Après l'entretien au quotidien français Le Monde, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a accordé, hier, une interview exclusive à l'APS dans laquelle il revient sur la situation économique du pays et ses perspectives ainsi que sur la question qui fait l'actualité mondiale : le terrorisme et la lutte contre ce fléau. En premier lieu, M. Sellal trace un tableau de la situation sur le plan économique. Les analystes du marché pétrolier prédisaient que les années 2015 et 2016 seraient les plus sévères en matière de recul des cours. Les 10 premiers mois de cette année confirment cette tendance. Sur la période janvier-août, le prix du baril a baissé de 48% par rapport à 2014 et nos revenus tirés de l'exportation des hydrocarbures ont, de facto, enregistré une contraction du même ordre (-44%). «Notre pays a vu ses recettes extérieures réduites presque de moitié en quelques mois», dira-t-il. Toutefois, ajoutera-t-il, grâce aux décisions du chef de l'Etat, «le gouvernement est, aujourd'hui, en mesure d'affronter cette conjoncture sans être soumis à la contrainte de l'endettement et en disposant d'une marge de manœuvre financière», les niveaux des réserves de change et du Fonds de régulation des recettes (FRR) demeurant corrects malgré la baisse des recettes. Par ailleurs, l'inflation, qui était en hausse en début d'année, «a pu être maîtrisée et une séquence de décélération est enregistrée depuis le deuxième trimestre pour se situer à 5%», ajoute M. Sellal. Le Premier ministre citera également les mesures prises par son gouvernement pour réduire les dépenses, dont la principale est la rigueur et la rationalisation dans la gestion du budget de l'Etat, le gel de projets non prioritaires ainsi que le contrôle du commerce extérieur et des mouvements de fonds. «Par rapport à la même période de 2014, on note une baisse de 11,3% des importations ainsi qu'une réduction des dépenses publiques de 5% alors que les ressources ordinaires du budget progressaient de 9,3%. Les crédits à l'économie ont continué de progresser (+22,7% par rapport à 2014) et des niveaux de liquidité appréciables ont été maintenus au niveau des banques avec plus de 730 milliards de dinars. Ceci afin de permettre l'investissement national. Entre 2014 et 2015, la croissance du PIB a été pratiquement identique pour se situer à 3,8%», détaillera le Premier ministre. «En résumé, je dirai que la situation est dure et que les contraintes sont réelles avec des perspectives d'évolution incertaines. Mais économiquement, l'Algérie encaisse mieux que beaucoup de pays ce choc pétrolier», ajoutera-t-il, optimiste. Toutefois, M. Sellal tiendra à alerter sur les risques de l'immobilisme. «Cette situation ne doit, en aucun cas, justifier le statu quo ou l'attentisme qui nous serait fatal.» Aussi, recommandera-t-il l'action commune, concertée et immédiate - le temps ne joue pas en notre faveur- pour opérer la mue de notre économie qui doit créer de la richesse et des emplois. «Car, même si les prix des matières premières reviennent à des niveaux élevés dans le futur, ils ne suffiront pas à couvrir le développement socioéconomique futur de notre pays», indique-t-il. Quant aux perspectives, le Premier ministre les présente sous la forme d'une équation que l'Etat entend résoudre. «Il nous faut trouver les moyens de maintenir le niveau de vie des Algériens et leur pouvoir d'achat, et ce, dans un contexte d'amenuisement de nos ressources extérieures. Préserver ce modèle a un coût qui, jusque-là, a été supporté par l'exploitation de nos richesses nationales qui ne pourront plus, à l'avenir, garantir sa pérennité. Il nous faut donc aller chercher la croissance ailleurs, c'est-à-dire dans la sphère économique réelle où l'entreprise, publique ou privée, est la clé de voûte. C'est le modèle de croissance que nous sommes en train de déployer avec une vision claire jusqu'en 2019 et nous sommes en train de réfléchir pour l'élargir à l'horizon 2030. Il ne s'agit pas là d'un choix ou d'une option économique entre tant d'autres. C'est une démarche vitale pour l'avenir de notre pays où nous devons tous réapprendre à redonner son lustre à la valeur travail et à vivre du fruit de notre labeur. Les investissements productifs devront être, dans le futur, réalisés par les opérateurs économiques et non pas par l'Etat qui devra assurer les missions de régulation et de solidarité avec les couches les plus défavorisées de la population [...]