Le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) à Alger a édité, à la fin 2006, un ouvrage de l'historien marocain Abdesselam Cheddadi intitulé Actualité d'Ibn Khaldun. Conférences et entretiens(1). Il s'agit d'une série de conférences et d'entretiens consacrés au penseur maghrébin du XIVe siècle Ibn Khaldun (Tunisie 132-Egypte 1406). Une nouvelle lecture de l'inépuisable œuvre de l'auteur du Livre des exemples et de la Muqaddima est donnée à travers ce livre. Et cela, tout en la plaçant dans le contexte culturel de l'époque. Comme il a tenté des approches entre l'œuvre en question et le legs d'autres penseurs. Comme Aristote, Hegel, Marx, Descartes, Toymbec, Thucydid, Braudel et Max Weber, excusez du peu. Dans cet esprit, il explique l'apport d'Ibn Khaldun pour l'histoire de l'anthropologie et l'épistémologie des sciences sociales. Il cite à ce titre, les concepts de « société », de « civilisation », de « force sociale », de « pouvoir » et de « souveraineté » qui n'étaient, jusque-là, que notions. Pour Ibn Khaldun, la science sert à expliquer et à comprendre. Ainsi, dans son entreprise à créer la « science nouvelle » qu'il appelle aussi « science de la société humaine » ou « science de la civilisation humaine », Ibn Khaldun « se sépare du champ de la philosophie à la fois par son objet et sa méthode » . Cependant, fait remarquer Abdesselam Chaddadi, cette « science nouvelle » ne fait pas « table rase des savoirs du passé ». Au contraire, « elle construit de l'acquis tant des sciences philosophiques que des sciences religieuses, juridiques, linguistiques, littéraires et historiques de son époque » . L'étude de la civilisation chez Ibn Khaldun touche trois « grands domaines », à savoir, les relations sociales et le pouvoir politique, la production économique et les sciences et les arts. Il y définit l'homme comme « animal politique par nature ». De ce fait, « la société est nécessaire à l'homme ». Et « la société humaine fondée sur la coopération pour assurer la vie matérielle et la défense des individus n'est possible que si elle est soumise à un pouvoir politique ». Quant à la loi religieuse, « malgré sa valeur intrinsèque et son extrême utilité pour les sociétés, elle n'est pas considérée par lui comme un élément nécessaire à l'établissement de l'ordre social. Il en donne pour preuve que bien des peuples vivent sans loi révélée, en fondant leur ordre social et politique sur la force ou sur la simple raison » . Concernant l'histoire, sa conception se base sur trois points fondamentaux. En effet, « se donnant comme objectif de rechercher la vérité et l'objectivité des informations historiques, Ibn Khaldun insiste sur la nécessité de faire intervenir, pour l'authentification de celles-ci, en plus de l'examen traditionnel des témoignages toutes les sciences et toutes les connaissances, afin de confronter les faits rapportés à la réalité » . Enfin, il voit en le pouvoir le « moteur » de l'histoire. Comment situer Ibn Khaldun par rapport aux sciences sociales, notamment la sociologie et l'anthropologie ? Pour Cheddadi, la particularité de l'œuvre d'Ibn Khaldun est qu'elle « se revendique comme une science de la société et de la civilisation au même titre que l'anthropologie et la sociologie modernes, et que, par ailleurs, les similitudes qu'elle présente avec ces dernières sur de nombreux aspects sont indéniables ». Aussi, est-il constaté chez Ibn Khaldun cette « tendance... analogue à celle que l'on trouve chez les sociologues et les anthropologues modernes les plus fertiles, à fabriquer des concepts pour exprimer au plus près les réalités qu'il découvre au cours de sa recherche et de sa réflexion ». Néanmoins, estime l'auteur, « nous devons renoncer à faire d'Ibn Khaldun un précurseur des sciences sociales et historiques modernes malgré toutes les affinités que son œuvre présente avec elle » (p.159). L'œuvre khaldunienne doit être abordée selon une « double perspective », en d'autres termes « Tout d'abord, la replacer dans le contexte de la culture où elle a pris naissance. Ensuite, l'étudier dans le cadre d'un comparatisme rigoureux » (p.159). D'autant que « l'universialité de la science est un postulat qui est aujourd'hui abandonné ou, du moins, largement relativisé, même pour ce qui est des sciences exactes. Si l'on admet l'unité de l'homme et de l'esprit humain, on se rend bien compte que chaque culture a apporté des modalités et des formes d'expression différentes à la pensée scientifique, en relation avec la fonction qu'elle assume dans la société et de ses rapports avec les autres éléments de la culture » (pp. 158-159). Que peut apporter la pensée khaldunienne sur les questions d'aujourd'hui, à l'exemple de ce qui est appelé aujourd'hui « le choc des civilisations », les conflits et les extrémismes et l'intolérance ? De part, sa dimension humaniste et universaliste, la pensée khaldunienne « tente d'intégrer tous les acquis du passé humain, d'où qu'ils viennent ». Sa vision sur la société humaine se situe en contradiction avec le « choc des civilisations », dans le sens où la civilisation « en tant que telle est une aspiration comme de l'humanité qu'elle a pour fonction d'assurer la prospérité, la paix et l'harmonie et que c'est sa corruption qui conduit aux conflits et aux guerres » (p.231). Ibn Khaldun pense que la civilisation « dans son essence » est un « bien commun et une aspiration comme de l'humanité, même si elle se présente sous des formes variées, la variété elle-même étant pensée comme source de complémentarité et non de conflit » (p.231). Le livre d'Abdessalem Cheddadi constitue une référence quant à s'éclairer sur la pensée d'Ibn Khaldun. Une pensée qu'il a abordée avec rigueur comme Ibn Khaldun s'est consacré à comprendre et à expliquer la civilisation humaine. Aujourd'hui, on ne peut lire les œuvres du père de la Muqaddima sans étudier d'autres penseurs, à l'exemple d'Aristote, Durkheim, Max Weber, Auguste Comte, Hegel et tous ceux qui se sont intéressés comme Ibn Khaldun à la société humaine. Abdesselam Cheddadi. Actualité d'Ibn Khaldun. Conférences et entretiens. CNRPAH, Alger 2006 - 242 P.