Verser le sang d'un être humain le jour où seul le sang d'une offrande doit couler était une tentation à laquelle Bush et son équipe ne purent résister. L'opportunité était là pour humilier le monde islamique et son rite sacré de l'Aïd El Kebir. En même temps se présentait pour eux l'occasion de se débarrasser de Saddam Hussein, devenu trop encombrant. En donnant rapidement leur feu vert à son exécution, les Américains voulaient éviter que les autres charges qui pèsent sur l'ex-président irakien ne soient examinées, tout particulièrement le dossier de la guerre irako-iranienne. C'est précisément le dossier le plus gênant des puissances occidentales. Et Bush ne voulait pas se fragiliser davantage en Irak par les révélations que n'aurait pas manqué de faire Saddam, y compris lors de son simulacre de procès. En accélérant sa disparition, le chef d'Etat américain espérait gommer une page noire d'histoire. Il faut rappeler qu'au fait de sa puissance au début des années 1980, Saddam Hussein était reçu en grande pompe dans les capitales des pays développés qui voyaient en lui le seul homme en mesure d'endiguer le khomeinisme alors triomphant. A ce moment-là, l'Occident tremblait de la montée en puissance de l'Iran et de son idéologie. Laïc et panarabe, Saddam Hussein était viscéralement hostile aux nouveaux maîtres de Téhéran et aux chiites en général. Dans son pays, ceux-là furent d'ailleurs constamment persécutés. En outre, il visait à arracher aux Iraniens le Chatt El Arab. Comme l'Irak était une pièce maîtresse dans leur stratégie dans la région, les Occidentaux fermèrent les yeux sur les innombrables atteintes aux droits de l'homme dans le pays. Saddam y avait installé une impitoyable dictature qui emporta tous ceux qui osèrent s'opposer à son règne dont les Kurdes. Le gazage de la ville de Halabja fut un des épisodes les plus noirs du règne de Saddam Hussein qui entraîna par ailleurs son pays dans une des guerres les plus effrayantes du XXe siècle, se soldant aussi bien du côté irakien que du côté iranien par la perte de dizaines de milliers de personnes. Pour mener à bien cette guerre, Saddam Hussein fut inondé d'armes par les pays occidentaux. Il les paya rubis sur l'ongle avec les dollars tirés du pétrole. Deuxième réserve du monde en hydrocarbures, l'Irak croulait sous l'argent des hydrocarbures. A ce titre également, il suscita les convoitises des Etats industrialisés. C'est à ce moment-là que se dessina le projet américain de s'emparer du pays, ce qui arriva avec Bush junior en 2003 après la tentative demi-réussie de son père en 1991, stoppée en cours de route, dans la foulée de la libération du Koweït. Hypocritement effaré, le monde occidental assiste aujourd'hui à la descente aux enfers de l'Irak qu'une impitoyable guerre civile mène vers le génocide. Sa responsabilité historique vis-à-vis de ce pays, il ne l'avoue pas et ne l'assume pas. La mort de Saddam Hussein ne servira pas à changer la donne car trop de facteurs destructeurs ont été mis en œuvre. Il faudrait une multitude d'actions pour que l'Irak redevienne un pays de paix et de stabilité. Le retrait des forces américaines d'occupation est une condition nécessaire mais pas suffisante. Parallèlement doivent être trouvés des mécanismes pour que les trois communautés que sont les sunnites, les chiites et les kurdes ne s'entre-déchirent plus et puissent cohabiter en harmonie. Seuls les Irakiens et par eux mêmes, dans leur diversité et dans un salutaire sursaut, peuvent choisir leur avenir. L'extérieur, y compris le voisinage arabo-musulman, lui a fait trop de mal, toutes ces dernières décennies. Son cadeau le plus empoisonné aura été finalement Saddam Hussein.