L'opération doit être effectuée par deux fois. Entre les deux, les figurines doivent être bien nettoyées des résidus de la première friture avant de passer à la deuxième. Ceci pour avoir une dorure à peine visible qui vire vers le nacre. Quant à la sauce sucrée, elle doit être parfaitement transparente sans aucune composante apparente. Résultat, un plat avec des figurines qui scintillent comme des perles nacrées dans une sauce couleur miel ocre. Quelle magie ! A notre bonheur à tous, cette grande cuisine se fait encore par amour, patience, respect et grand souci de réussite, pour le plaisir de la bouche et du partage. C'est tout un état d'esprit qui anime une ménagère quand elle rentre dans la cuisine. Les ingrédients, le dosage et les étapes sont scrupuleusement respectés comme un acte religieux. Les gestes sont sûrs et précis. Il n'y a pas de place à l'à-peu-près. On assiste alors à des scènes d'une grande admiration pour ces braves femmes qui continuent à nous transmettre ce savoir-faire, avec leurs tenues d'intérieur élégantes et typiques et leurs bras magiques ornés de msayasse ou mkayasse (bracelets en or) qui font chine-chine à chaque mouvement pour accomplir cette alchimie artistique. Au vu de toutes ces richesses, n'est-il pas important et urgent de répertorier et labeliser cet art culinaire constantinois afin de le préserver et l'ériger comme un patrimoine national de la haute gastronomie citadine ? Effectivement, cet art est exposé à plusieurs dangers, dont le plagia et l'appropriation par d'autres à des fins égoïstes ou malsains, qui en plus le déforment et le banalisent. D'ailleurs, cela devrait l'être également pour l'ensemble de la cuisine nationale. C'est ce qui se passe malheureusement pour la célèbre baklawa, qui se fait maintenant avec toutes les sauces par des apprentis sorciers pour être vendue dans de vulgaires petits cafés du coin et magasins de fortune un peu partout sur le territoire national. Des villes qui n'entendaient même pas parler de cette noble pâtisserie constantinoise, il y a quelques années, se sont mises à l'adopter dernièrement en lui écorchant le nom en disant bhlaoua au lieu de baklawa, histoire d'être in, alors qu'elles n'ont pas une assise culinaire connue. Pareil pour le Maroc qui s'est invité dans ce jeu pour cette pâtisserie avec le même concept. Bien que le Maroc dispose d'une grande cuisine reconnue, il demeure pauvre dans la pâtisserie traditionnelle. En plus de la «bahloua» et de la corne de gazelle algéroise, il est en train de faire la même chose avec le makroude qu'il ne connaissait pas. Localement, le bourak, le mhalbi, les ktayef, le tajine lahlou, la chbah safra, le khobz aar, etc., sont déjà adoptés ailleurs, souvent d'une façon maladroite malheureusement, sans que l'on sache leur origine constantinoise. Le même phénomène touche rachta d'Alger et chakhchoukat labsakra qui se généralisent avec omission de leurs origines. Ce qui est malheureux aussi, c'est qu'il y a pas mal de pseudo «cuisiniers» qui passent dans les chaînes TV ou éditent des livres de recettes traditionnelles en proposant des mets et pâtisseries mais omettent de citer leur origine (par égoïsme individuel ou par manque de culture gastronomique). Pis encore, ils présentent des plats des pays voisins en les qualifiant de cuisine algérienne. Comme il y a aussi des soi-disant «chercheurs» ou «chroniqueurs» opportunistes, stéréotypés et sans culture culinaire, en mal de reconnaissance qui s'adonnent dans leurs publications à des classifications simplistes de notre gastronomie, collent des origines fausses à certains plats ou les justifient par simple influence des autres cultures, font des associations superflues sans se donner la peine de faire des investigations sérieuses. Ils ne vont pas tarder à nous dire que rien n'est autochtone tout vient d'ailleurs. Cet héritage ancestral mérite mieux que cette banalisation réductrice et ce bricolage d'amateur de dernière minute. Il se doit d'être respecté, honoré et sauvegardé. Il fait partie de notre identité nationale unique au monde comme les grandes cuisines internationales. Dans cette modeste participation, à ne pas occulter la valeureuse cuisine de Mila, dauphine de Constantine, le mahaouer et le makroud mileviens font exploser de joie les papilles gustatives. A savourer sans modération. Contre vents et marrées, du haut de son rocher, Constantine garde fièrement et jalousement sa haute gastronomie et son style de vie dans la sagesse, la sobriété et la sérénité, sans bruit ni fioriture zélée. C'est l'une des caractéristiques de la grandeur culturelle et historique de notre cher pays.