. Par ailleurs, attirer les investissements directs étrangers ou nationaux est une bataille de tous les jours et l'objet d'une compétition féroce entre les pays [...]. Il nous faut apprendre à accepter et à attirer ceux qui peuvent participer à notre développement. Les mesures que nous prenons pour encourager la relance économique [...] sont et seront toujours encadrés par des fondamentaux tels que le droit de préemption, la règle du 51/49% ainsi que les engagements sociaux des pouvoirs publics. Je tiens à préciser, à ce titre et afin d'éviter toute polémique ou surenchère, que les réajustements tarifaires prévus pour les produits énergétiques, ne toucheront en aucun cas les petits consommateurs ou les habitants des régions Sud. Les efforts d'économies les plus importants seront opérés au niveau des dépenses de fonctionnement et dans la rationalisation de l'exécution du budget de l'Etat. L'unité nationale autour de cette démarche économique de renouveau est indispensable car il est, certes, bien de savoir où l'on va, mais il est important d'y aller ensemble. On attache une importance capitale à la solidarité nationale. Le pessimisme gratuit est destructeur. On continuera à privilégier le dialogue serein et sincère avec tous les Algériens sans exclusion», affirme le Premier ministre. Concernant le terrorisme et la lutte contre ce fléau qui menace aujourd'hui tous les pays, y compris ceux ayant encouragé son apparition et/ou croyant l'instrumentaliser, M. Sellal, tout en s'attristant de voir les crimes des organisations terroristes internationales endeuiller, ces derniers jours, des peuples partout dans le monde, dira que ces tragiques événements «confirment la pertinence des analyses et des positions algériennes sur nombre de sujets tels que le terrorisme, le recul critique sur ce qu'on a appelé le ‘‘printemps arabe'', le danger de la déstructuration des pays ainsi que l'importance de l'intégrité des Etats et de la souveraineté des peuples loin de toute ingérence». Ces attitudes ont renforcé la capacité de nuisance des groupes et organisations terroristes. Pis, ils ont réussis à augmenter leur pouvoir en opérant des jonctions avec la criminalité transnationale et les trafics de toutes sortes. Le Premier ministre insistera pour ôter toute couverture religieuse ou idéologique à ces groupes. «Ce sont des criminels et des brigands qui créent et profitent de situations de chaos sécuritaire et humanitaire pour augmenter leur pouvoir et servir leurs intérêts. C'est une erreur très lourde que de les considérer comme les combattants d'une foi ou d'une religion. Penser cela c'est leur rendre service et servir leurs funestes desseins», affirme M. Sellal. S'agissant de la position de l'Algérie à l'égard du terrorisme et de ceux qui le soutiennent, le Premier ministre se contentera de rappeler que «l'Algérie a toujours appelé à la coordination et à l'entraide internationale dans la lutte contre le terrorisme par l'assèchement de ses sources de financement, notamment en interdisant le paiement de rançons, la lutte implacable contre les trafics d'armes et de drogue ainsi que le phénomène de traite d'être humains». Mais l'action militaire et policière doit s'accompagner de l'action politique qui est tout aussi cruciale. Il s'agira ainsi «d'encourager les processus politiques pacifiques et inclusifs dans les pays arabes et africains pour permettre l'avènement de gouvernements forts et légitimes capables de restaurer l'autorité et l'Etat de droit sur des populations et des territoires jusque-là livrés à ces hordes d'assassins et de trafiquants», recommande-t-il. M. Sellal ne manquera pas d'exprimer son empathie avec les victimes du terrorisme dans toutes les régions du monde et d'avoir une pensée pour la communauté algérienne à l'étranger qui partage le drame et l'anxiété des habitants des pays d'accueils. Mais, ces citoyens, algériens ou autres, sont, du jour au lendemain, devenus des étrangers suspects, voire des terroristes potentiels, et «sont confrontés, aussi, à des amalgames infondés et à des manifestations de xénophobie et de racisme inacceptables», ajoutera-t-il avec regrets. H. G.