Résumé de la 1re partie n Corrado Barone, locataire de Mme Gilia, est réveillé par des gémissements plaintifs émanant des pièces voisines... Et alors ? —Eh bien, ça fait déjà plusieurs nuits que j'entends des cris. — Des cris ? Et souvent ? — Presque toutes les nuits. — Quel genre de cris ? — Des cris de douleur, ou des gémissements. — Et vous dites qu'il n'y a qu'une vieille dame et sa fille ? — Oui, monsieur le commissaire, mais il y a aussi trois enfants. — Ah bon ! Vous m'en direz tant. — C'est tout de même bizarre, monsieur le commissaire. C'est pas des cris normaux. — Vous pensez que les enfants sont maltraités ? — Je ne sais pas, mais peut-être que c'est ça, monsieur le commissaire.» Des dénonciations de bourreaux d'enfants plus ou moins imaginaires, le commissaire Pierangeli en entend tous les jours, aussi est-ce avec une certaine désinvolture qu'il se lève et congédie le grutier : «C'est bon, monsieur Barone, je vais faire procéder à une petite enquête. Est-ce que ces gémissements vous empêchent de dormir ? — Oui... Mais parce qu'il n'y a pas que des gémissements ; il y a aussi des cris. — D'accord, nous verrons ça. Mais je vous préviens : si l'enquête s'avère négative, vous ne pourrez rien faire. Ces gens sont chez eux. Si vous ne pouvez pas dormir, il faudra déménager.» Le grutier a l'impression que sa visite n'a été qu'un coup d'épée dans l'eau, et se retrouve dans la rue comme il était venu. Le commissaire Pierangeli ordonne pourtant une petite enquête discrète. Tellement discrète que le carabinier quinquagénaire et chauve qui est en charge n'entre même pas dans la maison. Il se contente d'échanger quelques mots avec Mme Gilia et sa fille sous un prétexte anodin, dans la cour minuscule où s'égouttent des draps tendus sur un fil, tandis qu'un chat noir se faufile entre les flaques. La vieille Mme Gilia, chevelure blanche et robe noire, est dignement assise dans un fauteuil devant une fenêtre dont les volets fermés ne doivent pas s'ouvrir souvent. Sa fille, d'une trentaine d'années, brune et plantureuse, tient dans ses bras une fillette aux joues roses. Deux bambins, que le carabinier juge fort bien tenus, jouent sur le pas de la porte avec des jouets qui semblent quasiment neufs. Les trois enfants semblent gais et bien nourris. Aucun d'eux ne présente la moindre contusion, pas la plus petite égratignure. De retour au commissariat, le rapport du carabinier peut se résumer en quelques mots : «Les enfants sont bien soignés, certainement pas, maltraités. Ce M. Barone a des visions. C'est vrai qu'il s'agit d'un célibataire. Il ne sait pas ce que c'est que d'avoir trois enfants.» Pourtant, le jour approche où le grutier Con-ado Barone va recevoir un choc. Ce matin-là, le brave homme, qui doit partir pour quelques jours dans son village natal, entre à l'improviste chez sa propriétaire pour payer le loyer. Les trois enfants sont partis avec leur mère. Tandis qu'il compte ses billets sur la table de la salle à manger, la vieille Mme Gilia semble pressée d'en finir : «Laissez ça, dit-elle. Je les compterai moi-même. Je vous fais confiance.» Comme d'habitude, son ton est impératif. Dans son visage sévère, le regard des yeux noirs encore vifs se dirige plusieurs fois vers une porte fermée que Corrado distingue dans un recoin obscur de la pièce et d'où semble provenir un certain bruit. A suivre Pierre Bellemare