Lahouari Addi, venu samedi dernier à Bejaïa, à l'instigation du Café littéraire pour présenter son livre « L'Algérie et la démocratie : pouvoir et crise du politique dans l'Algérie contemporaine », paru initialement en France en 1994 et récemment réédité par Dar El Maârifa, a préféré ouvrir un débat devant un auditoire qui s'est déplacé nombreux au théâtre régional de Bejaïa que de parler du contenu de son livre, seulement. En guise d'introduction, Lahouari Addi a, d'abord, expliqué que les sciences sociales n'ont pas valeur universelle et que leurs productions sont, d'abord, destinées aux sociétés où elles sont élaborées. Il citera, à titre d'exemple, la sociologie de Pierre Bourdieu qui a, certes, pris comme objet de recherche la société kabyle mais qui tendait, en définitive, de convaincre les Français que cette société, qu'ils qualifiaient de tous les noms que le colonialisme et le racisme pouvaient mettre à leur disposition, était aussi « normale » que n'importe quelle autre communauté humaine. En définitive, dira Lahouari Addi, la posture qu'il pouvait tenir, lui, en tant qu'Algérien, ne peut pas être celle de Bourdieu, en étudiant l'Algérie. La sociologie, argue-t-il, doit être critique et ancrée dans sa société, son histoire, ses préoccupations. Lahouari Addi explique, ensuite, ce qu'est le concept de société, qui est une construction historiquement récente, inséparable de celle de la modernité. Vivre en société, argue-t-il, signifie placer la valeur du respect de la vie humaine au-dessus de tout. Une attitude, pense-t-il, qui éloignera la société de la violence religieuse. Il précise que la modernité ne signifie toutefois pas divorce d'avec la religion. « Qu'est-ce l'Algérie ? », s'interroge-t-il. « Est-ce les montagnes ? L'Algérie, c'est les Algériens. Si on ne respecte pas l'Algérien, on ne respecte pas l'Algérie », lance-t-il à l'assistance en insistant qu'il faut « re-sacraliser l'individu ». De là, Lahouari Addi passera à une lecture de l'Etat algérien, sa naissance dans la violence de la lutte pour l'indépendance et la prise de pouvoir par l'institution militaire qui s'est substituée aux autres instruments de modernisation, estimant que le nationalisme algérien a vite montré ses limites en dévoilant son incapacité à aller vers un Etat de droit. Pour Lahouari Addi, l'autoritarisme de l'Etat algérien procédait d'une volonté paternaliste et naïve de protéger l'Algérie des divisions auxquelles mèneraient inévitablement la politique et les politiciens. « Le pouvoir algérien ne faisait pas confiance à la société », estime-t-il, ajoutant qu'« en voulant la protéger des divisions politiques, il l'a étouffée », alors que, comme le corps humain respire par les pores de la peau, « la société respire par le politique ». Comme conséquence, estime-t-il, l'Algérien et l'élite algérienne post-indépendance sont moins performants que l'Algérien et l'élite qui ont vécu sous la colonisation dans des conditions bien moins favorables. Lahouari Addi en vient, finalement, à la question essentielle qu'il se pose : « Avec l'Islam, peut-on produire une Algérie moderne ? » Oui, répond-il, à condition, toutefois, que la religion devienne une affaire privée, individuelle. La société algérienne, estime-t-il, est en train de se séculariser et c'est ce qui suscite une réaction violente de la conscience religieuse », alors qu'il ne s'agit, dans ce basculement, que d'une évolution vers la modernité. La société, ajoute-t-il, est une articulation d'intérêts divergents, et c'est le juridico-politique qui permet de réguler les tensions qui en découlent, sinon c'est l'armée qui intervient, avec les risques d'un glissement vers l'autoritarisme. Lahouari Addi finira sa conférence en soutenant qu'en Algérie, ce n'est pas l'armée qui a le pouvoir, c'est-à-dire le soldat, mais l'administration militaire, appelant le corps militaire à prendre conscience des revendications de la population en matière de représentativité au niveau des institutions. Le débat fut des plus éclectiques sur le thème, bien sûr, de la laïcité, l'islamisme et la place de l'Islam, qui s'est taillé la part du lion, mais aussi sur la berbérité, la polémique suscitée par Saïd Sadi autour des personnages de Messali et Ben Bella, la protesta contre l'exploitation du gaz de schiste, les menaces à l'encontre de Kamel Daoud, la fameuse formule de Addi « régression féconde », qu'il continue d'assumer, etc.