«Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre choses ? Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout.» Celui qui a dit ça, ne parlait pas seulement de cinéma. Il en a fait par vagues entières. Lui, c'est le leader de la Nouvelle vague du cinéma français qui a influencé des Tarantino, des Scorsese, des Altman, des Soderbergh, des Loach, des Wenders, des Fassbinder et j'en passe. En Algérie, contrairement à Jean-Luc Godard, on ne parle presque plus de cinéma et on n'arrive plus ou presque, à rien du tout. C'est-à-dire à des choses qui permettent de dire que le cinéma existe, qu'il fait parler de lui, bref, qu'il vit et fait vivre ceux qui tentent d'en vivre. Il y a déjà longtemps que Mohamed Ifticène, ce cinéaste à qui on doit d'avoir fait vivre le légendaire Inspecteur Tahar et son Apprenti de flic, a conclu un jour que «le cinéma algérien est un mythe». Et déjà qu'il avait raison Mohamed qui connaît bien son cinéma d'Algérie. Le constat qu'il en établissait, sous forme de questions, est net comme les premiers travellings des Frères Lumières : «Comment pourrait-il exister sans une industrie et des infrastructures qui constitueraient sa base matérielle ? Comment pourrait-il exister sans instituts supérieurs de formations aux métiers du cinéma et de la télévision qui constitueraient sa base humaine ?» Des années et des jours après, le constat n'a pas pris une seule ride, il est même pire ! Le cinéma algérien n'est pas seulement malade, il se meurt. Il n'a pas fini de crever de ses maladies infantiles, de son indigence propre et de la misère matérielle dans laquelle croupissent les rares fous de la pellicule qui croient encore que le cinéma est toujours un rêve à vivre dans un pays qui ne rêve plus ou si peu. Dans le sillage du lucide Ifticène, il faut juste souligner que le cinéma algérien ne peut pas être une oasis de qualité, un pays de cocagne dans le désert de médiocrité culturelle qu'est, de plus en plus, devenu l'Algérie. Et c'est même plus noir que ce que l'on pourrait imaginer depuis que le cinéma ne dispose plus de structures de soutien et de promotion. Précisément, depuis 1997, depuis que l'Etat ne soutient plus la production cinématographique qu'à coups d'enveloppes chichement distribuées, et le plus souvent sur le mode népotique. Il y a certes, et c'est déjà l'essentiel, l'absence d'un centre national de cinématographie qui prendrait en charge une véritable politique de soutien et de développement du cinéma, à l'image du CNC français. Absence d'autant plus cruellement ressentie que l'ex-Oncic n'a jamais été remplacé par quelque efficace structure. Mais le fond de la question aujourd'hui, c'est bien celle qui se rapporte à la manière dont les fonds d'aide sont alloués, conformément à la loi du 17 février 2011. Ce texte se distingue par un joli flou artistique qui fait que le 7e art algérien est peuplé aujourd'hui de requins du ciné et de fauchés du cinoche. D'un côté, des malins, toujours les mêmes, qui sont toujours plus égaux que la masse des créateurs démunis, désargentés et désemparés qui ne savent pas à quel saint cinématographique se vouer pour donner leur premier ou leur second coup de manivelle. De l'autre, les intermittents du spectacle. Tous ces SDF qui vivent dans la marge culturelle, et qui ne savent pas comment emprunter les voies impénétrables qui mènent vers Madame la ministre de tutelle ou vers ces messieurs les délieurs des cordons de la bourse étatique. Ces crève-la-dalle, qui crèvent d'envie de crever l'écran, ne savent pas comment accéder en effet à l'occulte «Comité de lecture», habilité par la loi de février 2011 à affecter les sous aux cinéastes. Ce conclave de nonces artistiques est théoriquement le seul à pouvoir disposer du compte d'affectation spéciale qu'est le «Fonds de développement de l'art de la technique et de l'industrie cinématographique». Un fonds dont on ne connaît pas le budget affecté et qui ne publie jamais ses comptes. Et pour cause ! On sait en revanche que les techniques de saupoudrage clientéliste de l'argent public sont bien rodées, de façon à ce que ce soit toujours les copains, les coquins et les gredins qui en bénéficient le plus souvent. Quitte à jeter encore plus dans la marge de la misère et du non droit, des orphelins de la caméra qui se font exploiter par des margoulins de la production privée qui a contribué, elle aussi, à installer le cinéma algérien dans une zone grise de non droit. Le cinéma fabrique des souvenirs, disait Godard. En Algérie, il fabrique des éclopés de la caméra et des misérables de la pellicule. N. K.