Noureddine Bedoui annonce une loi sur les enfants recueillis sous le régime de la kafala, sans préciser qui en sera l'auteur : son département ou les deux autres ministères impliqués par la question, la Justice et la Solidarité. Ou les trois en même temps. Chacun de ces ministères a sa part de responsabilité, et l'absence de l'un ou deux d'entre eux aura pour conséquence de réduire considérablement la portée du texte. Et il y a déjà de grands oubliés : les professionnels de la petite enfance, la société civile, les experts dont les avis et les recommandations sont pourtant fondamentaux car issus du vécu et des luttes. Le risque est grand de voir atterrir un jour au Parlement un projet de loi conçu uniquement par des fonctionnaires d'un seul ministère, celui de l'Intérieur qui s'était déjà illustré, il y a exactement une année, en faisant refouler par la PAF des aéroports et ports du pays les enfants «mekfouline» non détenteurs d'une autorisation d'un juge qui pourtant ne pouvait se substituer à l'acte judiciaire de la kafala. Au demeurant, ce projet de loi annoncé par N. Bedoui est condamné à avoir un impact limité, car la kafala est régie par le code de la famille. C'est à ce niveau là qu'il fallait avant tout agir : tout le dispositif (plusieurs articles) est à revoir car inadapté, insuffisant et surtout injuste. Or, la refonte ou la suppression du code de la famille n'est pas à l'ordre du jour. Citons malgré tout quelques propositions d'amendements. Sur l'acte de kafala doivent être portés les noms et prénoms des deux époux au profit desquels a été prononcée la kafala, document qui doit revenir d'office au conjoint en cas de déchéance ou de décès du kafil. La révocation de la kafala ne doit être prononcée par le juge que dans les seuls cas de maltraitance avérée ou d'impossibilité prouvée de faire face aux obligations d'entretien et de protection du mekfoul par ses parents mekfouline. Ceci pour restreindre les abus des magistrats en matière de révocation des actes de kafala. L'enfant recueilli doit être porté sur le livret de famille (avec mention de l'acte de kafala) dans le but d'assurer à l'enfant une bonne intégration familiale et sociale et afin d'éviter sa stigmatisation, tout particulièrement dans le milieu scolaire. Le bénéfice de la kafala doit être assuré également aux personnes non mariées, seules ou divorcées, sous couvert bien entendu des services sociaux de l'Etat. L'élargissement du champ des familles adoptives potentielles est nécessaire tant le nombre d'enfants abandonnés est en forte progression. Précisément, la loi prendra-t-elle à bras-le-corps le problème lancinant de l'abandon d'enfants à la naissance, frappé d'un lourd tabou social et culturel, à peine évoqué dans quelques textes législatifs ? L'Etat doit fixer ses obligations et celles de la société vis-à-vis des mères célibataires et de leurs enfants. Le recours à l'abandon doit être exceptionnel et ne doit pas entraîner de traumatisme ni pour l'un ni pour l'autre. Le placement en kafala doit se substituer systématiquement au placement en institution, car le bonheur d'un enfant est dans une famille. Un mekfoul doit vivre comme n'importe quel enfant, c'est un don de Dieu. Ce fut la philosophie de Cheikh Hamani, président du Conseil supérieur islamique qui, en 1992, dans une célèbre fatwa a apporté sa caution au chef du gouvernement de l'époque, Sid Ahmed Ghozali, en autorisant la concordance de nom, permettant ainsi à tous les enfants mekfouline de bénéficier du nom de leur père mekfoul et d'évoluer avec un handicap de moins dans la société algérienne. Ce fut un beau geste d'Ijtihad dont vont s'inspirer, on l'espère, N. Bedoui, qui évoque une nouvelle loi, et les ministres de la Justice et de la Solidarité, nécessairement partie prenante. Un autre Ijtihad est le bienvenu ; celui de 1992 a sauvé des dizaines de milliers d'enfants et permis à l'Algérie de se distinguer positivement dans le monde musulman.