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« L'armée est la seule structure qui fait face aux tempêtes »
Bélaïd Abdesselam s'explique à propos du livre polémique qu'il vient de diffuser sur internet
Publié dans El Watan le 01 - 08 - 2007

L'ancien chef du gouvernement, Bélaïd Abdesselam, revient au devant de l'actualité à la faveur d'un livre pour le moins polémique qu'il vient de « balancer » sur la toile comme une bombe à fragmentation. Posé sur le guéridon, dans un coin de son appartement, le fameux livre est là, gros manuscrit de 322 pages, relié avec soin à défaut d'une publication en bonne et due forme.
Avant de commencer le long entretien de quatre heures qu'il nous a accordé (c'était avant la dernière sortie publique du général Touati), il prend la peine de convoquer un vieux radio-cassettes pour garder une empreinte sonore de l'entretien. « C'est une relique du PAP (plan antipénurie) », blague-t-il. Et une longue rétrospective de commencer sur fond de questionnements de l'histoire tumultueuse de l'Algérie contemporaine.
Monsieur le Premier ministre, vous venez de mettre en ligne un livre que vous avez intitulé Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement. Ce que nous constatons d'emblée, c'est que votre livre se présente essentiellement comme une longue réponse au général Mohamed Touati qui avait critiqué votre gestion dans l'interview qu'il avait accordée à notre quotidien, le 27 septembre 2001. La première question que d'aucuns se posent est pourquoi avoir attendu six ans pour répondre au général Touati, et pourquoi avoir choisi une édition « online » plutôt qu'une édition « papier » ?
Eh bien, que l'on me croie ou pas, ce sont des écueils purement circonstanciels qui ont fait que cela n'a paru que six ans après. J'avais commencé à rédiger ce livre en 2001. Cette même année, il y avait eu les inondations de Bab El Oued qui devaient être suivies deux ans plus tard par le séisme de Boumerdès. Ces deux événements m'ont affecté dans ma propre famille. J'ai eu en tout cas à m'occuper de problèmes familiaux. Ajoutez à cela des problèmes de santé. Tout cela m'a pris du temps, si bien que je n'avais pas la tranquillité nécessaire pour me consacrer à cet ouvrage. Maintenant, pour ce qui est des motivations de ce livre, il se trouve que pour de nombreux observateurs, le général Touati ne s'exprime pas toujours à titre personnel. Il était toujours présenté comme le porte-parole d'une institution. Si ce n'était qu'un point de vue personnel, je me serais gardé de lui répondre. Mais comme il est censé exprimer la position d'une institution, j'ai décidé de lui répondre et je me suis résolu à lui répondre cette fois-ci par écrit. Touati ne faisait en réalité que reprendre une thèse qui circulait depuis longtemps, à savoir que mon gouvernement a été renvoyé parce qu'il a échoué. Quand Ali Kafi m'a dit : ce gouvernement a échoué, nous mettons fin à sa mission, je n'ai pas voulu entrer dans une polémique à l'époque, d'autant plus que le pays était en crise. Après, je me suis mis à rédiger ce livre. Je vous surprendrai peut-être en vous disant que cela fait plus d'une année que le livre est achevé. J'ai essayé de l'éditer en 2006, mais l'on m'a posé des conditions inacceptables. Vous faites un travail et quelqu'un vous dit : vous me cédez ce travail, j'en fais ce que je veux. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire une opération commerciale. Mon objectif était de faire connaître mon point de vue. Aussi, ai-je été amené à dire à l'un des éditeurs que j'ai contactés : prenez l'ouvrage et publiez-le. Je ne vous demande rien d'autre. Mais lui, il a exigé que je signe un contrat en vertu duquel je devais lui céder tout, pour toutes les langues, pour tous les pays et pour toute la durée des droits. En contrepartie, il s'engageait à imprimer 1000 exemplaires. A l'évidence, j'ai refusé ce marché. C'est ainsi que je me suis résigné à le diffuser par internet. Voilà. Ce sont ces circonstances qui ont accompagné l'élaboration de ce livre. Ce n'est ni une conjoncture politique, ni un calcul particulier. Ce sont simplement les aléas que je viens de citer.
