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«Les 50 ans d'indépendance et la période coloniale relèvent du totalement incomparable» Zohra Drif-Bitat au débat de Marianne sur la «Guerre d'Algérie, 50 ans après» à Marseille
Pour remercier les organisateurs de l'invitation qu'ils m'ont adressée et, par respect pour eux et pour l'auditoire, je veux préciser un certain nombre de choses, notamment mon identité et les lieux d'où je parle.1/ D'abord une évidence, mais déterminante : je suis une femme : c'est une identité qui détermine les visions, les analyses et les positions.2/ Je suis algérienne : c'est une identité qui porte en elle l'accumulation de toute l'histoire et la culture de mon peuple, mais aussi de la géographie de mon pays.Algérienne : oui je partage, avec le reste du monde arabe et musulman, notre part en tant qu'Algériens, dans l'édification de cette immense culture arabo-musulmane.Mais je suis d'abord maghrébine, amazigh et africaine.Mon appartenance à l'afrique est une réalité, même si d'aucuns font tout pour exclure le Maghreb du continent africain.3/ Autre chose : mon rejet de toute vision globalisante, totalisante qui considère qu'il y aurait «un grand couffin arabe» dans lequel se trouvent quelque 20 peuples, réduits à n'être qu'une langue et une religion. Par conséquent, tout en étant très fière de partager avec le reste du monde arabe une part importante de ma culture, je revendique mon droit d'appartenir à un pays et à un peuple qui ont leur histoire propre, leur cheminement propre, leur culture propre.4/ Dans mon pays, l'Algérie, j'appartiens à la génération qui est née sous le joug de la colonisation française.Et dans la génération qui est la mienne, j'appartiens à celles et ceux qui ont pris les armes pour libérer notre pays.J'ai été membre de l'ALN et plus exactement membre de la zone autonome d'Alger, sous la direction du grand Larbi Ben M'hidi et de Yacef Saâdi, aux côtés de femmes et d'hommes exceptionnels. 5/ Nous avons pris les armes contre un système politique, économique, social, culturel et militaire : le système colonial.Une colonisation de peuplement, avec tout ce que cela signifie, en termes de dépossession, de déculturation, de dépersonnalisation, d'oppression, d'humiliation et de génocides.Ce genre de système ne vous laisse pas d'autre choix que de mourir pour vivre chez vous.La colonisation de peuplement est un système implacable, basé sur une violence absolue, une négation permanente de tout ce que vous êtes et de vos droits.C'est un système raciste, érigé en mode politique d'administration et de gestion. Vous l'aurez compris : mon problème n'a jamais été avec des individus, mais avec un système dont la vie signifiait notre mort en tant que peuple et nation.6/ En vous disant cela, ce jour, en France, je ne cherche à gagner personne à ma cause.Ne trouvez pas, je vous prie, dans ce que je dis ni fanfaronnade ni agressivité mal placées.Je voudrais juste vous transmettre ma conviction tranquille.Nous, Algériens, avons mené une guerre de libération, une guerre juste, une guerre légitime.Nous avons payé un prix très lourd. Nous avons accepté de le payer. Et cette guerre, pour nous, est terminée. Bel et bien terminée. Nous avons gagné notre indépendance.7/ Par ailleurs, j'ai été interpellée par un thème qui voulait entreprendre une comparaison entre ce qui a été accompli en 50 ans par l'Algérie indépendante et les objectifs de la Révolution.Comme si on voulait entendre, peut-être un regret, sinon au moins un doute sur le bien-fondé de la volonté d'indé pendance.Chers amis, laissez-moi vous rappeler que notre combat pour l'indépendance a été mené à travers un front qui regroupait des gens très différents, des gens venus d'horizons différents, des gens de conditions et d'opinions différentes, un front comprenant aussi des Français de confession chrétienne et des Français de confession judaïque, que je salue avec toute ma sincérité militante.Nous étions unis autour d'un seul objectif et mus par un seul idéal : l'indépendance de l'Algérie.Je vous assure que durant la clandestinité, ou durant la détention en prison, il nous arrivait très souvent de discuter de nos projets, de nos espoirs, quand notre pays serait indépendant.Je puis vous assurer que nous étions très conscients de nos différences d'opinion et de vision.Mais, comme vous pouvez l'imaginer, ces différences d'opinion et de vision, parfois des différences de culture, demeuraient absolument secondaires par rapport au défi suprême : l'indépendance.8/ Ce que je veux vous dire, c'est que si une comparaison devait être faite, elle devrait l'être sur la situation du peuple algérien sous le colonialisme et sa situation, 50 ans après l'indépendance. Et alors quel que soit le domaine, le résultat relève carrément du totalement incomparable.En effet, comment comparer un indigène/sujet à un citoyen ?9/ Mesdames et Messieurs, à mon humble avis, on peut avoir beaucoup de débats, mais il ne pourra pas y avoir de débat sincère et fructueux entre nous, tant que vous, ici, en France, ne décidez pas d'analyser et de diagnostiquer, sans complaisance, ce qu'a été l'entreprise de colonisation, et ce qu'a été le système colonial, afin de le qualifier, non pas sur la base du sort qu'il fait aux intérêts du colonisateur mais sur la base du sort qu'il fait aux peuples colonisés.Mais, vous l'aurez compris, ce travail constitue un vaste programme d'un combat qui est le vôtre.Quant à moi, tant que je vivrai, je soutiendrai, par mon témoignage, toute initiative, d'où qu'elle vienne, visant à faire briller cette vérité : la vérité sur la nature hideuse d'injustice du système colonial. Z. D-B