Dans l'évolution des choses, la société algérienne oublie peu à peu que TF1, France 2, Al Jazeera, MBC et le torrent de chaînes de télés qui se déversent via ce que les jeunes appellent tout simplement le « numérique » sont des entreprises commerciales à charge symbolique d'autres pays. L'ouverture sur le monde qu'elles permettent aux citoyens et les bouffées d'oxygène en loisirs qu'elles font entrer dans les foyers sont devenues indispensables face à la machine totalitaire et abrutissante de la gouvernementale ENTV. Ces lucarnes sont aussi précieuses parce qu'elles donnent visibilité, donc existence, à nombre de créateurs intellectuels et artistiques et à des militants politiques algériens interdits d'expression sur l'écran national. Mais ne nous leurrons pas : ces médias ne participent pas réellement du développement de notre patrimoine national. Ces télés sont souvent même des trompe-l'œil. Et le laisser-faire/laisser-passer affiché par nos gouvernants, depuis le milieu de la décennie 1980, indique clairement qu'ils y trouvent un leurre efficace qui remet aux calendes grecques l'ouverture de l'espace audiovisuel national. Au prix d'une pénétration de chevaux de Troie à risques incommensurables. Ainsi, de la perfide Al Jazeera, prétendue « télé libre du monde arabe », E. Mariani (Mondialisation et nouveaux médias dans l'espace arabe, Maisonneuve & Larose, Paris) observe que « ses cibles constituent un marché culturel financier en pleine croissance, sont essentielles pour qui souhaite interférer dans la vie politique des pays arabes ». La chaîne permet à l'un de ses gourous, le cheikh Al Qaradawi, de faire la jonction, dans un média de masse, entre finance islamique et religion. Une autre fée des logis, la française TF1, fait couler de l'encre à Paris depuis que son boss a affirmé avec le plus cynique aplomb : « Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » Voilà pour le boss inamovible de l'ENTV un sacré morceau à se mettre sous la dent.