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L'Express, entre raccourcis et racolage
Islam et modernité
Publié dans La Tribune le 17 - 07 - 2008

La curiosité est un bien vilain défaut qui m'a fait cliquer sur un lien Internet. Au bout de la recherche : un dossier de l'Express sur l'islam sous le titre ravageur et racoleur de «Vérités à ne pas dire», publié –tenez vous bien- le 6 juin 2008 presque à la veille du sommet de l'UPM censé ouvrir une ère de rapports de respect et d'égalité entre les peuples. J'ai lu des âneries sur l'islam, je n'ai jamais lu de tels raccourcis qui renseignent bien plus sur les fantasmes de leurs auteurs que sur l'objet annoncé. La qualité des experts convoqués devait apporter à ce dossier un fond de crédibilité et la force de la parole universitaire.
A la lecture de ce dossier, il faut bien se rendre à l'évidence que l'université française comme les autres produit plus de l'idéologie «savante» sur les choses sociales que de savoir véritable. Mais là n'était pas le propos des auteurs invités. Ils avaient pour tâche de rendre crédible l'assertion de l'Express que l'intégration des musulmans est une tâche presque impossible requérant une vigilance de tous les instants pour sauver la République d'une islamisation constante.
Comme je me moque de ce que pensent ces intellectuels français de ma religion accusée pour l'occasion d'être l'obstacle définitif à tout progrès et à toute pensée rationnelle, je n'ai retenu pour vous que la lecture d'un seul papier qui abuse d'une notion bien en vogue chez nous et dont l'auteur use et abuse pour nous renvoyer à un «destin», «une nature» et «une essence» rétrogrades : la modernité.
Une amorce étonnante
Toute l'affaire -et tout l'«émoi»- commence par une histoire de divorce entre deux musulmans. La femme avait assuré l'homme de sa virginité. Elle l'avait perdue avant. L'homme demande et obtient le divorce devant le tribunal avec l'accord de l'épouse. C'est le tollé. Un tribunal français a appliqué une loi islamique et la République assoupie avait reçu un coup mortel. Ce ne sont pas quelques propos de journalistes ou de militantes féministes mais un «soulèvement général». Près de 150 eurodéputés dénoncent, dans une pétition, un «précédent dangereux qui ne peut que conforter certains fondamentalistes» et énoncent que «la virginité d'une femme n'est pas une qualité essentielle de la personne». Tout le monde, ou presque, défend l'épouse contre l'arriération religieuse du mari et la défend contre le statut inférieur auquel la ravale l'islam. Cette dame a-t-elle désiré le divorce et s'est-elle révoltée contre l'appel du jugement ordonné par l'Etat français ? Oui, bien sûr. Elle l'a déclaré à la presse. «Depuis le début, je subis tout dans cette histoire. Que l'on puisse faire appel du jugement alors que je n'ai rien demandé me révolte.» Pourquoi cette opinion publique ne tient-elle pas compte de la principale concernée ? Parce qu'elle est inférieure et soumise. Cette opinion si sensible à l'égalité des femmes n'arrive pas à concevoir qu'une Française musulmane d'origine maghrébine soit capable de libre arbitre. Puisque musulmane, elle est soumise. Forcément soumise. C'est eux qui la briment et la ramènent à un statut inférieur mais ils se présentent comme ses libérateurs. Une simple affaire d'arrangement nuptial devient une question vitale de civilisation et de survie de la République. Bref, on aura compris que cette dernière ne fonctionnera en toute sécurité que par ses femmes déniaisées et par les accusateurs coupables du crime de discrimination qu'ils dénoncent. Personne, en tout cas je n'en ai pas connaissance, n'a souligné l'absurde de cette campagne. Admettons que les tribunaux aient estimé qu'en dépit du point de vue de l'épouse ces liens du mariage ne pouvaient être dissous.
Comment auraient vécu ces époux ?
