Jeudi dernier, sous les toits du Théâtre national algérien, sur les planches de la petite salle Hadj Omar, dans la pénombre de la scène, les yeux de Meryem Medjkane brillaient plus que les éclairages subtils qui nappaient çà et là la pièce. Elle exprimait là toute sa profondeur de comédienne inspirée mais également les inquiétudes et les joies qui ont accompagné ce projet porté passionnément par plusieurs talents complices. Celui de son compagnon de scène, le danseur Tarik Bourrara qui, au delà de ses fluidités corporelles, s'est avéré capable de jouer juste un texte peu négligeable. Celui du musicien Abdul Kader Sofi, dont la partition s'est fondue dans ce texte, notes en parfaite harmonie avec les mots. Celui de Mokhtar Mouffok qui a écrit la lumière de ce même texte. Celui de la cinéaste Habiba Djahnine dont la création vidéo a servi de ponctuation dramatique. Enfin celui, fondamental, de Hadda Djaber qui, en femme-orchestre, a adapté et mis en scène ce texte tout en assurant la scénographe et le costume. Et quel texte ! Pas moins que L'Aube Ismaël (1996) de Mohammed Dib, récit poétique dense et somptueux, pièce littéraire rare qu'il n'est pas évident de faire passer dans le monde du quatrième art en évitant à la fois la grandiloquence par trop de respect à son égard et la désincarnation en n'en ayant pas assez. Mais la «troupe» éphémère, qui s'est constituée autour de cette aventure téméraire, s'en est sorti avec brio devant la centaine de spectateurs qui n'ont pas tous trouvé place assise dans ce théâtre de poche mis gracieusement à disposition par le TNA. Durant quarante minutes, les deux remarquables comédiens ont tenu en haleine la salle, attentive aux moindres mots, se figurant dans le désert symbolique de cette œuvre aux innombrables significations auxquelles ont été ajoutées celles du poème Feu sur l'ange de l'Intifada du même auteur. Sachant qu'une pièce de théâtre se rode comme un ancien moteur de voiture, la performance était remarquable pour une deuxième représentation, la première ayant eu lieu à Oran, il y a trois jours à peine. C'est déjà une pièce originale et bien menée. Avec plus de jeu au compteur et quelques améliorations de rythme, elle peut devenir une œuvre théâtrale marquante. Les applaudissements nourris qui ont clos le spectacle s'adressaient sans doute aussi à tous les partenaires de cette belle adaptation, essentiellement des associations : Bel Horizon (Oran), Chrysalide (Alger), La Grande Maison (Tlemcen), Leila Soleil (Villeurbanne), Momkin (Marseille), avec le soutien de la région Paca et de l'Institut français d'Algérie. Une combinaison où la passion a dû pallier à l'insuffisance des moyens. Notons que la pièce s'inscrit dans un plus vaste projet, Itinérantes, correspondance artistique transméditerranéenne entre la comédienne Meryem Medjkane (Algérie), la chorégraphe Dalia Naous (Liban), la plasticienne Emilie Petit, et la réalisatrice Camille Leprince (France). Maintenant que la pièce est montée, la première d'entre elles espère convaincre des mécènes algériens pour assurer à L'Aube Ismaël d'autres levers de rideau.