En cette veille de l'Aïd El Adha, les points de vente improvisés de moutons se multiplient à une cadence élevée dans les milieux urbains au point où ils ne passent plus inaperçus. Les propriétaires des mérinos ont investi la chaussée et les espaces publics. Par endroits, ce sont deux ou trois petits troupeaux qui se côtoient. Ils sont aussi dans des locaux de commerce, dans les aires de lavage et dans les lieux où l'on s'attend le moins. Mais qui sont les propriétaires de ces attroupements de béliers ? Ce ne sont certainement pas des engraisseurs (ceux qui achètent des agneaux et les alimentent à forte dose, de manière à accélérer leur croissance) et encore moins des éleveurs. Plutôt des vendeurs occasionnels, selon quelques-uns que nous avons pu approcher. Brahim de Bachdjarah, né dans cette grande cité populaire d'Alger-sud, à l'approche de chaque Aïd El Adha change carrément d'activité. De marchand ambulant de fruits de saison, il se convertit en vendeur de moutons. «J'en suis à ma cinquième expérience. Et de ce fait, je peux vous dire que des centaines d'Algériens comme moi s'adonnent à la vente de moutons de l'Aïd», a confié Brahim. Il nous fera savoir également qu'ils les achètent chaque année au même endroit. «De la région de Médéa d'où je suis originaire. Cela ne veut pas dire que je les achète moins chers qu'ailleurs, mais pour la simple raison que je connais les éleveurs du coin et la qualité de leur élevage.» Et de poursuivre : «Les béliers que je ramène sont, certes, chers, mais répondent à l'exigence de mes clients : beaucoup de viande sans trop de graisse.» Non sans préciser sur ce dernier point que c'est là «un facteur déterminant dans la prise de décision du client». Il nous révélera également : «Au tout début, il m'est arrivé de vendre à perte les quelques bêtes qui me restaient. Mais, depuis, je suis arrivé à fidéliser mes clients qui sont pour la plupart des voisins de quartier ou des proches. C'est pourquoi depuis deux Aïd, je vends tout ce que je ramène malgré la tendance à la hausse des prix. Ce que d'ailleurs je confirme du fait que moi aussi, mes achats par tête ont connu chaque année une augmentation.» A notre question de savoir pourquoi le mouton est cher, Brahim nous a répondu : «Cela est dû à plusieurs facteurs, dont le nombre d'intervenants dans le circuit qui chacun prélève sa marge bénéficiaire et, au décompte, le prix au détail ne peut que gonfler.» Du côté de Réghaïa où nous nous sommes rendus, rares sont les vendeurs qui se sont prêtés à nos questions. Cependant, Saïd, Tahar et Smaïn, la trentaine passée, nous ont renseignés sur leur activité occasionnelle puisque tous les trois, sans qualification et chômeurs de surcroît, s'adonnent à la vente de moutons en associant leur argent : «Nous habitons le même quartier et chacun de nous contribue à parts égales à constituer la somme nécessaire pour ramener une cinquantaine de moutons généralement de la wilaya de Djelfa.» Non sans souligner que sans l'association de l'argent dont dispose chacun, «il nous serait impossible de nous adonner à la vente de moutons dans la mesure où, d'une part, il faut compter au moins 20 000 DA par tête et, d'autre part, acheter au moins cinquante têtes pour amortir les frais de transport car il serait absurde de ramener seulement trente têtes et prétendre à des bénéfices conséquents», dira-t-il, en précisant également que beaucoup de jeunes comme eux s'associent pour acheter des moutons pour les revendre comme nous. Quant à leur avis sur les prix pratiqués, nos interlocuteurs ont été unanimes dans leur réponse : «Nous estimons que nos marges de bénéfice sont raisonnables par rapport à nos prix d'achat. La raison de la cherté du mouton destiné au rite religieux est à chercher à un notre niveau.» Ainsi, comme Brahim, Saïd, Tahar et Smaïn, de nombreux jeunes tentent, à l'occasion de l'Aïd El Adha, de se faire un peu d'argent, ce qui est tout à fait légitime, mais pas au détriment de la salubrité des espaces urbains. Il serait souhaitable de réserver des surfaces à ce type de revendeurs occasionnels. Z. A.