Vous avez pris la tête de l'Exécutif juste après l'assassinat du président Boudiaf. Vous vous êtes assigné une mission de redressement économique et de retour à la stabilité, et pour cela, écrivez-vous dans votre livre, vous avez préconisé une période de transition de 5 années assortie de la proclamation de l'état d'exception. Ce qui n'a évidemment pas été observé. Pourquoi aviez-vous recommandé le recours à l'état d'exception ?
Cette question nous renvoie à une question fondamentale : pourquoi a-t-on fait le coup de janvier 1992 ? C'est tout le problème. J'estime que ce qui s'est passé le 11 janvier 1992 est quelque chose de très problématique. Le peuple a voté. Il y a eu un résultat électoral. On a enlevé le chef de l'Etat. On a annulé les élections. On a engagé le pays dans un processus qui a abouti à ce que vous connaissez. Après les événements du 5 octobre 1988, Chadli était désemparé. Il a réuni le bureau politique du FLN et a demandé : dites-moi si je dois partir, je suis prêt à partir. Quelqu'un lui a répondu : ce qui vient de se passer, c'est le signe que nous avons échoué. Par conséquent, nous devons tous partir. Evidemment, ce n'est pas la solution qui a été adoptée. Chadli s'est donc maintenu et a poursuivi ses prétendues réformes. Pour autant, le mécontentement populaire ne s'est pas arrêté. On a donné ainsi la possibilité au FIS d'exploiter ce mécontentement et il est devenu l'opposant par excellence.
Vous notez que la manière dont Chadli a été « démissionné » était un « véritable coup d'Etat » que l'ANP aurait dû assumer en tant que tel. Et vous précisez que « c'est un coup d'Etat contre le peuple plus que contre Chadli ». En acceptant la responsabilité, vous avez, d'une certaine manière, cautionné ce coup d'Etat…
Non seulement je l'ai cautionné, mais j'étais pour le coup d'Etat. Mais je dis qu'il aurait fallu le faire au moment opportun et le faire dans une logique salvatrice pour le pays. A partir du moment où l'on a laissé se faire le processus électoral, on a donné une légitimation au FIS. Avant les élections, le FIS était un parti politique. Après les élections, c'est devenu un parti représentatif. C'est différent. Il a gagné les élections. Ce n'est pas la même chose. Vous n'avez plus affaire au FIS, vous avez affaire au peuple. C'est complètement différent. On ne pouvait pas se permettre un tel acte qui est très grave du point de vue politique si on ne l'accompagnait pas d'autre chose. Il fallait donc une politique entièrement nouvelle. Une politique qui apportât au peuple la réponse qu'il attendait. On m'avait consulté à l'époque sur cette question. On était venu m'annoncer qu'il était question de faire démissionner Chadli et de le faire remplacer. On était venu me dire : « Ton nom est cité. »
Qui « on » ?
Je le dirai peut-être plus tard… Enfin, quelqu'un qui était dans le coup, plus ou moins. Je lui ai dit : on aurait fait le coup d'Etat avant décembre (1991), c'est une chose. Maintenant, c'est autre chose. Vous ne pouvez pas dissoudre le FIS seul et laisser le FLN. L'appareil du FLN qui a conduit cette politique, vous ne pouvez pas l'épargner. Pour cela, Chadli ne devait pas partir comme cela. J'ai dit qu'il fallait le destituer en condamnant sa politique. A partir de là, il eût fallu se donner le temps de mettre en pratique une politique nouvelle avant de retourner au processus électoral. A l'époque, j'ai estimé qu'il fallait une période de cinq ans pour mener à bien ce redressement. Mais eux, au lieu de cela, ils firent démissionner Chadli. Pis encore, ils lui fournirent l'occasion de sortir par la grande porte.
Mais pourquoi l'état d'exception ?
