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Extrait. Roman de Bouchan Hadj-Chikh
« Les barbelés du village nègre »
Publié dans El Watan le 06 - 12 - 2007

En été, le soleil, non content de la chaleur qu'il dispensait sans retenue, profitait de la réverbération de ses rayons sur les murs peints à la chaux pour se faire plus agressif, plus aveuglant encore. Les clients étant rares, Stitou, le Soussi, s'octroyait, à l'heure de la sieste, un répit qu'il jugeait bien mérité. Qui voudrait, en effet, de ses beignets par cette chaleur torride ? Il se retirait au fond de son magasin, loin du réchaud à gaz, de l'huile bouillante et des piles de beignets qui gouttaient sur le plateau de fer blanc percé de mille petits trous. Sur une banquette, accolée au mur du fond de son échoppe qui gardait un peu de fraîcheur, il s'adossait contre un oreiller crasseux, les jambes légèrement repliées. Sur ses cuisses comme support, il feuilletait des magazines, Nous Deux ou Cinémonde, qui lui servaient à envelopper les beignets pour les clients. Lentement, il tournait les pages, appréciant les formes généreuses de chaque star et starlette en maillot de bain une pièce, trop décent, de nos jours, mais qui, à l'époque, représentait le comble de la provocation. Quand le soleil tapait fort sur nos têtes et que nos jeunes voisines — qui se rafraîchissaient sur leurs terrasses en versant sur leurs corps brûlants des seaux d'eau — cessaient de nous montrer un bout de leurs poitrines naissantes, ceux de mes camarades de jeux et moi, qui ne connaissions pas les plaisirs des vacances à la campagne, allions le divertir. Devant la porte de son magasin, le plus futé, Aziz, se présentait, à distance respectable de l'égouttoir et, tout en émettant des sons incompréhensibles, bougeait ses épaules, dans un mouvement rythmé, de haut en bas. En même temps, il faisait tourner sa tête à droite et à gauche tandis que son corps fléchissait sur ses jambes, suivant la même cadence, comme nous avions vu faire certains derviches durant les longues soirées de Ramadhan à la mosquée. Pendant qu'il s'interrogeait sur l'état de santé mentale du petit, son esprit ramolli par les photos des créatures de rêve des magazines, un second se glissait vers la table où étaient empilés les beignets. Avec mille précautions, il en extrayait quelques-uns qu'il déposait délicatement sur un mouchoir à la propreté douteuse. (..)
Je revenais du nouveau marché, construit par la municipalité non loin de l'ancien lavoir. Je tenais dans mes mains des merlans enveloppés dans un papier journal, que ma mère préférait aux poissons bleus à cause de son eczéma. Une explosion secoua soudain la rue des bijoutiers, bondée, où les voitures à moteur ou hippomobiles se frayaient difficilement leur chemin parmi les passants qui envahissaient la chaussée. Quand je tournai la tête, surpris, en direction du marché, je vis des centaines d'hommes et de femmes courir dans ma direction, me submerger, me dépasser, hors d'haleine. Un seul homme demeura imperturbable et, au contraire de tous les autres, se dressa sur la pointe des pieds pour distinguer, par-delà la marée humaine, les raisons de la fuite éperdue d'hommes, de femmes et d'enfants hagards. Je distinguai bien sa nuque qui s'allongeait démesurément, cette nuque sur laquelle vint s'appliquer le canon d'une arme à feu. Et le jeune homme, aux tennis blanches, après avoir tiré la balle mortelle, remit précipitamment son revolver à sa ceinture et se perdit parmi les fuyards. Le plus étonnant fut le bruit de la détonation. Comme celui d'un pétard. Le plus étonnant aussi fut que l'homme s'effondra. Sous mes yeux. Et, le temps de me ressaisir et de commander à mes jambes, coupées, de courir, j'étais déjà en queue du second peloton. Arrivé à l'esplanade, cinquante mètres plus loin, les fuyards se dispersèrent dans tous les sens. Le périmètre où fut exécutée cette sentence se vida de toute âme. Les bijoutiers et les marchands de