Ce n'est pas la première fois que le terrorisme islamiste frappe fort en Tunisie. Le 11 avril 2002 déjà, avec l'attentat suicide au camion piégé de la Ghriba (synagogue) à Djerba (19 morts). Cette fois-ci, c'est au cœur de la capitale même, au Musée du Bardo, symbolisant la culture, l'Histoire et le tourisme vital à l'économie tunisienne sérieusement ralentie depuis la «révolution de jasmin». Ce dernier acte intervient dans une situation sécuritaire régionale plus dégradée que jamais. Il marque surtout, depuis la «révolution» de 2011, la lente montée en puissance du péril terroriste. Le contexte est assez approprié, marqué par un climat propice au développement des groupes djihadistes. Avec l'afflux d'armes en provenance du chaos libyen et la montée en puissance de l'économie parallèle dominée par des réseaux mafieux bien connectés aux groupes armés, le terreau d'expansion est des plus fertiles. Depuis la chute de la dictature de Ben Ali, le danger n'a cessé de croître, plus rapidement même que la régulière croissance de l'islamisme radical au Maghreb occidental. Presque au même rythme de l'accroissement du risque djihadiste en Libye. Les conflits inextricables en Syrie, en Irak et chez le voisin libyen continuent de forcir les vocations terroristes en Tunisie d'où sont partis 3 000 radicaux. 500 de ces amants de l'Apocalypse sont revenus en Tunisie, selon le ministère de l'Intérieur. Beaucoup d'entre eux ont rejoint Ansar Al Chariaa (interdit) ou le groupe Okba Ibnou Nafaa qui est implanté dans la région de Kasserine (Ouest) d'où est issu un des terroristes du Bardo, tué mercredi par les forces de sécurité. Le secrétaire d'Etat à la Sécurité, Rafik Chelly, explique que ce contingent tunisien est de loin le plus important dans les effectifs globaux de l'Etat Islamique (EI). Il y a d'autant moins de crise de vocations qu'une disposition légale interdisant aux jeunes de quitter le territoire tunisien a empêché quelques 10 000 candidats au djihad de partir, indique Rafik Chelly. C'est dire l'ampleur du risque terroriste ! De la Ghriba de Djerba au Musée du Bardo, en passant par l'attaque contre l'ambassade des Etats-Unis en septembre 2012, et sans oublier notamment les assassinats politiques de 2013 (Chokri Bélaïd et Mohamed Brahmi), la filiation idéologique est la même. Même radicalisme meurtrier, bien que les chapelles peuvent être différentes : affiliation à Aqmi, à la maison mère Al Qaïda ou bien à Daech, qu'importe le lien. Toutefois, l'attaque du Bardo s'inscrit dans un contexte particulier, celui d'une Tunisie postrévolutionnaire qui a réussi brillamment son examen de passage à un consensus démocratique. Après la chute pacifique de Ben Ali, des milliers d'islamistes ont été libérés. Ansar Al Chariaa fut alors le centre d'accueil de ces extrémistes. La vitrine officielle de ce mouvement, reposant officiellement sur la prédication et la bienfaisance sociale, avait été encouragée par le laxisme, voire la complicité des gouvernements Ennahda de la transition politique. Jusqu'en 2013, date à laquelle le mouvement fut interdit et qualifié d'organisation terroriste. Ses membres fuient alors le pays et se réfugient, pour la plupart d'entre eux, en Libye où active désormais à Derna (Est) une succursale de l'EI. En 2012, on vit alors s'installer dans les régions montagneuses et frontalières de l'Algérie, des prurits terroristes qui sont autant d'abcès de fixation terroristes dans la région de Kasserine au cœur de laquelle se trouve le stratégique mont Chaambi. C'est au cours de cette année que fut perpétré l'attentat spectaculaire contre l'ambassade américaine. Et, depuis, de nombreuses attaques meurtrières contre l'armée et les forces de l'ordre. Ne pas l'oublier, la Libye post-Kadhafi est un refuge idéal pour tous les islamistes recherchés qui y trouvent des camps d'entraînement et des écoles de perfectionnement doctrinal. C'est ici même qu'ont afflué nombre de djihadistes tunisiens qui se battaient auparavant en Syrie et en Irak. Ces Tunisiens sanguinaires forment même l'ossature de Daech et font parfois partie de son encadrement. Comme ce fut le cas de Mohamed Rouissi qui a commandé une unité de l'Etat islamique, et qui fut tué ces derniers jours dans des combats à Syrte. L'apparition, la fixation et l'expansion du terrorisme en Tunisie voisine de l'Algérie et limitrophe du délitement en Libye, source d'insécurité permanente pour l'ensemble maghrébo-sahélien, nécessitent plus que jamais des réponses régionales et une riposte internationale. L'aide fraternelle, concrète et conséquente de l'Algérie, déclinée en termes financiers et en capacités militaires, est certes importante mais elle ne suffit pas. L'Europe proche, déjà la cible d'attentats sanglants et qui risque d'être une terre d'accueil involontaire de flux migratoires supplémentaires et non désirés, a intérêt à apporter autre chose qu'un soutien compassionnel. Les Etats Unis ne doivent pas non plus se considérer assez loin pour ne pas regarder en direction de la Tunisie et du Maghreb. L'attaque de son ambassade à Tunis est là pour le lui rappeler. Europe et Etats-Unis doivent donc aider la Tunisie à mieux être outillée face au fléau du terrorisme. Le terrorisme en Tunisie, c'est, dans toute sa capacité de nuisance, le fameux «effet papillon». Car il ne peut pleuvoir à Tunis sans que l'on ait les pieds mouillés à Rome, Paris, Berlin, Londres ou Washington. N. K.