Concernant l'état d'exception, de deux choses l'une : ou bien vous êtes dans un régime constitutionnel. A ce moment-là, vous gouvernez avec un Parlement. Est-ce que vous pouvez le faire avec un Parlement qui n'est pas à vous ? Le FIS aurait objecté : j'ai gagné les élections, dégagez ! Moi je dis : pour pouvoir agir, vous êtes obligé de revenir à une situation de pleins pouvoirs. Vous mettez donc en congé le Parlement et vous suspendez la Constitution en proclamant l'état d'exception qui, soit dit en passant, est une mesure pleinement constitutionnelle. Mais l'état d'exception tel que je l'ai préconisé, il n'avait de sens que s'il était accompagné d'un programme qui se fixe des objectifs et qui donne des rendez-vous et ne pas rester ad vitam aeternam. Parce qu'il faut bien un jour ou l'autre revenir aux élections, sinon, cela devient autre chose et ne parlons plus de démocratie. L'état d'exception comme l'état d'urgence sont des mesures censées faire face à une crise. Et une crise qui dure signifie qu'il y a quelque chose d'anormal. On ne peut pas continuer à faire de mesures à caractère exceptionnel quelque chose de permanent. C'est implicitement un aveu que l'on n'a pas attaqué les vraies causes de la crise.
Votre livre suscite de nombreuses questions par rapport à certaines allégations que vous faites, et qui ont des accents de véritables révélations, voire de « pavé dans la mare ». Vous citez par exemple le scandale financier de la société italienne ENI qui aurait versé 30 millions de dollars de commission pour un marché de gaz. Vous écrivez : « Par la suite, après mon limogeage, certains amis proches de ce qu'on peut appeler pudiquement les milieux bien informés, m'avaient dit que le jour où je m'étais mis à fourrer le nez dans le contrat de vente du gaz naturel à l'Italie, j'avais signé l'arrêt de mort de mon gouvernement. » Peut-on connaître les développements de cette affaire ?
D'abord, je me dois de préciser que je ne voulais pas mener une lutte contre la corruption par la politique du bouc émissaire en livrant quelques individus en pâture à l'opinion. Dans mon esprit, il fallait prendre des mesures qui ne visent personne et qui touchent tout le monde. Quand il y a eu cette affaire du gazoduc italien, le scandale a éclaté sur le plan international. En tant que chef du gouvernement, je ne pouvais pas ne rien dire. Certains ont cru que je visais un homme qui était influent dans le système, en l'occurrence Larbi Belkheir. Or, je n'ai pas visé Belkheir. Un grand chef d'entreprise étranger avait avoué qu'il avait versé une commission importante contre un contrat. Il avait dit qu'il l'avait fait au profit d'un intermédiaire libyen qui lui avait été présenté par le président du Conseil italien, M. Andreotti. Or, il est de notoriété publique que M. Andreotti était venu plusieurs fois en Algérie accompagné de cet intermédiaire, et qu'il a été reçu par Chadli avec Belkheir. Je ne sais pas pourquoi M. Belkheir s'est considéré comme visé. Nezzar est venu me dire Belkheir veut te voir. Je lui ai dit : je n'ai rien à lui dire. Qu'est-ce que je vais lui dire ? Il y a eu ainsi un fâcheux quiproquo. Mais moi, je ne partais pas de l'idée que Belkheir était coupable.
Vous affirmez avoir engagé un cabinet international pour enquêter sur cette affaire. Avez-vous obtenu des résultats probants de ces investigations ?
Non. Les investigations, je les ai lancées, mais je suis parti avant d'en connaître les conclusions. On m'avait simplement dit : on peut vous dire qui a touché des commissions. Mais avoir des preuves, c'est difficile. Pour cela, il faut avoir la complicité de gens qui ont accès à des documents qui ont un caractère secret, et là, il faut avoir les moyens, il faut payer. Il faut négocier avec les Etats. Il n'y a que des Etats qui peuvent le faire. La société que j'avais engagée était une société sérieuse. C'est la société qui a établi des dossiers sur l'ancien chef d'Etat brésilien qui a été révoqué, ainsi que sur le président Mobutu et sur d'autres chefs d'Etat qui ont été mis en cause sur le plan international. A un moment donné, j'ai dit à quelqu'un de cette société : « On se voit en juillet. » Il m'a répondu : « Est-ce qu'en juillet vous serez encore là ? »
Vous avez mis en place tout un dispositif anticorruption et vous avez même pris part, soulignez-vous, à la naissance de Transparency International à Berlin. Vous parlez de « sabotage » à l'encontre de certaines des mesures que vous avez prescrites, comme l'opération de changement des billets de banque qui n'a jamais abouti. Est-ce à dire que vous rencontriez une farouche résistance sur ce chapitre de la part des « décideurs » ?
