Abou Abd-Allah ech-Choudi, plus connu sous le surnom populaire d'El-Haloui, était né à Séville, en Andalousie. Il avait étudié, au point où il était même devenu maître et professeur de sciences coraniques. Celui-ci a abandonné Séville, parents, amis et le sceau de la justice, ainsi que son grimoire et ses livres avec leurs gloses. Il vend son bien et il en distribue l'argent aux pauvres ; il dépose le caftan de drap fin et le haïk de soie, se couvre le corps de haillons, prend le bâton, la besace du mendiant, le chapelet du pèlerin, traverse la mer sans verser une seule larme de regret sur ce beau rivage de l'Andalousie qu'il quitte à jamais. Où va-t-il ? A Tlemcen. C'est là qu'un beau matin il arriva dans son bizarre accoutrement et sans un sou vaillant. On le prend tout d'abord pour un fou et on le hue ; mais lui, impassible, laisse s'ameuter et crier la foule. Il sait son monde. Aujourd'hui on le raille, demain on l'applaudira : le fou de la veille deviendra un inspiré, un saint. Il n'est pas sans esprit ni sans savoir ; il a de la ruse, de la finesse, de l'audace, toute la science voulue pour bien jouer son rôle. « Je te tiens, ô foule crédule ! dut s'écrier à part soi le mendiant. Tu crois te jouer de moi, et c'est moi, le pauvre insensé, qui te joue ! Ris donc ; vois, je m'en vais par les rues chantant et dansant ! Ah ! Ah ! Le bouffon ! Je t'amuse, n'est-ce pas ? Je me fais humble et petit jusqu'à vendre des bonbons aux enfants, moi le cadi de Séville ? Mais patience, moi aussi j'aurai mon tour et mon heure viendra ! Vil troupeau, je sais bien le secret de te mener et de te rendre à ma fantaisie. Tu ploieras les genoux devant moi et après ma mort tu baiseras la poussière de ma tombe vénérée ! Va, va, je ne suis ni un fou ni un idiot, quoique mon intérêt exige que je passe comme tel à tes yeux. Non, je suis un charlatan ! Mais doucement : pour toi, je serai l'envoyé de Dieu, un de ses élus, un saint ! Pendant tout le reste de ma vie, tu m'admireras ; j'aurai l'air de vouloir rester pauvre, mais tes dons me rendront riche. Et après ma mort, tes fils, tes petits-fils,et leurs arrière-neveux et toute leur postérité jureront par mon nom trois fois saint ; ils chanteront mes louanges, brûleront des cierges et de l'encens en mon honneur, et feront de l'insensé leur intercesseur auprès de Dieu Très Haut ! Ce rôle est à ma taille ; il me convient de le jouer. Que ta volonté soit faite, celle de Dieu et la mienne aussi ! » Mohamed Medjahdi