Qui se rappelle ces jours perdus à jamais où les Algérois avaient la RSTA, les Oranais la RSTO et les Constantinois la RMTC. Toutes les grandes et petites villes du pays avaient leur régie communale de transport urbain. Les bus avaient des couleurs distinctives. C'est vrai qu'ils étaient quelque peu insuffisants, mais ils étaient tenus dans un état de fonctionnement relativement remarquable, autant pour l'hygiène que pour la situation générale du véhicule. Les receveurs étaient en uniformes et casquettes, tout comme les chauffeurs. Ces derniers avaient une haute idée de leur fonction. Outre leur permis de conduire, ils recevaient une formation spécifique. Ils respectaient le passager, ne le secouaient jamais et se conduisaient comme s'ils exerçaient un sacerdoce. Aujourd'hui, une nouvelle race de transporteurs urbains est née. Les anciennes régies ont disparu ou alors ne sont plus que les ombres d'elles-mêmes. Le métier a été ouvert à tous les vents. Du dirigisme étriqué nous sommes passés au libéralisme le plus débridé. Aucun pays capitaliste ne peut se vanter d'avoir autant «libéré» des secteurs aussi névralgiques. Du jour au lendemain, ce service hautement public a été rendu accessible à quiconque voulait bien l'exercer. Les quelques réserves réglementaires qui sont restées ont été balayées. Des véhicules qui n'ont rien à voir avec le transport urbain des personnes ont été sommairement aménagés, d'autres ont été importés par milliers de toutes les ferrailles d'Europe. Sans véritable plan de transport ni de circulation, le secteur a été organisé en catastrophe et l'on a vraiment confondu vitesse et précipitation. Les conducteurs de ces véhicules de transport urbain en commun n'ont reçu aucune formation, ni même la moindre recommandation. Du jour au lendemain, les Algériens se sont retrouvés, il est vrai, avec un parc roulant en quantité suffisante mais livré à lui-même, d'une extrême dangerosité, très nuisant et particulièrement anarchique. Plus grave encore, ces privés, devenus une sorte de corporation, ont compris qu'ils sont maintenant en position de quasi-monopole et qu'ils sont en mesure de bloquer la vie économique du pays s'ils se mettent en grève. Aussi, ne manquent-ils pas de brandir cette menace à chaque velléité des pouvoirs publics de mettre un peu d'ordre dans toute cette pagaille.