Oui, ça dérangeait. Ça dérangeait… On m'a fait « lanterner », comme dirait Touati. Pour l'histoire du changement de billets, force m'est de reconnaître que j'ai commis une erreur d'appréciation et c'est le seul échec que je me reconnaisse. J'aurais dû les faire imprimer ailleurs puisque on ne pouvait manifestement pas les imprimer ici. Si je l'avais fait à temps, j'aurais créé une situation qui aurait consolidé mon gouvernement. Même le terrorisme aurait été frappé. Je me rappelle toujours de ce commandant d'une unité de gendarmerie qui me disait : « J'en suis à mon 50e mort, faites quelque chose. » Le fait est que les terroristes avaient des capitaux énormes en liquide avec lesquels ils achetaient des soutiens. Le changement des billets les aurait contraints à les déclarer, faute de quoi, leurs avoirs seraient devenus du papier. C'était donc une mesure à la fois économique, politique et sécuritaire.
Dans votre ouvrage, vous créditez le général Touati d'un pouvoir plénipotentiaire sous sa casquette de général qui « intrigue de derrière le rideau », selon vos propres termes. Quelle était la qualité de vos relations ?
Pour moi, il est le prototype même de ceux qui sont les promoteurs du modèle assimilationniste. Cela dit, nous avions des relations correctes. Il se trouve que beaucoup de gens me critiquaient en disant que je suis « un homme du passé ». J'ai riposté une fois en disant de mes détracteurs que eux aussi, ils étaient du passé puisqu'ils soutenaient des idées du passé. J'ajouterais que ces idées étaient de celles que nous considérions comme propres aux « partisans de la laïcité et de l'assimilation ». C'était une formule employée dans les années 1940 à l'encontre de gens qui prônaient de suivre le modèle européen. M. Touati me fit le grief que j'aurais proféré une injure. J'avoue que cela m'a un peu choqué. Qu'un général de l'ANP me fasse un tel reproche signifiait qu'il était de l'autre côté, alors que j'imaginais qu'un officier de l'ANP était un héritier de l'ALN qui est née dans le sillage du mouvement national. Nous avons eu quelques échanges aigres-doux mais les choses en étaient restées là. Je me rappelle lui avoir dit qu'il détestait Boumediene. Il m'a répondu : « Je l'ai admiré après sa mort. » C'est là que j'ai mesuré le fossé qu'il y avait entre lui et moi. J'ai réalisé que nous appartenions à deux mondes différents et que nous ne pouvions pas être dans le même attelage. Pour autant, on ne s'est jamais « chamaillés ».
On vous prête des déclarations selon lesquelles « c'est l'armée qui (vous a) ramené ». Vous ne semblez pas en faire un tabou…
Non, non, je n'ai jamais déclaré que c'est l'armée qui m'a ramené. J'ai dit très exactement : « Je me suis engagé avec l'armée. » C'est différent.
Pourtant, vous écrivez : « Je ne crois pas révéler un secret d'Etat en disant que l'ANP assumait la charge du pouvoir » (p 52). Plus loin : « Tout le monde savait que depuis la disparition du président Boudiaf, le HCE n'était plus qu'une chambre d'enregistrement et un organisme de promulgation formelle de décisions prises ailleurs » (p 186)… Quels étaient vos rapports avec le directoire du HCE ? Le considériez-vous comme votre véritable « interlocuteur » ?
Mes rapports avec le HCE étaient globalement corrects. Mais le véritable interlocuteur, c'était Nezzar. Avec les autres, on pouvait parler de certaines choses, mais quand il s'agit de décisions, l'interlocuteur c'était Nezzar. Dans les moments importants, j'avais toujours affaire au général Khaled Nezzar et au président Ali Kafi. Je dirais même qu'il était convenu que Kafi s'abstînt d'intervenir. Il ne prenait pas la peine de parler. Tout le monde savait que le pouvoir était là où il est. Toujours est-il que je me cramponnais à l'idée que je n'étais pas là pour faire n'importe quoi. Que j'étais là pour apporter mon appui à une équipe dans le cadre d'une politique en laquelle je croyais. Je sentais que chez les gens de l'armée, il y avait une certaine solidarité, quelles que soient les divergences qu'il pouvait y avoir entre eux. C'est ce qui fait d'ailleurs la force de l'ANP et c'est tant mieux, parce que s'ils étaient divisés, cela aurait été fatal pour notre pays. Après, il y a eu un problème crucial qui s'est posé pour eux, à savoir l'histoire du rééchelonnement. Derrière se profilait l'enjeu de la libération du commerce extérieur, la question de lâcher la bride un peu aux affaires…
Justement, vous consacrez une bonne partie de votre ouvrage à votre combat pour faire échec à la « thérapie » du FMI et l'option du rééchelonnement que l'on tentait par tous les moyens de vous faire endosser. Votre refus de « tendre la sébile » au FMI ne serait-elle pas, en définitive, la raison principale de votre limogeage ?
