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Le triste sort de la recherche en sciences économiques et sociales dans notre pays
Point de vue . Exclusion, intimidation et violence
Publié dans El Watan le 04 - 02 - 2018

Nous avons dénoncé avec force, dans la presse, la brutalité de ce que nous avons subi du fait de la direction du Cread, sans bénéficier de la protection d'une quelconque tutelle.
D'autres collègues chercheurs, outrés par le procédé, se sont joints à nous et nous avons longuement expliqué qu'il s'agissait d'une violence exercée contre l'accumulation scientifique, la capitalisation de savoirs, de savoir-faire et leur transmission dans un lieu qui devrait incarner ces valeurs afin d'être une véritable institution de recherche. Ne plus vouloir des sciences économiques et sociales, c'est refuser la connaissance sur soi, la compréhension de la société et de son fonctionnement. Il faut alors le dire clairement.
Ce sont les sciences économiques et sociales qui sont ciblées
Il existe une grave dérive qui consiste à humilier les représentants de ces domaines de recherche en leur faisant le reproche de ne pas figurer dans le classement de Shanghai, un classement où figurent, en première place, des universités américaines. Mieux encore, la direction générale de la recherche exige de nous la mise en conformité avec «le modèle anglo-saxon» après nous avoir demandé de nous inscrire dans «le modèle français».
Il faut savoir que dans les universités qui nous sont offertes en référence, l'année universitaire coûte à chaque étudiant de 40 000 à 80 000 dollars par an. Les bibliothèques, sur les campus, sont ouvertes 24h/24. Les enseignants-chercheurs et les étudiants évoluent dans un environnement qui permet l'accès à l'excellence.
Cela n'est pas le cas en Algérie, les étudiants en sciences sociales, dont sont issus les jeunes chercheurs, sont, en majorité, issus des classes populaires et bénéficient d'une scolarité gratuite. Ils sont le produit d'une université qui, à partir du critère de la langue, est désormais une université à deux vitesses : - par l'enseignement en langue française, on a défini des disciplines considérées comme nobles puisqu'elles sont en mesure de permettre un accès à un emploi qualifié et à une position sociale relativement prestigieuse au prix d'une sélection non assumée ; - les sciences économiques et sociales enseignées exclusivement en langue arabe à des étudiants qui, pour la plupart, n'ont pas une maîtrise suffisante d'autres langues, recrutent parmi les étudiants issus de familles ne bénéficiant ni de capital culturel ni de capital économique.
Elles sont devenues, de ce fait, des voies royales vers le chômage. Nous ne saurions, de même, ignorer tous les jeunes qui émigrent chaque année et/ou sont envoyés à l'étranger par manque de confiance dans le système de formation algérien.
Certains sont les enfants de responsables ou de collègues qui se sont battus pour l'arabisation totale des sciences économiques et sociales et qui se sont acharnés sur leurs collègues dits «francophones», traités de tous les noms et rendus coupables de tous les maux. Le marché du travail exerce aussi une discrimination en faveur des professionnels formés à l'étranger.
On peut comprendre que, dans l'état actuel de ce marché, les jeunes chercheurs, formés en Algérie, dans l'enseignement supérieur public et en langue «nationale», soient placés en situation de soumission face à une administration dont les attentes consistent à : - obtenir la prise en charge par les équipes d'études, d'expertises et non de véritables projets de recherche.
C'est ainsi que l'AARDESS a disparu du paysage social et que l'accumulation et la capitalisation d'expériences et de savoirs n'ont pu se faire. Serait-ce donc le destin inexorable de toutes les institutions de recherche en sciences économiques et sociales ? - Obtenir une rupture entre recherche et enseignement dans le domaine des sciences économiques et sociales.
Car comment perdre de vue que les enseignants-chercheurs sont la seule interface qui lie encore un centre de recherche à l'université ? Difficile de comprendre qu'au moment où les appels fusent de partout pour resserrer les liens entre les deux instances de la production scientifique, la recherche et la formation, des pratiques irresponsables militent en sous-main pour couper un cordon ombilical déjà bien fragile, renonçant à irriguer l'enseignement au sein des instituts, des facultés et des départements par l'expérience acquise dans la recherche.
De plus en plus, les universités sont transformées en «garderies», dont la mission réelle serait de contenir une possible révolte sociale des jeunes qui n'ont plus comme horizons que le chômage et de la harga.
Ces violences visent à obtenir la soumission d'une catégorie sociale
Il s'agit de soumettre les universitaires, les diplômés d'université, les cadres de la pensée à une administration qui, peu à peu, est devenue le «Big Brother», c'est-à-dire une entité violente et dont les pratiques sont erratiques. Il s'agit d'obtenir, par la violence, une soumission plus large du pays à une logique de pensée néocoloniale dans laquelle nous tenterions sans cesse de rattraper ceux qui demeurent les maîtres du jeu. Pour ce faire, on met à l'œuvre, sur le champ de la recherche en sciences économiques et sociales :
l une violence symbolique qui est légitimée par une prétendue opposition entre économie politique et analyse économique.
Or comment lire un modèle, comment lire une courbe, un tableau si on renonce à la compréhension des phénomènes observés comme le font ceux qui opposent «sciences exactes» et celles qu'ils appellent «les sciences du discours».
Nous sommes épuisés par les conditions matérielles dans lesquelles nous travaillons : manque d'espace, saleté, manque de chauffage, amphithéâtre aux vitres cassées et aux plafonds éventrés, coupures d'électricité, connexions capricieuses et aléatoires, manque de moyens réduisant les déplacements sur le terrain, distribution clientéliste des mobilités, absence de concertation et de démocratie dans la gestion et le fonctionnement de l'université. Les conditions de travail qui nous sont faites sont une illustration du statut qui est assigné à nos disciplines dans l'enseignement supérieur et la recherche scientifique.
