pour ces femmes-artistes qui n'avaient pas totalement réussi à sortir de l'unique et réducteur environnement des cérémonies familiales. Les femmes resteront longtemps cantonnées à des genres musicaux ressentis comme moins prestigieux que le classique andalou. On les retrouve meddahates à l'Ouest du pays et fqirate à l'Est.
Pratiquant le chant mdih, elles se rapprochent des pratiques mystiques des différentes confréries religieuses et de leurs répertoires dédiés aux processus rituels de la nachra ou de la zerda, voisins de ceux pratiqués par les khouan. Mené par la voix de la raïssa (cheftaine), le chœur constitué de khemassate répond en écho.
Ce sont des ensembles essentiellement vocaux qui s'accompagnent de percussions, bendir et tar. Outre le dhikr, de nombreux chants sont dédiés aux saints locaux comme, entre autres, Sidi Belkacem et Sidi Maâmar. Des poésies de ce répertoire sont parfois passées dans la variété, tel que le célèbre Abdelkader ya Boualem repris par Khaled. Citons un autre type de formation féminine, les benoutète, typiques de Constantine et de sa région, et dirigées aussi par une raisset-el-djawq. Elles s'accompagnent d'instruments à percussion mais aussi à cordes.
Elles ont longtemps célébré les cérémonies familiales, s'appuyant sur un répertoire comportant du malouf, propre à la région, mais aussi du haouzi et du mahjouz. Pour Alger et ses alentours, on parle de messamaâte, dirigées tant par la voix que par l'instrument d'une maâlma (maîtresse) et dont le répertoire est issu de la musique andalouse héritée des grands cheïkhs. Au lendemain de l'indépendance, les femmes investissent la scène artistique et ne la quitteront plus.
En 1967, Alger abritera le 1er Festival de musique andalouse et, chose alors remarquable, l'orchestre que présentera le Conservatoire d'Alger sous la direction de Cheikh Abderrezak Fekhardji sera composé d'hommes et de femmes, de même que celui de l'association El Djazaïria El Mossilia, sous la direction de Cheikh Hamidou Djaïdir.
Les jeunes femmes sur scène jouent d'un instrument et n'assurent pas que la chorale. Dix ans plus tard, en 1977, au Festival de musique andalouse de Tlemcen, sous la direction de Cheikh Salah Boukli-Hacene, l'association Mustapha Belkhodja présentera un grand ensemble féminin composé de plus de trente jeunes filles, les unes instrumentistes et les autres choristes. A la même époque, la Télévision nationale véhiculera souvent l'image de l'association El Djazaïria El Mossilia qui fera rêver des dizaines de jeunes filles, nombreuses ensuite à la rejoindre ou à envisager d'autres parcours musicaux. Sous la direction de Cheikh Ahmed Serri, les voix féminines deviendront un atout majeur qui provoquera un engouement exceptionnel.
Lors des tournées à l'étranger, les jeunes filles de cette formation représenteront une société moderne attachée à son patrimoine. Le travail et l'intérêt suscités par l'association algéroise mèneront à l'émergence de nombreuses autres associations à travers tout le pays. Cette joyeuse émulation aidera à développer davantage l'intérêt pour la musique andalouse en milieu associatif et favorisera le processus de féminisation entamé. La configuration des orchestres changera au diapason des changements dans la société et de l'accoutumance à la mixité, qui commence d'ailleurs à l'école.
Durant les années 70' et 80', l'accession progressive des femmes à des responsabilités parfois pointues dans divers domaines sociaux et économiques rend plus aisé, sinon naturel, le renforcement de leur présence dans le monde artistique. Aujourd'hui, la mixité touche tous les orchestres, même ceux des zones éloignées des grandes agglomérations où l'émancipation des femmes est plus lente.
Le phénomène s'amplifie et a fini par toucher aussi les publics, de plus en plus mixtes, avec les familles qui prennent l'habitude de venir assister aux concerts au complet. Une des conséquences directes sera la réhabilitation du port des costumes traditionnels sur scène, signant de manière élégante l'identité de femmes modernes issues d'une riche civilisation. Le cycle de vie des femmes les destine le plus souvent à devenir mères et, lorsqu'elles ont commencé une «carrière» artistique, de telles circonstances les amènent parfois à se mettre en retrait au profit de leur famille.
Elles restent cependant un puissant vecteur de transmission culturelle et même celles qui abandonnent la pratique musicale veillent souvent à ce que leurs enfants l'adoptent. L'augmentation du nombre des jeunes femmes dans les associations s'est traduite par un impact important sur la manière de penser et d'organiser le travail au sein des ensembles, désormais mixtes et riches de voix aux différentes tessitures.
Les chefs d'orchestre se sont vus obligés de faire preuve d'une plus grande maîtrise pour assurer la meilleure cohérence vocale avec les multiples jeux de voix en présence. Réputées appliquées dans leurs apprentissages, les jeunes filles bousculent leurs camarades masculins, et aujourd'hui quelques-unes deviennent de sérieuses rivales et d'excellentes instrumentistes.
On a assisté également à l'émergence d'orchestres exclusivement féminins au sein des associations de musique andalouse. Un phénomène qui a donné lieu par la suite à la création de l'Ensemble national féminin de musique andalouse, composé des éléments les plus émérites de plusieurs associations. Fortes de leur formation classique, certaines ont migré vers d'autres genres musicaux, généralement modernes, l'essentiel au fond étant que l'art ne les perde pas.
Pour rejoindre le début de notre propos, force est de constater que des domaines comme la composition musicale et la chefferie d'orchestre, entre autres, ne sont pas encore investis par les femmes. Toutes les propositions de compositions depuis quelques années dans le genre andalou sont signées par des hommes. En revanche, les femmes composent volontiers pour d'autres genres plus modernes et sans doute moins complexes. Pour la chefferie d'orchestre, il faudra attendre encore un peu. Quelques associations confient l'enseignement à leurs meilleures élèves, mais elles dirigent rarement sur scène, en tout cas pas de façon régulière.
Il y a plus d'un millénaire, des femmes aux vies difficiles et sous des contraintes multiples ont écrit des poèmes et composé des musiques mais, bizarrement, l'histoire a plus retenu des noms masculins que féminins. Une question légitime se pose : plusieurs textes encore chantés aujourd'hui sont labellisés «auteur inconnu». Et si leurs auteurs étaient des femmes ?
Toujours est-il que les femmes ont assuré une partie essentielle de la vie artistique d'une époque réputée comme celle de l'essor des sciences, des arts et des lettres et aussi symbole du raffinement et de l'élégance du monde musulman.
En Algérie, l'histoire moderne retiendra qu'elles ont participé à défendre et promouvoir l'identité artistique nationale au moment où le colonisateur déployait sa stratégie d'acculturation. Beaucoup de travail reste à faire, tant dans la composition que dans l'interprétation, mais de belles perspectives se profilent parce que les femmes en sont capables, comme le prouvent régulièrement des interprètes distinguées du répertoire andalou ou autre. 

Quelques références : Actes du XIVe Congrès International des Orientalistes, Alger, 1905/ «Six years residence in Algiers» by Mrs. Broughton, London, 1839/ Dictionnaire des musiques citadines de Constantine de Abdelmadjid Merdaci. Ed du Champs Libre, 2008.


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