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Jean Sénac au pays de Withman
Entretien avec les traducteurs en anglais du poète
Publié dans La Tribune le 23 - 06 - 2011

Katia Sainson et David Bergman, deux universitaires américains, ont traduit une sélection de poèmes de Jean Sénac en anglais, The selected poems of Jean Sénac. Dans l'entretien qui suit, nous abordons la découverte de l'œuvre, la traduction et ses problèmes ainsi que sa réception en Amérique. Nous remercions Katia Sainson qui a bien voulu traduire quelques réponses de son collègue David Bergman. Pour rappel, Katia Sainson est professeur de littérature et langue française à Towson University. Elle est la traductrice avec David Bergman de Selected poems of Jean Sénac (Sheep Meadow Press, 2010) et elle est l'auteure de plusieurs études de Sénac qui sont parues notamment à Algérie Littérature Action, French review et Research in african literature. Elle est la traductrice de The sea de Jules Michelet (Green Interger Press) et de Expositions : Literature and Architecture in Nineteenth-Century France, by Philippe Hamon, (University of California Press, 1992). David Bergman, professeur de littérature à Towson University, est l'auteur de Gaiety Transfigured : Gay Self-Representation in American Literature et The Violet Hour : The Violet Quill and the Making of Gay Culture. Ses recueils de poésie sont Heroic Measures, et Cracking the Code, pour lequel il a reçu le prix George Elliston. Il est le rédacteur de la rubrique de poésie pour The gay and lesbian review worldwide.
Entretien réalisé par Azeddine Lateb
La Tribune : Vous êtes auteurs d'une traduction de Sénac «The Selected Poems of Jean Sénac». Comment avez-vous rencontré la poésie de Sénac ?
KATIA SAINSON : C'était en lisant une critique du film le Soleil assassiné d'Abdelkrim Bahloul, que pour la première fois j'ai vu le nom de Jean Sénac, un poète dont l'œuvre et l'histoire m'étaient complètement inconnues. En faisant des premières recherches sur sa vie et surtout après avoir eu une première rencontre avec ses poèmes, j'ai tout de suite pensé que c'était un poète dont le parcours et l'œuvre pourraient intéresser un public américain. C'est à ce moment-là que j'ai parlé de ce projet de traduction à mon collègue David Bergman qui est poète, pour voir s'il voulait tenter cette entreprise avec moi. J'étais déjà la traductrice de deux ouvrages avant d'avoir rencontré Sénac. Auparavant, j'avais traduit Exposition de Philippe Hamon (une œuvre de critère littéraire qui traite du lien entre le réalisme et l'architecture au XIXe siècle) et une œuvre de Jules Michelet, la Mer. Mais je n'avais jamais fait de traduction de poésie et je sentais qu'il fallait s'assurer que les textes de Sénac soient avant tout rendus comme des poèmes en anglais. La traduction est un travail d'équilibre très délicat et; dans ce cas, le texte en anglais devait devenir une œuvre littéraire à part entière sans jamais perdre l'empreinte génétique de sa source, puisque les poèmes devaient toujours faire transmettre la voix de Sénac, mais dans une langue qui n'est pas la sienne. DAVID BERGMAN : Je ne connaissais pas du tout la poésie de Sénac avant que Katia m'en parle. Je suis l'auteur de deux livres sur la littérature homosexuelle américaine et de deux recueils de poèmes. Depuis trente ans, je travaille pour faire connaître les auteurs homosexuels qui ont été marginalisés ou oubliés par la critique, alors Sénac m'a tout de suite parlé. Par la suite, lorsque j'ai pu découvrir son œuvre poétique en plus de profondeur, c'est le poète qui m'a impressionné. Nous ne sommes pas du tout le même genre de poètes, nous n'écrivons pas de la même manière. Sénac écrit de longs vers lyriques, plus souples, et puis mes poèmes ne s'engagent pas dans les questions de l'avenir national. Mais, c'est justement, la possibilité d'habiter une voix complètement autre qui m'a intrigué et j'ai trouvé cette souplesse de Sénac libérateur.