Oui, en effet. Ce n'est pas la seule mais c'est la principale raison parce que je persistais à dire que l'on pouvait s'en passer.
Vous citez une conversation avec le général Lamari qui vous aurait dit, après une opération terroriste où plusieurs soldats sont morts, que la lutte antiterroriste ne concernait pas que l'armée et qu'il fallait ouvrir des chantiers pour créer de l'emploi et endiguer la subversion. Ce que vous avez interprété comme une invite à parapher l'accord avec cette institution et sa promesse de verser cash 14 milliards de dollars…
C'était en réalité une discussion téléphonique. Malgré cela, j'ai senti qu'il était « travaillé ». On l'a travaillé dans ce sens. Le problème, c'est que ce n'était même pas un paiement « cash » qui nous était promis. Les gens s'imaginaient que le FMI allait nous verser directement 14 milliards de dollars alors que cela ne se passe pas comme cela. Moi, je tenais à savoir de combien le rééchelonnement allait augmenter notre capacité d'importation. Si c'est une augmentation substantielle, cela vaut le coup. Si c'est de l'ordre de 1 milliard, ce n'est pas intéressant. Ce n'est pas avec un milliard ou 1,5 milliard de plus que l'on va relancer réellement l'économie. Evidemment, moi je raisonnais en fonction des besoins de l'économie. Mais pour certains, c'était en fonction des marchés qu'ils apportaient de l'extérieur en termes de produits à vendre. C'était tant de frigidaires de plus, tant de voitures de plus, de téléviseurs ou de machines à laver…
En filigrane, votre opus pose une problématique de taille, à savoir le poids de l'institution militaire dans la conduite des affaires de l'Etat. Comment voyez-vous le transfert du « pouvoir réel » incarné par l'armée vers des instances civiles élues ?
C'est tout le problème. Dans le contexte où nous sommes, la seule structure plus ou moins solide dans le pays, c'est l'armée. Elle est ce qu'elle est. Vous pouvez dire tout ce que vous voulez sur son compte, c'est la seule structure qui tienne et qui fait face aux tempêtes. Si vous voyez la société civile, la société politique, elles sont déliquescentes. Cela dit, il faut qu'un jour ou l'autre l'armée passe la main. Mais entre les mains de qui cela va-t-il tomber ? Vous me demandez de répondre à une question à laquelle je n'ai pas de réponse. Je ne peux qu'émettre un vœu : c'est que cette classe politique engendre un jour des hommes capables de prendre en main le destin de l'Algérie. Je voudrais dans le même ordre d'idées souligner quelque chose : il faudrait faire la différence entre l'armée et les services de sécurité, car on a parfois tendance à les confondre. Les services de sécurité sont immergés dans la société civile. Je pense qu'ils sont allés très loin. Et je pense que le moment est venu d'assainir un peu les choses. Boumediene avait une autorité totale sur les services de sécurité. Aujourd'hui, les temps ont changé. On doit leur faire la cour pour pouvoir être nommé. Certes, le pouvoir doit avoir des mécanismes pour être informé. Mais il ne faut pas accepter que ces services deviennent les maîtres de la décision. A défaut, on risque de dégénérer vers une société policière d'autant plus dangereuse que ces pratiques sont occultes. Vous connaissez le système du « papier blanc » ? C'est ce qui nous attend. L'information vient, d'où ça vient, qui l'a donnée ? On ne sait pas. Mais elle est versée au dossier. Il faut qu'il y ait une autorité qui dise : j'estime que ce monsieur mérite qu'on lui fasse confiance. C'est moi l'autorité, ce n'est pas vous ! Vous m'informez d'accord, mais vous n'êtes pas l'autorité. C'est ce système-là qui a dégénéré. Je sais qu'au niveau de l'armée, ça leur pèse. Il y avait de hauts cadres de l'ANP qui disaient : « Koulchi yerdjaa âla d'hourna », « tout va nous retomber sur la tête, nous les militaires ». Ils veulent donc se délester de cette charge. Encore faut-il qu'il y ait un bon relais au niveau politique, pas des affairistes ou des gens qui trafiquent les élections.
