Dans la durée du mois de Ramadhan, celui-ci et les prochains d'été encore plus, la vie est rythmée par le fameux adage « chaque retard est porteur de bien ». Que l'économie nationale marche à plat ventre un mois durant ; que chaque décision, y compris de rang subalterne de l'administration, soit remise aux lendemains d'Aïd, il y a là toute une idéologie d'inertie inoculée à la société en seconde nature. Il y a pourtant ce peuple du matin des jours de Ramadhan. Population de résistants par le travail dirait-on. Pour faire turbiner malgré tout l'Algérie y sont notamment les travailleurs des hôpitaux et services publics, les ouvriers d'usines nationales en attente de liquidation, fellahs soumis aux lois de la nature, agents des services de sécurité, militaires en leur guérite aux aguets de bombes humaines, parents d'élèves et enseignants s'échinant à réveiller ces mômes qui ont fait forcément comme les aînés à veiller trop longtemps. Et dont le programme, lui, ainsi que leur horloge biologique, ne peuvent être mis en veille. A travers télé, radios et journaux on a entendu depuis une vingtaine de jours des autorités religieuses et prêcheurs de circonstance clamer haut et fort en leitmotiv que les mosquées n'ont pas formé de terroristes ; pas plus que le système scolaire, qui inonde pourtant les rues en fournées de jeunes desperados interdits d'avenir, n'assume de responsabilité. Le best of de toutes ces bonnes paroles, saucissonnées dans la grille de l'ENTV gouvernementale par d'assourdissants et débiles spots de pub et sketchs chorba, est offert chaque soir que Dieu fait aux citoyens, pour rentabiliser la boîte. Mais point dedans cette lucarne, ne seraient-ce que de fugaces tranches de vie, de ce peuple du matin. L'ENTV malaxe et remâche le faux et usage de faux des valeurs de spiritualité et de démocratie. Et participe d'une colossale contrefaçon ultime : celle du patrimoine national. Beaucoup d'Algériens doivent avoir faim et soif durant ce mois-ci. Le pays n'est pas pour autant livré à la famine. Les gérants de l'ENTV réussissent, eux, petit à petit parce que le temps fait bien pourrir les choses, à rendre inexorablement famélique la vie symbolique de notre pays.