Selon quel critère avez-vous procédé au choix des textes ?
KATIA SAINSON : Nous avons voulu présenter tout le parcours de la production poétique de Sénac. Nous avons donc commencé avec son premier recueil de 1954, Poèmes (publié chez Gallimard), où l'on sent l'influence qu'il a subi de Camus et surtout Char. Ensuite nous avons pris des poèmes de «Matinal de mon peuple» où nous avons un échantillon de poèmes comme «Matinale de mon peuple», «Patrie», et «Porteurs de nouvelles» qui donne une idée des ses poèmes engagés qui chantent une Algérie qui lutte pour son indépendance. Enfin, nous avons pris la majorité des poèmes dans notre sélection des recueils qui datent d'après l'indépendance de l'Algérie où, à partir de «Citoyens de beauté», Sénac trouve définitivement sa voix. Il y a bien sûr Avant-Corps où Sénac fait son coming-out, tous les poèmes du recueil du Mythe du sperme-Méditerranée, dérisions & Vértige, et Plaques, tous des poèmes où liberté politique et liberté sexuelle se confondent.
DAVID BERGMAN : Nous avons traduit beaucoup plus de poèmes mais que nous n'avons finalement pas utilisés dans le recueil. Nous avons fait le tri selon deux critères. Nous voulions avoir des poèmes de toutes les étapes de la vie de Sénac, pour montrer son évolution, comment il a changé en tant que poète et en tant qu'individu. Deuxièmement, nous voulions y présenter ses meilleurs poèmes.
Est-ce que vous avez rencontré des difficultés à traduire certaines formules de Sénac ?
KATIA SAINSON : Il y avait tout d'abord les difficultés liées à toute entreprise de traduction poétique. J'avais la chance de travailler avec David, qui, lui, a toujours joué le rôle du défenseur de la poésie. Comme un pianiste, il prenait son inspiration des images de Sénac pour ensuite produire des variations sur les thèmes. Lui, il pensait toujours à créer de la musique à partir des mots que je lui suggère. Mon travail était beaucoup plus prosaïque. David ne connaît pas du tout le français, donc mon rôle était de maintenir le langage de Sénac, et de donner le contexte historique, culturel, biographique qui nous permettrait d'avoir une traduction plus en accord avec la voix de Sénac.Autrement, nous avons dû abandonner certains poèmes qu'on aurait voulu présenter dans le recueil parce que nous n'arrivions pas à les faire marcher en français. Il y avait un poème en particulier, dont je me rappelle, où il y a un jeu de mots essentiel dans le texte avec les mots baigner et beignet, que nous n'arrivions pas à rendre en anglais.
DAVID BERGMAN :
La traduction nous a posé certaines difficultés, pas au niveau de la rime, qui ne m'a pas posé de problème. Tout d'abord les poèmes de Sénac sont imprégnés de la culture algérienne et nous avons eu des fois des difficultés à bien communiquer ses références pour un public américain. Il y a eu bien sûr des difficultés avec des jeux de mots qui ne peuvent pas être traduits, mais aussi c'était difficile de trouver l'équivalent de l'argot utilisé par Sénac, parce que l'anglais n'a pas un lexique aussi riche et varié que le français dans ce domaine.
Comment a été reçue cette traduction ?
KATIA SAINSON : Tout d'abord il faut mentionner qu'il n'est pas facile de faire publier une traduction, et surtout de la poésie dans le marché américain, où moins de 3% des livres publiés sont en traduction, et le pourcentage est encore moins élevé lors qu'il s'agit d'œuvres littéraires. Donc le fait que nous avons trouvé dans notre maison d'édition Sheep Meadow Press, un éditeur qui se spécialise en poésie et qui publie les plus grands noms dans la poésie en traduction était déjà un grand succès. Je crois que ce qui intéressait le plus dans notre recueil, c'est l'histoire de Sénac, son rêve d'une société multiculturelle, multiethnique, qui se ferait dans le respect de l'Autre. Aussi, peut-être à la différence de la France et de l'Algérie, aux Etats-Unis, il y a toute une discipline qu'on appelle le Gay Studies, qui s'intéresse à l'histoire des homosexuels dans son contexte culturel. Donc, dans ce contexte, l'œuvre de Sénac est très importante à faire connaître à côté de contemporains comme Jean Genet ou, aux Etats-Unis, Allen Ginsberg.