L'une des choses qui ont marqué votre passage à la tête du gouvernement, une relation très tendue, pas tendre en tout cas, avec la presse. On se souvient particulièrement de la suspension par vos soins du journal El Watan suite à l'affaire « Ksar El Hirane » où des gendarmes ont été assassinés. Dans votre livre, vous soutenez que c'est le général Touati qui a « briefé » El Watan sur cette information et vous y voyez une cabale fomentée contre le général Abbès Gheziel, commandant de la Gendarmerie nationale, pour l'empêcher de remplacer le général Khaled Nezzar à la tête du MDN. D'où tenez-vous un tel scénario ?
Pour tout vous dire, c'est une déduction que j'ai faite a posteriori. Au moment de l'affaire, je n'avais pas cette information. Touati ne m'a jamais parlé d'El Watan. Celui qui m'a parlé d'El Watan, c'était Nezzar. Il m'a dit bon, tu as pris cette mesure. Je les ai rabroués. Maintenant, il faut les relâcher (les six journalistes d'El Watan emprisonnés à Serkadji après la publication de cette information, ndlr). Au bout d'un certain temps, j'ai fait libérer les journalistes. Quant à Touati, il m'a dit un jour que lors de cette affaire, il avait vivement protesté auprès de mon directeur de cabinet. Moi, j'arrivais le matin dans mon bureau et on m'avait mis le journal sous les yeux avec une grande manchette en première page annonçant que quatre ou cinq gendarmes avaient été tués près de Laghouat. Les responsables de la gendarmerie m'ont interpellé pour me dire : « Ils nous ont cassé l'enquête. » J'avoue que cela m'a énervé. Nous étions, il ne faut pas l'oublier, en état d'urgence. Cela vous donne le pouvoir de prendre quelqu'un sans lui donner d'explication et de l'envoyer au Sahara. On avait préalablement convenu avec les organes de presse de faire attention à l'information sécuritaire et ne pas servir de caisse de résonance aux actes terroristes qui étaient en quête de retentissement. Le ministre chargé du secteur avait rencontré les directeurs de la presse auparavant et les avait édifiés dans ce sens. Pour moi, El Watan avait donc transgressé une mesure que l'on avait prise dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Par la suite, j'ai été qualifié d'ennemi de la presse et de bonhomme hostile à la liberté d'expression. Je ne suis pas l'ennemi de la presse. Je dis juste que la presse doit se discipliner dans les situations difficiles. Je pourrais même me targuer d'être celui qui a le plus respecté la presse et les journalistes parce que je n'ai jamais essayé de les acheter. J'aurais pu dire à tel ou tel journal, je prends en charge vos factures et, en retour, mettez-vous à mon service. Je ne l'ai pas fait.
J'aimerais, si vous le permettez, aborder un autre point polémique vous concernant, à savoir une formule aux allures de « fetwa » qui vous est prêtée avec insistance. Je pense à l'expression « laïco-assimilationnistes » proférée à l'encontre des démocrates, des gens de gauche et autres journalistes de la presse privée, les désignant à la vindicte populaire, voire terroriste, comme cela vous a été maintes fois reproché. Peut-on connaître votre version à ce sujet ?
Le jour où j'ai évoqué cette expression, je m'étais exprimé en langue arabe en disant : « Ashab alaïkia wel indimadj », « les adeptes de la laïcité et de l'assimilation ». On m'en a fait un procès d'intention alors que je n'ai jamais employé l'expression « laïco-assimilationniste » en tant que telle. La première expression fait référence à une formule que nous employions du temps de la colonisation. Ceux-là, nous les voyons ressurgir sous une autre forme aujourd'hui. Il m'est arrivé de dire que parmi les gens qui nous attaquaient, il y avait certains éléments de la presse, des partisans de la laïcité qui étaient contre nous sur le plan doctrinal, mais, de là à en faire des cibles pour les terroristes, l'argument, ma foi, est court. On arguait qu'à partir du moment où ils étaient dénoncés, on en faisait des cibles potentielles. Fallait-il donc ne rien dire alors que de leur côté, ils s'en prenaient allégrement à moi ? Ce n'est pas équitable.