* La demande de soumission portée par l'administration s'exerce aussi par l'imposition du système LMD à des enseignants qui hurlaient qu'ils n'avaient pas les conditions d'application d'une mesure venue d'ailleurs, appliquée là-bas à des effectifs très réduits quand, du fait de la massification, les effectifs dans nos salles de cours peuvent dépasser la centaine d'étudiants.
* La soumission a été recherchée aussi par la hausse des salaires de 2008. Une partie de la communauté universitaire a été «anesthésiée» à cette occasion. Elle ne court plus que derrière son niveau d'accès à la rente pétrolière, ignorant ses missions. Nous nous sommes aussi laissé anesthésier. Notre soumission a été actée par notre relatif silence, occupés que nous étions à témoigner par nos travaux, satisfaits d'avoir encore accès au terrain.
* La soumission, ce sont aussi les compromissions, la mise au pas par des manœuvres dilatoires et le dévoiement de l'activité syndicale au sein des universités. Il n'y a plus aujourd'hui d'instances de médiation dignes de ce nom.
* La soumission est aussi exigée de nous par la violence physique comme en ont fait les frais nos collègues d'Alger 3, qui voient encore déambuler devant eux leurs agresseurs étudiants puisque l'administration n'a pas voulu ou pas pu appliquer les mesures prévues par la loi. Le même arbitraire a été mis en œuvre à l'encontre de plusieurs de nos collègues dans d'autres universités du pays.
* L'injonction de soumission est enfin à l'œuvre, ces dernières semaines, dans la violence exercée sur les résidents de médecine au sein de l'hôpital Mustapha Pacha.
Le sens de cette tribune
Il ne s'agit pas de nous plaindre de notre sort, bien que la blessure soit grande pour chacune et chacun d'entre nous, mais de rappeler quelques vérités : une société qui renonce à se penser, comme le manifeste la mise à mort des sciences économiques et sociales, se soumet nécessairement à ceux qui la pensent et ont une stratégie en sa direction. C'est ce qu'exige de nous la soumission aveugle au modèle anglo-saxon, après le modèle français. Nous serons toujours au bas de l'échelle de Shanghai, comme le sont nos unités économiques.
Nous ne les rattraperons pas. Nous pouvions pourtant faire autrement, à partir de ce que nous sommes, en acceptant de nous penser. En acceptant de savoir ce qu'est une unité agricole chez nous, quelles sont les réalités des familles algériennes, leurs comportements, les stratégies qui travaillent le corps social, les diverses politiques mises en place, les vérités contenues dans les textes sur les hydrocarbures, la santé, l'agriculture, l'éducation, etc. Mais, peu à peu, la distinction entre disciplines de prestige et parents pauvres de l'université s'estompe. C'est de la formation d'une élite qu'il s'agit.
Et alors notre situation rejoint celle des cadres emprisonnés, des quadragénaires mis à la retraite anticipée. Dès lors, on entend différemment les propos élogieux réservés «à nos cerveaux installés à l'étranger». Nous n'avons pas de problèmes avec eux, nous sommes heureux qu'ils puissent disposer de bonnes conditions de travail.
Mais nous comprenons que nous sommes «un cerveau» à l'étranger et «un ennemi de classe» ici. Certains d'entre nous sans avoir résidé à l'étranger jouissent d'une reconnaissance internationale, d'autres ont eu une carrière à l'étranger et, alors, ils étaient des «cerveaux».
De retour au pays, ils sont tous méprisés et sont devenus inutiles. Et donc, éligibles à l'exclusion. Ainsi, une catégorie sociale est maintenue à l'écart du débat social depuis des décennies. Il est interdit de «penser la société». Il est juste permis de «compter», d'obéir davantage à un pouvoir qui n'est plus qu'un corps administratif violent et autoritaire. 1984 de George Orwell n'est pas loin. Un Etat, digne de ce nom, repose sur des institutions légitimes.
L'institution universitaire, comme la justice, la santé et bien d'autres institutions, n'a cessé de recevoir des coups de boutoir. L'âge nous rattrape, nous sommes la génération qui a rêvé l'Algérie, qui a assuré la continuité de la transmission à l'université et n'a pas voulu la quitter dans ses heures les plus sombres. Nous allons nous effacer, ce sont les lois de la vie qui l'imposent, mais nous ne pouvions partir en silence, humiliés, violentés et, par-dessus tout, complices de ce dont nous n'avons cessé de rendre compte dans nos travaux mais que personne n'a voulu entendre.
Par cette tribune, nous voulons interpeller toute la communauté universitaire nationale, prendre à témoin l'opinion publique nationale et internationale et la société algérienne dans son ensemble, sur une forfaiture qui risque d'entraîner d'autres graves dérives et concerner, alors, toutes les institutions d'enseignement et de recherche en sciences économiques et sociales du pays.
Puisse cet appel à la mobilisation de toutes les consciences être entendu et que notre cri ne soit pas seulement une alerte à verser comme une énième pièce-témoin de la mise à mort inexorable de l'enseignement et de la recherche en sciences économiques et sociales dans notre pays.
Les signataires :
- Mourad Boukella, professeur des universités, directeur de recherche en économie ;
- Louisa Dris-Aït Hamadouche, maître de conférences en sciences politiques ;
- Tayeb Kennouche, enseignant chercheur en sociologie ;
- Fatma Oussedik, professeure des universités, directrice de recherche en sociologie ;
- Madani Safar Zitoun, professeur des universités, directeur de recherche en sociologie ; - Khaoula Taleb Ibrahimi, professeur des universités, directrice de recherche en sciences du langage.


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