Après cela, il me dit : «Maintenant va rejoindre tes frères dans la forêt. Profite bien de ta dernière journée avec eux. Je vous rejoindrai après.» En arrivant à l'emplacement où étaient déjà positionnés mes compagnons, mon trouble ne m'avait pas encore totale-ment quitté. J'étais toujours en proie à une grande peine. Cela, même si j'en étais arrivé à accepter bien volontiers cette nouvelle mission dont je saisissais la portée sur l'avenir de notre lutte armée, ne serait-ce qu'à une toute petite échelle. Je pouvais y contribuer plus efficacement à partir du poste que j'occuperai désormais. Mais, comment ne pas être triste, quand même, de devoir quitter ces compagnons qui, avec le temps, ont fini par devenir ma véritable et grande famille ? J'avais tellement de peine de savoir que j'allais bientôt partir, laissant derrière moi ceux que j'aime tant, ceux avec qui j'ai combattu côte à côte contre l'ennemi. Afin de ne pas montrer ma peine, et ne pas avoir à répondre aux questions qui n'auraient pas manqué de fuser, alors que je ne me sentais pas encore capable d'en parler avec mes compagnons et de leur faire mes adieux, j'ai choisi une place en retrait, à une dizaine de mètres du groupe. Je me suis allongé, faisant semblant d'avoir été gagné par le sommeil. Mais, loin d'être dupes, mes compagnons, mes frères, ma famille, se sont rapprochés de moi, en me demandant ce que j'avais. J'ai répondu que je n'avais rien du tout. Ils m'ont dit alors : «Mais tu as pleuré. Tes yeux sont rouges. Que t'a dit Si Moussa ?» Je n'ai pas voulu leur dire que j'allais les quitter. Si Maâmar m'étonna alors : «Ne le cache pas, nous savons que tu vas partir.» Ça y est, le mot était lâché. Plus aucun de nous ne pouvait retenir ses larmes. Nous pleurions tous comme des petits enfants. Il n'y a pas plus atroce que la séparation avec des êtres qu'on aime véritablement, d'un amour sincère et pur. Vers quinze heures, une fois que nous nous étions assurés que l'ennemi ne viendra pas. Si Moussa réunit la compagnie El-Hamdania pour un rassemblement. Tous les frères étaient tristes. Pas un n'ignorait, désormais, que j'allais partir. Tous devinaient, également, que Si Moussa allait parler de ce sujet, qui préoccupait chacun de nous bien plus que tout autre chose. Après la présentation des armes et le salut au drapeau blanc, vert et rouge, Si Moussa dit : «Mes frères, je vais vous annoncer une nouvelle qui ne vous plaira pas, mais nous ne pouvons rien y faire : Si Cherif nous quitte. Le devoir l'appelle ailleurs. Tous ensemble, avant de lui faire nos adieux, nous allons chanter avec lui. J'espère que cela ne sera pas la dernière fois.» Il me demande d'avancer au milieu. Ce n'est pas sans peine que j'ai pu franchir les quelques pas qui me séparaient de Si Moussa, et me mettre à côté de lui, alors que mon émotion et ma peine étaient à leur paroxysme. Tous les autres moudjahidine, nos frères et compagnons d'armes nous entouraient, ce qui me procurait un incommensurable réconfort. Ah, si seulement cela pouvait durer toute la vie. C'était moi qui étais le «morchide», le secrétaire, l'intendant du commando Si Zoubir et de la Katiba El-Hamdania. C'était également moi l'instituteur qui apprenait aux compagnons à lire, à écrire l'arabe et le français. (à suivre...)