Avez-vous eu des réactions « en haut lieu » depuis la sortie, ou plutôt… la mise en ligne de votre livre ?
Non, pas à ma connaissance.
Un commentaire à propos de la lettre du général Touati parue ce lundi dans les colonnes du Soir d'Algérie ?
J'estime que dans l'ensemble, il n'a rien apporté de nouveau. Je constate qu'il est resté fidèle à lui-même, avec ses imprécations et ses jugements de valeur. Il a parlé de la souffrance de sa famille, particulièrement de sa grand-mère durant la colonisation. Je m'incline pieusement devant cette grand-mère courage et devant tous les habitants de cette région que cite M. Touati, ainsi que tous les Algériens qui ont subi la répression coloniale. J'ai noté, par ailleurs, que le général Touati est revenu sur l'histoire du rééchelonnement en affirmant que j'ai laissé l'Algérie au bord de la cessation de paiement. Je relève qu'il a manqué de préciser à partir de quel jour cela a-t-il commencé. Je soumets à votre appréciation cette édition du journal Le Monde datée du 31 janvier 1994 avec ce titre : « L'Algérie suspend le paiement de sa dette extérieure ». Moi, je suis parti en août 1993 en laissant derrière moi 2 milliards de dollars à la Banque centrale en plus d'un stock d'or. Le Monde cite d'ailleurs un banquier algérien qui s'étonne que ces 2 milliards aient « fondu » en si peu de temps.
Hormis l'écriture, que devient aujourd'hui Bélaïd Abdesselam ?
Je suis chez moi. Je souhaiterais poursuivre mes réflexions. J'aimerais écrire d'autres ouvrages encore. Mais est-ce que j'aurai le temps et la sérénité nécessaires pour le faire ? Je l'ignore…
Repères biographiques
1928 : Naissance à Aïn Kébira, actuellement dans la wilaya de Sétif. Bélaïd Abdesselam est, toutefois, originaire d'Ighil Bammas, en Grande Kabylie.
1944 : Adhésion au PPA.
1945 : Arrestation suite aux manifestations du 8 mai 1945, suivie de 10 mois de prison.
1950 : Rencontre déterminante avec Abane Ramdane. Obtention du bac, série sciences expérimentales, et inscription à la faculté de médecine d'Alger.
1952 : Désignation par le PPA à la tête de l'Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord (AEMAN).
1953 : Entrée au comité central du MTLD.
1954 : Départ en France au mois d'octobre pour reprendre ses études à la faculté de médecine de Paris.
1955 : Création au mois de juillet de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA).
1956 : Participation à la grève des étudiants du 19 mai.
1957 : Retour au mois de janvier en pleine bataille d'Alger. B. Abdesselam sera hébergé par Mouloud Mammeri. Transfert vers la Wilaya V, dirigée par Boumediène à Oujda. B. Abdesselam anime une émission patriotique en langue berbère.
1958 : A la suite d'un acte d'insubordination, Bélaïd Abdesselam ayant tenté de rejoindre le CCE de Abane à Rabat, se brouille avec Boumediène avant de se voir confier le bureau du FLN à Tanger.
1958 : Bélaïd Abdesselam rejoint Abdelhamid Mehri au Caire et se charge des étudiants. En septembre, il rallie le GPRA.
1959 : Dirige le comité exécutif de l'UGEMA à Lausanne.
1961 : Participe à l'élaboration du dossier des négociations d'Evian sous le gouvernement de Benkhedda.
1962 : Nommé au sein de l'Exécutif provisoire où il est chargé des affaires économiques.
1963 : Bélaïd Abdesselam devient le « Monsieur gaz » du gouvernement Ben Bella.
1964 : Création de Sonatrach dont il devient le premier président.
1965-1977 : Bélaïd Abdesselam dirige le ministère de l'Industrie et de l'Energie douze années durant, ce qui lui vaudra le titre de « père de l'industrie algérienne ».
1980-1992 : Traversée de désert suite à de profondes divergences avec le régime de Chadli.
1992-1993 : Bélaïd Abdesselam est rappelé aux affaires en qualité de chef du gouvernement après l'assassinat de Boudiaf.


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