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Extraits. Le prochain roman de Amin Zaoui
Festin de mensonges
Publié dans El Watan le 08 - 03 - 2007

Ce soir, ma langue refuse de s'endormir. Terre sourde, géographie tout en obscurité et en mensonges, je l'ai traversée. Sucrée et amère, je l'ai dégustée, avalée : tfouh... tfouh... tfouh...
Je crache sept fois sur ma poitrine et sur la terre rouge que foulent mes pieds nus et je dis : Louanges à Allah le Beau et le Miséricordieux ! Cette vie, comme un grain de sel coincé dans la gorge, je la transporte, je la supporte. Elle a le goût d'un mauvais vin. Mal de tête.
J'avance dans l'écume des jours.
Depuis cette enfance-là, diabolique, morveuse et empestant, ma vie m'a toujours fatigué. Elle m'a toujours abattu : je l'ai portée, et je la porte toujours sur mes épaules comme un fardeau. Je l'ai traînée et je la traîne inlassablement derrière moi comme un cadavre décomposé. Cette vie-là ne m'appartient pas. Je l'appartenais. Je plonge dans la boue de ma mémoire tatouée par des visages de femmes et je vous raconte ma vie mal brûlée. Pièce par pièce je la démonte ; pièce après pièce je la remonte. Je la retourne, je la détourne, qu'importe. Et je mens.
Louanges à Dieu le Parfait des Parfaits !
D'abord, je ne le vous cache pas, aux dires de ma mère et compte tenu de la pluie d'injures que sans cesse et sans merci mon oncle déversait sur moi, je suis né enfant maudit, un rebut : je mangeais avec la main gauche : la catastrophe ! Une créature satanique. Oui, je mangeais mes repas musulmans hallal avec la main gauche. Un enfant musulman, d'une famille musulmane croyante et pratiquante, mangeait de la main gauche. C'était pour ma mère, pour mes quatorze tantes maternelles et paternelles, ainsi que pour toutes les branches de ma grande famille éparpillée dans les cinq bourgs alentours, le signe de honte : un cataclysme, une condamnation divine.
Manger avec la main gauche était un acte illicite, surtout chez nous, dans notre famille des chorfas, descendants directs du Prophète Mohammed - Que le salut et la paix soient sur son âme et sur celles de Ses compagnons. Cette appartenance à la postérité prophétique et élue était inscrite noir sur blanc, soigneusement sauvegardée sur l'unique copie du manuscrit de notre arbre généalogique. Ce document calligraphié sur une peau de gazelle était enterré dans le mausolée de notre grand chérif, El Hadj Boutaleb, dont les deux grandes pierres tombales étaient faites en or véritable de vingt-quatre carats. Cet arbre généalogique, dissimulé et préservé dans la tombe du marabout, n'était déterré qu'une fois par an lunaire, lors de la nuit sacrée, c'est-à-dire la vingt-septième nuit du ramadan.
Il était lu à haute voix par les chefs des sept grandes tribus, descendants du sang pur du prophète - Que le salut et la paix soient sur Lui et sur Ses compagnons. Et tous les ans, à l'occasion de la nuit sacrée du mois sacré du Ramadan, un calligraphe renommé et borgne - par jalousie, un sultan de l'Arabie lui avait crevé un œil -, vêtu de blanc, arrivait de La Mecque sur un cheval blanc, blanc sur blanc, pour accomplir une mission unique : ajouter à cet arbre généalogique prophétique les noms des nouveau-nés mâles des chorfas. A l'occasion de cette grande fête, hommes et femmes chantaient le Prophète, sa mère Amina et son épouse Aïcha, et la cérémonie se prolongeait jusqu'à l'aube. Tous les hommes, mon grand-père paternel et mes oncles paternels, avaient appris le Coran. Ils avaient tous le livre d'Allah dans le cœur. A peine étais-je âgé de quatre ans, que ma mère chercha à cacher ma disgrâce, blasphème, aux yeux des membres de la grande famille : un enfant musulman, dont le nom était inscrit sur la peau sacrée de la gazelle, un descendant du Prophète, mangeant de la main gauche, un mangeur gaucher !
Me voyant utiliser ma main gauche pour manger, ma mère était triste, embarrassée et perplexe. Dans son silence enragé et explosif, elle ne cessait de crier à qui voulait l'entendre : « J'ai accouché d'un petit cochon, j'ai accouché d'un petit cochon ! Seuls les roumis et les juifs mangent avec leur main gauche. » Ma mère ne manquait pas d'intelligence. Un jour, il lui vint une idée salutaire et diabolique : ainsi, avant que je ne prenne place entre mes six sœurs entassées trois fois par jour, à l'heure des repas, autour de la meida, ma mère m'attacha la main gauche dans le dos avec son foulard de soie orné de versets coraniques, d'oiseaux édéniques, d'arbres, de rivières, de cascades, en me lançant un regard impérieux, et en me tendant rudement une cuillère de bois usée pour manger le gassaâ, du couscous ou des haricots blancs disposés sur le grand plateau en argile rouge. Elle prit place, à son tour, sur une peau de chèvre, non loin de la table, replia ses jambes, et, d'un œil vif de louve, elle me surveilla jusqu'à la dernière bouchée. Elle ne mangerait, dit-elle, que lorsque nous aurions terminé et resterait là la dernière. J'éprouvai de grandes difficultés à amener la cuillère à ma bouche et renversai la moitié du contenu sur ma poitrine et mon bas-ventre. « Ne parle pas la bouche pleine », me criait ma mère.
