C'est avec ces mots forts révélateurs de la forte personnalité de l'artiste que Mohamed, le fils du prince de la chanson oranaise, Houari Benchenet, a engagé avec nous une petite discussion sur ses démons : « Je suis né pour chanter ! », décrétera-t-il, ajoutant que son père, qui en a vu des vertes et des pas mûres, tout au long de ses quarante ans de carrière, ne tenait absolument pas « que je suive son chemin parsemé plus d'épines que de roses. Mais je n'y pouvais rien. Je n'y peux toujours rien ! ». A peine la vingtaine dépassée, Mohamed est déjà son propre parolier. Et également son propre compositeur. « Aussi loin que je me souvienne, je n'ai fait que baigner dans la musique. A la maison, je vivais intensément les recherches musicales de mon père qui crapahutait entre le verbe, les do-ré-mi et les khanates de sa voix pour donner naissance à ses fameux tubes. Bercé par les mélodies paternelles, j'ai instinctivement pris le pli. Une fois ‘« plus vieux », je me suis tout naturellement mis à la chanson. c'est comme si ma voie était tracée malgré moi. » Que pense Mohamed du genre oranais dont son père est actuellement le phare ? « C'est un genre raffiné, élaboré où il y a beaucoup de recherche tant dans les paroles que dans la musique. Mais ce n'est pas encore pour moi, car pour ce qui me concerne, déclare péremptoire l'enfant prodige, j'ai choisi de chanter le raï actuel. A chaque époque ses repères. Moi, je suis de l'époque actuelle qui fait dans le raï léger qui connaît, chez les jeunes, beaucoup de succès. D'ailleurs, même mon père avait commencé avec le raï dans les années 80 avant de s'installer dans l'oranais qui lui va comme un gant. Moi, je veux suivre mon propre chemin afin que lorsque je réussirai, l'on n'attribuera pas mon succès à mon père. Je veux creuser moi-même mes propres sillons ». Malgré cela, le jeune prodige oranais a, enfoui au plus profond de son être, le rêve de réaliser un duo avec son père dans le genre oranais : « Même si je ne m'y suis pas mis, jeune tendance oblige, j'adore le moderne oranais. Quand j'écoute Blaoui, Wahbi ou tous ceux qui, avec mon père, continuent l'aventure de ce genre, j'ai des frisons. C'est tellement beau ! Pour l'heure, Mohamed a sorti deux albums qui, à ses dires, ont enregistré « de belles ventes ». Il s'apprête même à sortir une chanson sportive pour fêter avec les Verts leur participation à la samba footballistique brésilienne : « Je donne rendez-vous à mes fans en juin pour chanter ensemble les victoires d'El Khadra. » Pour nos jeunes lecteurs qui ne savent pas grande chose de Houari Benchenet, on peut apporter un peu d'eau à leurs moulins. Avant de devenir le porte-flambeau du genre moderne oranais, Cheb Benchenet était, dans les années 80, en compagnie de Khaled, Mami, Sahraoui, Fadéla... un pourfendeur de l'ordre établi. Il avait, avec ses complices, donné ses lettres de noblesse au raï. Les festivals d'Oran, les concerts à la Coupole, le Casif de Sidi Fredj et tant d'autres lieux à travers le pays, se souviennent encore de cette génération dorée qui avait ouvert la voie à tous ceux qui, par la suite, s'étaient essayés à la chanson populaire en dehors des moules officiels. Et ils ont si bien fait les choses qu'ils sont arrivés à faire admettre le raï à la prude télévision nationale où il était, durant de très longues années, interdit d'antenne. Si aujourd'hui vous pouvez écouter du raï, du staïfi ou du chaoui à l'ENTV et sur les chaînes privées, c'est grâce à eux... Malheureusement, la majorité de ceux qui, de nos jours, sont entrés par effraction dans ce beau genre, n'ont fait que le dénaturer. Du « rebel song » des années 80, on ne garde aujourd'hui du raï, qu'un agaçant bruit de casseroles.