tissus, tétanisés, attendaient, au fond de leurs boutiques, l'arrivée de la police et des militaires qui allaient les questionner avant d'être embarqués vers le commissariat pour un interrogatoire plus poussé. Je frissonnais d'effroi. J'aurais pu demeurer longtemps dans ce même endroit, avec d'autres adultes et enfants de mon âge, également choqués je suppose, pour connaître la suite des événements, si deux jeunes gens n'étaient pas venus nous intimer à tous l'ordre de déguerpir. Des jeunes gens que je n'avais jamais vus auparavant dans notre quartier et qui s'adressaient aux badauds avec autorité. Je vis les plus âgés obtempérer sans discussion, dociles. Je m'exécutai également en me demandant qui ils pouvaient être pour parler à tout le monde sur ce ton. Puis un flash traversa mon esprit : et si c'étaient des moudjahidine ? Ensuite cette interrogation : qui pourrait croire que je venais d'en croiser un qui exécutait sa mission tandis que deux autres le couvraient ? Je ne pouvais même pas affabuler en les décrivant. Ces Moudjahidine étaient des jeunes gens. Nous qui les imaginions grands de deux mètres au moins, en djellaba, le fusil sur l'épaule, le regard farouche, la moustache épaisse, la peau brûlée par le soleil ! Déterminés.(…)
Le salon de coiffure affichait complet. Ce qui était assez rare. Le coiffeur, Ada, une fois encore, divaguait. A ses clients médusés, il racontait, jouant dangereusement avec le rasoir, qu'en Amérique on mettait en boîte, à présent, du pâté de bœuf, au-to-ma-ti-que-ment. — Les machines sont installées dans les prés, expliquait-il, et, les uns après les autres, les bœufs sont traînés par des cow-boys jusqu'à une issue aménagée pour les guider dans une sorte d'entonnoir. Ils y sont égorgés... — ... égorgés, s'inquiéta l'assistance incrédule. — ... enfin, abattus, rectifia-t-il, avant d'ajouter : ensuite, les bêtes dans cette machine sont dépouillées de leurs peaux, de leurs cornes, de leurs sabots, broyées, morcelées, mises en pâte et en boîtes de conserve qui restent ouvertes à la sortie avant leur fermeture définitive. Et de préciser qu'à ce stade, un gourmet vient tremper son doigt dans la préparation pour la goûter. Si le pâté ne présente pas les caractéristiques d'un animal bien nourri, il arrête la chaîne en tirant sur une manette puis, sur une autre, fait faire à la chaîne de production une marche arrière qui renvoie, au bout du processus, l'animal au pré pour s'engraisser davantage. Nul ne souriait ou ne contredisait l'homme au rasoir qui ajoutait, au terme de tous ses propos, un profond, long et inspiré « ouahhh » qui exprimait l'affirmation incontestable. Je profitai d'un moment d'inattention de la part de l'assistance — qui commentait les conséquences bénéfiques du développement industriel et technologique des USA, où tout était possible, même l'impossible — pour quitter les lieux, redoutant le comportement de Ada quand ma tête serait entre ses mains. Je repassai devant chez moi, me demandant ce que je pouvais faire de l'argent du coiffeur. J'hésitai entre un ballon et des genouillères, pour mieux garder les buts de notre équipe sans déchirer mes pantalons, quand je fus happé par Houari. Il avait sa mine des mauvais jours. Il me demanda, après avoir lancé son poing contre le haut de ma poitrine, pour m'arrêter dans mon élan beaucoup plus que pour me faire mal, « où vas-tu ? ». — Chez le coiffeur. — Je t'accompagne, décida-t-il. Nous nous dirigeâmes vers le salon de son choix, une rue parallèle à celle où se trouvaient les bordels du quartier qui faisaient face, comme un défi, à la Medersa où les enfants étudiaient, le soir, après les cours des écoles françaises, la parole de Dieu et les bienfaits de la glorieuse civilisation arabo-musulmane. Bordels honteux et indiscrets dont le plus fréquenté, au début de la rue, se faisait remarquer par une plaque, au-dessus de la porte d'entrée, sur laquelle on pouvait lire « Maison Blanche ». Sans doute pour attirer les marins américains en bordée. Ce groupe de mots devint pour nous synonyme d'endroit malfamé. Houari me recommanda la brosse allemande — partageant ainsi, sans le savoir, les goûts de mon père pour ce qui touche à la virilité des garçons — alors que je préférai la raie sur le côté. Ciseaux et peigne de part et d'autre de ma tête, le coiffeur attendait que l'on se décidât. (…)
