Evocation - Demain, 15 mars, sera célébré le 51e anniversaire de l'assassinat de l'éminent écrivain, Mouloud Feraoun, en compagnie de ses cinq compagnons, tous inspecteurs des centres socio-éducatifs. C'était en 1962. Ce jour-là, ils tenaient une réunion de travail au Château-Royal de Ben Aknoun, lorsqu'un commando de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) s'est introduit au centre et a tiré sur eux à bout portant. A l'occasion de cet anniversaire, le Forum culturel d'El Moudjahid a organisé, hier, une conférence-débat sur la vie de l'écrivain martyr, en présence de ses deux enfants, Fazia et Ali Feraoun. Un film documentaire réalisé par Ali Mouzaoui et retraçant la vie de Mouloud Feraoun, a été projeté avant le débat. En une cinquantaine de minutes, le réalisateur nous a offert un film émouvant sur un écrivain qui aura porté le combat de son peuple dans sa chair. Avec des mises en scène sur un décor fragmenté et des photos d'archives, le réalisateur a reconstitué les différentes étapes de la vie de l'écrivain : enfant pauvre en quête de savoir, puis instituteur éducateur pour les enfants de son pays, écrivain fidèle à ses racines, revendiquant incessamment l'appartenance de son peuple à une culture authentique qui diffère de celle du colonisateur. Il faut reconnaître, par ailleurs, que le réalisateur a réussi une gageure, celle de présenter Feraoun l'écrivain, attaché à sa culture et à son peuple. Un peuple qui n'est jamais absent de ses écrits, d'ailleurs c'est pour lui que brûle la flamme littéraire. Il porte sa voix pour revendiquer son identité et refuser l'assimilation que voulait imposer le colonisateur. Dans son film, Ali Mouzaoui a préféré présenter l'évolution intellectuelle d'un écrivain plus souvent mêlé au discours politique et idéologique, que littéraire. Même s'il n'y a pas lieu de séparer le politique de la vie de Feraoun, tout le monde sait que Mouloud Feraoun est connu avant tout comme l'auteur d'un des plus importants romans littéraires du Maghreb, Le fils du pauvre. Sa fille, Mme Fazia Feraoun, a justement axé son intervention sur ce volet en précisant : «Pendant plus de 50 ans, le nom de Mouloud Feraoun a souvent été évoqué dans des discours politiques et idéologiques. Aujourd'hui nous sommes soulagés que ces discours se soient retirés pour laisser place au discours littéraire, parce que, actuellement, on parle de sa place littéraire, on évoque le côté humanitaire de l'écrivain et c'est ce qui est important.» Autre aspect important que le film a eu le mérite d'évoquer : peu avant son assassinat, les derniers jours de l'écrivain ont été secoués par des appels et des lettres de menace de mort. Un mal qu'il a dû subir en solitaire et dans l'inquiétude de sa famille. - Interrogé sur le retard de création d'une association consacrée à l'écrivain, Ali Feraoun, qui préside depuis 2012 l'association Mouloud-Feraoun répondra : «L'idée a toujours existé, mais je n'ai pas jugé utile de le faire avant cette date, parce qu'on manquait d'universitaires intéressés par l'écrivain. Il y a eu des initiatives indépendantes à Tizi Ouzou par des personnes ordinaires, motivées par une passion et admiration pour l'écrivain. J'étais la seule personne à pouvoir parler de Mouloud Feraoun convenablement, pendant plusieurs années. Mais depuis quelque temps, il y a des manifestations de haut niveau, où des littéraires internationaux parlent de Mouloud Feraoun l'écrivain, il y a eu même des études et des ouvrages évoquant son legs littéraire.» - Ali Feraoun est aussi revenu sur la période de l'après indépendance où le nom de Mouloud Feraoun était rappelé sous réserve. Il expliquera cela par le fait que l'écrivain qui était membre de l'ALN pendant la Révolution algérienne, n'hésitait pas à porter des critiques sur certains comportements des acteurs révolutionnaires et même exprimait clairement et honnêtement son avis sur certains événements, et avec un regard de connaisseur il prédisait les retombées, de tel ou tel acte et, plus tard, l'histoire lui donnera raison. Dans Le journal, Mouloud Feraoun écrit : « Je sais que j'appartiens à un peuple digne qui est grand et restera grand, je sais qu'il vient de secouer un siècle de sommeil où l'a plongé une injuste défaite, que rien désormais ne saurait l'y replonger, qu'il est prêt à aller de l'avant pour saisir à son tour, ce flambeau que s'arrachent les peuples et je sais qu'il le gardera très longtemps ». Grand écrivain, moudjahid infatigable, le peuple algérien lui sera reconnaissant pour son rôle d'instruction et de l'éveil de conscience, un écrivain qui n'a jamais tourné le dos à son peuple et à sa patrie, un sacrifice chèrement payé. Il est de notre devoir de rejeter tout discrédit pouvant ternir sa mémoire et lui dire tout simplement : merci.