Par delà l'effet symbolique d'une date charnière, les démons de l'intolérance campent en Tunisie qui déchante. L'avenir démocratique tant rêvé, est confronté au péril du terrorisme qui entend confisquer le printemps de la lutte pionnière de la jeunesse, incarnée par la désespérance de Bouazizi délivrant le message de feu, et régenter le processus de changement politique aux couleurs de l'islamisme politique triomphant porté, au sommet, par les frères musulmans de la modération feinte ou réelle et, à la base, par le radicalisme salafiste. Cette dualité a été décriée par la société civile et la mouvance démocratique, y compris au sein des partis de gauche de la coalition, qui ont dénoncé, à maintes reprises, la léthargie, voire la complicité, de la formation de Ghanouchi avec les groupes salafistes sévissant à l'université, dans les mosquées, dans la rue et passant à l'acte lors de l'attaque de l'ambassade américaine. La poudrière tunisienne inquiète. Car la dérive terroriste, clairement exprimée par le démantèlement, en décembre dernier, d'un réseau terroriste, a plongé le pays dans le désarroi. Tunis, décrétant l'état d'urgence depuis deux ans, a donc toutes les raisons du monde de tenir la garde haute. La crainte d'attentats par « un groupe armé » n'est pas écartée par les services de sécurité, qui relèvent que « ce groupe dispose d'armes et représente un vrai danger pour la Tunisie ». La dérive salafiste n'est pas une vue de l'esprit. Elle a fait bouger le leader charismatique d'Ennahda déclarant, en l'espèce, que « nous ne voulons pas que la Tunisie subisse le même sort que la Somalie, que la révolution se transforme en chaos ». La sonnette d'alarme est tirée sur la face hideuse de la violence salafiste qui hante la nouvelle Tunisie en panne d'alternative : pas d'avancée réelle dans le débat sur le projet constitutionnel faute de compromis, aucun calendrier électoral fixé à ce jour, report du remaniement du gouvernement traînant en longueur depuis l'été. Ces promesses non tenues de la troïka, exprimées dans le sillage de l'euphorie des élections du 23 octobre 2011, alimentent la défiance et le climat d'incertitudes générées par l'exacerbation des tensions sociales. Tous les espoirs de changement, qui ont soulevé les régions et les catégories sociales défavorisées, ont ainsi fondu comme neige au soleil. Les signaux sont au rouge dans une économie délabrée : un chômage en hausse (18% et plus de 40% de jeunes), une inflation galopante (+5,5%), le désinvestissement, notamment dans le secteur industriel (6%), un endettement croissant (46%, pouvant atteindre le seuil de 51% dans le cas de la nécessaire recapitalisation de l'Etat), la décrue continue du flux touristique... La désillusion plombe la Tunisie en effervescence, traversée par un puissant mouvement de contestation sociale qui a souvent dégénéré en violences, comme ce fut le cas à Siliana, Sidi Bouzid, Kasserine et, il y a trois jours, à Ben Guerdane où le poste frontalier de Bir Jdir (avec la Libye) qui a été saccagé, est, de nouveau, fermé à la circulation. Fait significatif, la fin de non-recevoir opposée au président Marzouki et au président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar, par des manifestants en colère à Sidi Bouzid, fêtant, le 17 décembre dernier, l'anniversaire du début du soulèvement.