Je quittai, comme à l'habitude, la meida le ventre creux. A l'insu de ma mère, je trichai, avec la complicité de mes sœurs ; comme une petite bête affamée et enragée, j'avalai en hâte ma part de couscous en utilisant directement ma main droite.
Devant ma panique, mes sœurs enfonçaient en hâte des poignées de semoule dans ma bouche en éclatant de rire. Je gardai le silence, secouai en vain ma main attachée dans mon dos et pleurai : je savais que mes six sœurs m'aimaient.
J'avais mal. (…)
De temps en temps, je croisais brièvement mon père dans le patio de la grande maison, mais en réalité je ne le connaissais vraiment qu'au travers de rêves et de cauchemars. Depuis que j'avais ouvert les yeux sur le monde, il était toujours parti, souvent vers l'orient des orients. Fatigué, las, il rentrait d'un long voyage pour en entamer un autre plus long encore. Une fois, je rêvai de lui trois nuits successives, il me parlait en français, lui qui n'avait jamais mis les pieds dans le pays des roumis, le lendemain en hâte, je demandai à mon grand-père de m'envoyer à l'école des athées ; ainsi, et par amour pour mon père, je me mis à l'apprentissage de cette langue bizarre, une langue qui s'écrit de gauche à droite. A son retour, constatant que je commençais à baragouiner quelques mots des roumis, il me lança un grand sourire : il était fier et rayonnait. Le lendemain, il repartit pour un autre voyage, le dernier. Quand il rentra de ce long et dernier voyage, un voyage de vingt-cinq mois, dix-sept jours et dix-huit nuits, soit deux ramadans successifs, pendant lesquels il ne remit jamais les pieds dans la demeure conjugale, mon père découvrit que tout avait changé, que mon oncle, son frère cadet, l'avait fait passer pour mort et s'était emparé de sa femme, ma mère : Hadile. Mon père était un passionné de géographie, de plantes et de religions. De toutes les femmes qu'il avait connues, il n'avait aimé que ma tante Louloua qu'il surnommait Grain de beauté. En effet, Louloua avait un petit grain de beauté noir sur le bord de l'œil gauche. Soudain, sans que quiconque au village fût prévenu, à l'heure de la sieste, il planta sa silhouette grande et fine comme un roseau sauvage devant le portail en bois rouge de la vieille maison tribale et clama fort à ceux et à celles qui voulaient bien l'entendre :« Je suis là. Je suis de retour. »
Il hurla comme un animal blessé, sept fois.
Il était de retour, l'absent.
Malheureusement, il était trop tard.
Personne, ni dans la grande maison ni au village, n'entendit ce qu'il dit. Pas d'écho. Un cri sans effet. Il était seul dans sa voix et dans son regard vide. Mes sœurs, ma mère, ma grand-mère, mes tantes, moi-même, les autres, tous et toutes nous baissâmes la tête et chacun préféra vaquer à ses occupations. Personne ne lui prêta la moindre attention.
Il était le vide, le vent. Rien. Sa voix ne signifiait rien, sa présence non plus. La couleur bleue de ses yeux était éteinte.
Le retardataire.
L'absent.
Le retardataire.
Il jeta un regard sur moi, un regard dur ou doux, sec ou plaintif. Perplexe, je tentai de fuir ses yeux larmoyants. Après hésitation, anxieusement, je me retirai loin de cette maison de fornication et de rancune. Je me précipitai à l'extérieur pour aller chercher le parfum corporel de ma tante Louloua, l'oasis.
Pour ma tante, ce retour de mon père ne changea rien. Rien sur rien. Ce retourné n'était pour elle qu'un chien errant et enragé qui regagnait sa niche à la tombée d'une nuit hivernale, froide et pluvieuse. Ce n'était pas vrai, Louloua savait cacher ses sentiments et ses caprices. (…)
En m'éloignant de la maison, en me débarrassant du regard de mon père, je me crus libre. Mais avant de franchir le seuil de la salle de la mosquée des chrétiens où j'avais l'habitude de rencontrer Louloua, je me retournai pour le trouver derrière moi, collé à moi. Surpris par sa présence, j'eus peur. Je me mis à transpirer et à trembler. Il me prit dans ses longs bras sillonnés de veines et couverts de poils blancs, et serra fort mon petit corps chétif contre le sien à me couper la respiration. Pour la première fois, je sentis l'odeur unique et forte du papa et celle du voyage. Longtemps, il contempla le fond d'eau claire de mes yeux sans dire un mot : il était pieux et absent.
Il avait une barbe blanche naissante et piquante de huit jours et les poils longs de sa moustache étaient jaunis par la fumée de la cigarette. Puis doucement, sans quitter l'ombre de mes yeux, il me lâcha dans l'air comme un oiseau dans le vide et se retourna pour se diriger vers la poussiéreuse petite place publique appelée place des martyrs ou place du marché-hebdomadaire. Je le vis s'éloigner dans sa démarche légèrement claudicante, et c'est qu'alors que je me rendis compte combien il avait vieilli. Jadis, il avait une démarche dindonnante. Je méditais sur sa silhouette. Je sentis alors quelque chose comme de la tromperie ou de la trahison. J'étais un lâche : j'avais trompé mon père, oui, j'avais trompé mon père ! Je savais bien que mon père adorait à la folie ma tante Louloua. Tout le monde pouvait en témoigner. Leur amour n'était un secret pour personne. Ma mère disait :« le parfum de l'amour, ou celui du crime, ne peuvent être dissimulés ».


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