Ensemble dans une guerre permanente ? Séparés mais privés de toute possibilité de remariage ? C'est bien la première fois que la France républicaine oblige des gens à se marier ou à rester mariés contre leur gré, car -répétons-le– l'épouse tenait au divorce. C'est du mariage forcé ou je ne m'y connais pas. Avec cela, l'Express vient faire l'éloge de la liberté et du mariage d'amour.
De divagation en divagation
L'occasion est trop belle pour taper sur l'islam et sur les musulmans mais, selon toutes les apparences, l'Express ne voulait pas faire dans le vulgaire. Passons sur cet épisode orientaliste du plus mauvais goût sur la place faite dans la civilisation musulmane à l'érotisme. Le seul aspect qui mériterait leur indulgence.
Dans cette Europe de la psychanalyse, il ne faut pas fouiller loin pour trouver les raisons de cet intérêt pour des femmes imaginées toujours oisives et sans cesse lascives. Nos mères et nos grands-mères seraient bien étonnées de cette image mais ce n'est pas la première fois qu'on leur dénie –que ces autres leur dénient- leurs qualités de mères farouches et de résistantes acharnées et l'Orient d'aujourd'hui regorge de ces scènes de lutte des femmes palestiniennes, libanaises, irakiennes. Ces actes, bien sûr, ne sont pas ceux de femmes libres, infiniment plus libres que toutes ces femmes d'Occident qui acceptent d'être enfermées dans un destin réduit à leur corps et à une sexualité quand même définie et normée par les hommes qui tiennent l'argent, les médias, la mode et tous les profits qu'ils en tirent. Christian Makarian signe ce papier dont je veux vous parler à l'exclusion des autres. Il commence bien : «Au sein du monde arabo-musulman, le high-tech et les sphères financières les plus sophistiquées cohabitent avec des structures traditionnelles défavorables au développement de la raison, de la responsabilité individuelle et du libre exercice de l'esprit critique, qui constituent précisément les trois piliers de la modernité.»
La modernité en bannière
La remarque est, selon les apparences, imparable. A côté du high-tech. Vous pouvez prendre l'avion, surfer sur l'Internet, conduire des voitures ou travailler dans une usine d'électronique, vous n'êtes pas forcément moderne. Si vous regardez dehors, vous aurez mille et une preuves de cette cohabitation. Mais quand vous divisez une société en utilisant des critères matériels –le high-tech– contre des critères moraux –la raison, l'esprit critique, la responsabilité individuelle–, vous trouverez mille et une preuves de ce que vous avancez puisque vous mélangez les genres. La femme en hidjab qui conduit sa voiture pour aller à son labo de recherche est mille fois plus moderne dans sa vie et dans sa tête que les mannequins dénudées, prisonnières de la marchandisation de leur corps. Dans Roses à crédit, un de ses plus beaux romans, Elsa Triolet aborde cette question de la modernité. Elle parle d'un jeune résistant tombé amoureux d'une fille née dans le ruisseau et qu'il épousera en «montant» sur Paris. Fasciné par la vie des autres, elle devient coiffeuse et avide de toutes les nouveautés pendant qu'il continue ses études d'horticulture. Elle achète tout ce qui est formica, brillant, clinquant et refuse obstinément de l'accompagner dans la ferme horticole de son père pour ne pas salir ses souliers et ses robes.
Une étudiante américaine peu regardante sur le smart de sa tenue se passionnera pour les recherches du père et les croisements de roses. Elle arpente les champs et travaille avec lui.