Amin trouva notre domicile agréable et quiet. Il le consacra merkez, point d'appui pour ses operations. Ma mère alla déposer d'autres bijoux au Mont de Piété. Il est dans nos traditions de se ruiner pour garnir la table des invités. Même quand ils s'imposaient.Un soir, nous le vîmes arriver avec un sac de sport et un ballon qu'il fit botter plusieurs fois devant le seuil de notre porte. Mes camarades qui observaient le manège depuis le trottoir d'en face, m'envièrent ce cadeau. Dans notre petite cour, il le fit rebondir plusieurs fois. Il me le lança. Je le bloquai parfaitement. Avec style même. Je ne remarquai pas le sac ni ne me préoccupai de son contenu. Après le dîner, il en sortit une machine à écrire. Ce soir-là, il me parla, en tête à tête, de son expérience d'une autre vie en Indochine, et de sa rencontre avec des vietminh qu'il prononçait comme « vermine ». Sans doute avais-je associé ce mot à un autre parce qu'il me parlait de galeries creusées dans la roche découvertes dans les zones de combats, et des bruits sourds qu'ils entendaient, ses camarades de section et lui-même, sous leurs pieds, dans cette cuvette devenue célèbre depuis : Dien Bien Phu. Il me parla longuement des enfants vietnamiens. Depuis, j'occupais toutes mes soirées à taper de longs textes « subversifs »sous sa dictée ou en m'inspirant des tracts déjà en circulation. Avec pour fond sonore La Ve Symphonie de Beethoven pour couvrir le bruit de la frappe. Au bout de plusieurs jours, tous les mouvements de ce chef-d'oeuvre nous devinrent familiers. Nous pouvions dire quand les cuivres allaient intervenir ainsi que les cordes, en somme tous les instruments de l'orchestre philharmonique de Vienne. Les célèbres quatre notes enchantaient Amin qui disait qu'elles lui rappelaient les bruits d'armes lourdes. Penché sur mon dos, il se redressait soudain quand les cuivres intervenaient, poussant de sonores « Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! ». Ce choix musical n'était pas dû au hasard. Il fallait se rendre à l'évidence. Nous avions essayé plusieurs mélodies, et même du rock'n'roll — Elvis Presley en l'occurrence — sans satisfaire l'exigeant commissaire politique qui pensait, à juste raison, avec mon père, que la réputation de la famille imposait un genre sérieux. En outre, ni la langoureuse mélopée andalouse, encore moins les mélodies orientales ou, plus près de nous encore, les complaintes que l'on arrachait à la flûte de roseau, la gasba de nos cheikhs, ne pouvaient couvrir le cliquetis de la Remington. Ainsi mes préférences furent-elles ignorées et les penchants de mon père mis au goût du jour. Je tapais sur cette machine, une lettre de menaces de mort destinée à un paisible mandataire. Quand je la terminai, après y avoir apposé le tampon « Front de Libération Nationale », j'exprimai le désir d'exécuter la sentence. Ce qui étonna le commissaire. Comme il ne me posa aucune question, j'ajoutai : « Le destinataire est mon oncle maternel et je préférerais que ce soit moi qui aie la charge de cette mission. Pour ne pas être insulté plus tard ». Amin, debout dans mon dos, m'ébouriffa les cheveux et prit le document. Le lendemain soir, après avoir mis le 33 tours sur le plateau du pick-up, il m'annonça que ma remarque l'avait conduit à chercher les raisons du refus de mon oncle de participer à l'impôt de guerre : il militait dans une autre cellule. Et ses cotisations étaient à jour. Ainsi fut évité un meurtre gratuit. Et avortée ma carrière de terroriste, sinon celle d'assassin.


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