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Une ville, une histoire
Les enfants de Cheref
Publié dans Info Soir le 31 - 07 - 2013

Portrait - Avec sa grande barbe blanche et ses yeux rieurs, Cheref faisait penser immédiatement au Père Noël.
Il adorait tellement les enfants qu'à Tigditt, la vieille et antique Casbah de Mostaganem, on avait fini par l'appeler, pour le taquiner, le père Cheref.
Il ne s'en offusquait pas le moins du monde. En fait, son amour immodéré pour les enfants tenait en un seul mot : il n'en a jamais eu.
Son premier mariage a été un fiasco car son épouse était stérile. Talebs, talismans, médecins, eaux thermales, marabouts, Cheref a consulté du douar des Bordjis à Aïn Tedeles, tout ce qu'il comptait comme diseuses de bonne aventure et cartomanciennes.
Rien. La pauvre femme ne pouvait enfanter.
Cheref n'a pas eu plus de chance avec sa deuxième épouse. Non seulement elle ne pouvait pas avoir d'enfant, mais aussi elle détestait tout ce qui portait une culotte courte.
Il fallait bien se rendre à l'évidence : une troisième et dernière femme lui donnerait peut-être ce qu'il attendait avec impatience depuis des années.
Là encore, le sort sera injuste. Cruellement injuste. Elle n'aura pas plus de bébé que les précédentes.
Alors, en désespoir de cause, Cheref prendra une décision pour le moins surprenante : il convolera en justes noces avec une veuve ou une divorcée qui aurait un enfant ou un orphelin à charge. Il ne lui sera pas difficile de trouver chaussure à son pied.
Le malheur ayant la dent dure, le nouveau nourrisson, qui avait égayé pendant quelques semaines le foyer du pauvre Cheref, passera de vie à trépas au terme d'une bronchite apparemment mal soignée. Et pour clore le tableau, sa jeune maman le suivra dans la tombe deux mois plus tard.
Durci par les coups d'une destinée qui ne lui fera aucun cadeau, Cheref, employé à la Caisse de sécurité sociale, rendra l'âme, curieusement, à la veille de l'Aïd esseghir, la fête par excellence des enfants.
Aujourd'hui, sa tombe, à l'écart du reste des sépultures, est envahie, tous les vendredis matins, par une nuée d'enfants attirés par cette petite plateforme, bien régulière, idéale pour jouer aux billes...


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