Ce roman, le premier de la série l'Age de nylon qui désigne bien de quoi elle veut parler, est une belle leçon sur cette notion de modernité qui commence à être abondamment utilisée à l'époque de la sortie du roman. Elsa Triolet traite d'un des aspects les plus importants de cette notion de modernité qui fait passer les formes de la vie avant ses contenus sociaux. Si le high-tech n'est pas le critère de modernité, il faut donc en venir aux critères moraux de ceux qui ont produit le high-tech. Je ne sais si les Japonais ou les Chinois partagent le mode de vie de l'Europe ou s'ils ont absorbé ce high-tech dans leur culture et dans leurs modes de vie mais apparemment ils n'ont rien abandonné de leurs traditions. L'auteur nous dit au passage que, si le high-tech est vendable et cessible, utilisable par d'autres, il n'est pas trans-culturel. Il reste un objet non valide pour tester le niveau culturel. Il son propre mode culturel d'existence pour modèle. Pour être moderne, il faut être capable de raison, d'esprit critique et du sens de la responsabilité individuelle. Cela ne vous rappelle rien ? Vraiment rien ? C'est exactement la définition des Noirs et des Arabes par l'ethnologie coloniale et par les différentes écoles psychiatriques coloniales. Strictement la même définition. Les Noirs et les Arabes sont incapables d'accéder à la raison, au sens de la responsabilité individuelle et familiale et ne possèdent aucune capacité de conceptualisation qui permet l'esprit critique et la distance.
Voilà un bonhomme qui parle de modernité et de rejet des archaïsmes et qui ressort des vieilleries racistes. Pouvait-il faire autrement dès lors qu'il s'est placé en juge d'une autre culture, d'une autre religion ?
Son postulat de départ est la supériorité de sa société et des rapports qu'elle entretient aux femmes. Je ne sais pas si ces femmes exposées comme appâts publicitaires, si ces femmes cadavériques adulées et réduites au métier de cintres ambulants sont un exemple de respect et de liberté pour les femmes, si le nombre effroyable –une tous les trois jours, selon une statistique que je viens de lire– de femmes qui meurent de violence en France peuvent construire un modèle désirable de la libération de la femme. C'est un débat franco-français et, n'ayant pas de pulsion d'ingérence, j'attends les conclusions de leurs regards sur eux-mêmes si le narcissisme culturel et l'européocentrisme leur en laissent les moyens.
C'est pour nous que je parle pour distinguer une part –et ce n'est qu'une part– de la notion de modernité.
Sa visée et son statut relèvent de la morale, pas de la politique. Et chaque fois qu'on avance sur ce terrain, on perd de vue le social qui est derrière.
La modernité est la notion leurre pour cacher une réalité de domination économique, politique, sociale sous le maquillage d'une supériorité culturelle désirable. Désirable car elle nous donne l'impression d'un accès à la vie des dominants. On nous apporte la modernité comme on nous a apporté la domination. Alors, il faut rappeler la définition admise de la modernité.
On appelle modernité non pas ce qu'avance notre érudit mais une ère. La modernité serait l'ère ouverte par la découverte des Amériques en 1492, année de la chute de Grenade.
Cette ère se définit comme celle des découvertes, des inventions et de l'inventivité. L'époque de la modernité ne date pas d'hier et certainement pas du droit de vote des femmes si tardivement accordé.
Cette notion de modernité couvre cinq siècles pendant lesquels ces critères ont pris naissance dans les remises en cause de l'autorité de l'Eglise. Mais elle fut aussi l'époque des conquêtes coloniales, des génocides des Amérindiens, de l'esclavage, des guerres pour les marchés. Le statut de la femme, pour autant que notre auteur en parle, n'a que très récemment connu des améliorations notables en Europe.
Cette époque de la modernité a été l'époque de toutes les dominations et de tous les racismes.
De tous les crimes contre l'humanité. C'est l'époque du capitalisme sauvage, colonial, puis impérialiste. La modernité, c'est le capitalisme sous un joli nom. Un capitalisme moralement présentable et surtout un capitalisme séducteur. Abandonner nos structures sociales pour entrer dans des divisions de classe qui libèrent l'individu des contraintes sociales ne nous mènera que des contraintes patriarcales à la barbarie du capitalisme.
Nous n'aurons plus de compte à rendre à la société mais de notre vie aux intérêts du capital. Ce n'est pas forcément mieux.
M. B.


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