Sénac a lu et cite With Withman ainsi que la Beat Generation. Donc on peut dire qu'il y a déjà l'intérêt de Sénac pour la poésie américaine.
KATIA SAINSON : Je crois qu'il y a un lien très clair entre la poésie de Sénac celle de Whitman et celle des Beats. Comme Whitman, Sénac associe l'élan démocratique à l'intime et même l'érotique. Whitman, qui chantait lui aussi le soleil et la mer, pensait surtout que son rôle primordial (au moment de la guerre civile aux Etats-Unis) était celui d'unificateur dans un pays déchiré. D'ailleurs, nous avons le poème Paroles de Walt Whitman de Sénac qui est un dialogue entre Sénac et le poème Song of the open road de Whitman, où démocratie et amour viril vont main dans la main. Pour le lien entre les Beats, Sénac a dit d'Allen Ginsberg, le grand poète de la Beat Generation, qu'il voyait évidemment dans la révolte un prolongement de l'amour. Et ceci décrit bien la perspective de Sénac, qui était lui-même un Beat algérien, si nous comprenons le mouvement des Beats comme étant l'aboutissement des mouvements de libération (de Noirs aux Etats-Unis, des colonisés, des femmes) qui s'élèvent dès les années 40, où la libération du vers est lié à la libération sociologique.
DAVID BERGMAN : Sénac se trouve dans la tradition whitmanienne de la poésie américaine, à laquelle appartient également Allen Ginsberg, mais aussi d'autres poètes de la Beat Generation, que Sénac a beaucoup appréciée. Pour moi, personnellement, Ginsberg a une place très importante pour ce qu'il représente pour l'expression des homosexuels des années 50 et 60, qui m'intéresse parce que je l'ai vécue.
Est-ce que vous comptez traduire d'autres textes de Sénac ?
KATIA SAINSON : Actuelle-ment, je travaille sur les émissions de radio de Sénac, surtout celles qu'il a faites à la RTA entre 1963 et 1972. Tout d'abord, je m'intéresse à cette période de l'histoire algérienne parce qu'il me semble que c'est un moment extraordinaire où le pays se trouvait au carrefour du monde artistique, politique et culturelle, et cette ouverture sur le monde est évidente dans les émissions de Sénac. De plus, pour moi, ces émissions sont intimement liées à son œuvre poétique, dans le sens que Sénac était quelqu'un qui vivait la poésie, qui n'était en aucun sens le domaine d'une élite. Dans un certain sens, le travail qu'il faisait dans une émission comme poésie sur tous les fronts était un travail de traducteur, puisqu'il présentait des poètes du monde entier dans ses émissions parce qu'il voulait les mettre à la portée du plus grand nombre. Pour lui, la vérité du poème faisait le lien entre l'Américain (ou d'ailleurs, l'Allemand, le Vietnamien, le Cubain, etc.) et l'Algérien pour faire en sorte que les frontières et les différences n'existaient pas pour ce qu'il appelait les con-sciences en éveil. Je viens récemment de retrouver ces phrases de Sénac dans les manuscrits des ses émissions : «Notre univers contemporain est trop vaste, trop riche, pour que nous puissions consentir à le mutiler d'une seule syllabe, d'une seule angoisse comme d'un seul bonheur. Nous assumons à chaque instant notre complète humanité, qu'elle se nomme Palestine, Viêt-Nam, guérilla, solidarité, révolution agraire, tourments limpides, révolte du langage, tendresses impulsives, amour. Partager le poème, c'est toujours ouvrir une nacre.»


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