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«Les ennemis jurés de l'intelligence tunisienne»
Dernier réquisitoire de Chokri Belaïd contre les islamistes
Publié dans Le Midi Libre le 27 - 02 - 2013

Assassiné devant son domicile le 6 février dernier, Chokri Belaïd était un symbole de l'opposition au gouvernement tunisien dominé par le parti islamiste Ennahda. Isabelle Kersimon a sélectionné les passages les plus marquants du réquisitoire contre Ennahda qu'il a tenu à l'antenne de Nessma TV le 23 janvier 2012, en réaction à une série d'agressions commises par des islamistes contre des personnalités de la société civile tunisienne. Si ses propos ne nous donnent pas le nom du meurtrier de Belaïd, ils indiquent sans doute le mobile qui l'a poussé à commettre cet acte odieux.
«Ces gens-là ont avec Ben Ali une caractéristique fondamentale commune : les deux parties sont des ennemis jurés de l'intelligence tunisienne. Ils n'aiment pas l'intelligence tunisienne. Ils aiment plutôt niveler, en répandant systématiquement l'ignorance ! Deuxio : ce qui s'est passé aujourd'hui, en ce qui concerne Nessma TV1, ne peut être dissocié des batailles fondamentales. (...)
Aujourd'hui en Tunisie, nous sommes à la croisée des chemins dans le parcours révolutionnaire. Vous avez évoqué le 14 janvier. Eux, dans ce parcours révolutionnaire étaient absents, n'y ont pas participé. Et moi aujourd'hui, en tant qu'avocat, je suis triste. Parce que ceux qui ont voulu m'agresser aujourd'hui, agresser les avocats (moi je suis sorti du tribunal sous la protection de mes confrères, alors que la police regardait passivement). La police de Ali Larayedh regardait passivement. Moi je vais engager des poursuites contre lui, Ali Larayedh.
Il y a parmi ceux qui voulaient m'agresser des gens pour qui j'ai plaidé, et plaidé à un moment où ils ne trouvaient aucun islamiste pour les défendre. Et j'ai été ciblé par la police de Ben Ali pour avoir défendu ces gens-là et dénoncé, moi et quelques confrères, la question de la torture. Et nous étions, au Barreau tunisien, une infime minorité à oser pareille chose. Aujourd'hui, ils se laissent «charger» parce que ennemis de l'intelligence. Ce qui s'est passé aujourd'hui est dangereux, parce que le credo du 14 janvier est Liberté et Dignité. La liberté n'a de sens que structurée autour de sa valeur centrale, et cette valeur réside dans le respect de la diversité et le droit de chacun à la différence. Tel droit va de pair avec les libertés de pensée, d'expression, de conscience et de croyance, et – chose très importante – la liberté d'accès à l'information, mais aussi la liberté de la recherche universitaire, et bien plus importante encore : la liberté de création.Et là, oublions Nessma TV. Ce qu'elle a diffusé est un film. Un film, un poème, une œuvre théâtrale, une chanson, aucun magistrat sur terre n'est compétent pour statuer là-dessus. La création artistique et littéraire s'évalue et se corrige par les critiques spécialisés dans ces domaines, et non pas par les tribunaux. Ces gens qui veulent imposer leur censure comptent nous engager dans l'ère de la Hisba (code draconien de censure religieuse), comme c'est le cas actuellement en Egypte. Ils veulent faire régresser la Tunisie qui est gouvernée par un système judiciaire civil datant de plus d'un siècle. Rappelons-leur ceci, pourquoi pas ? Qu'ils se souviennent que ce pays nous a donné Mohammed Ben-Arafa Al-Ouirghimmi qui a interdit l'esclavagisme il y a plus de cinq cents ans, avant les Anglais et les Américains, entre autres.
Ce pays a été le premier dans le monde arabe à adopter une Constitution civile. Ce pays nous a donné le plus grand mouvement d'émancipation et de lumières. (...)
Donc c'est une lutte entre deux orientations, qui se poursuit aujourd'hui. D'une part, une force rétrograde, passéiste, avec sa culture de la mort, sa violence, sa négation de l'autre, sa pensée unique, sa couleur unique, son souverain unique et sa lecture unique du texte sacré, laquelle interdirait même l'exercice de la profession d'avocat. Et, d'autre part, la pensée qui plaide l'humain, qui évolue dans une perspective plutôt relativiste. Une pensée qui voit dans la Tunisie un jardin abritant mille fleurs et autant de couleurs.
Nous pouvons diverger dans la diversité, mais dans un cadre civil, pacifique, démocratique. Diverger dans la diversité, oui ! Parce que moi je les aurais soutenus s'ils étaient venus ici pour faire une déclaration contre Nessma TV. C'est leur droit. S'ils avaient distribué des tracts à l'avenue Bourguiba, ç'aurait été leur droit. S'ils avaient rédigé un article, organisé une manifestation pacifique, ç'aurait été leur droit. C'est cela le droit à la différence, vu que nous ne pouvons pas être comme eux.Mais de là à agresser des gens, à ameuter des foules, et j'ai vu aujourd'hui un gosse de 15 ans devant le tribunal, un adolescent qu'on a dû faire sortir de son école pour le monter contre l'élite du pays et l'autoriser à prononcer contre tel ou tel le Takfîr (sentence d'apostasie) et la proscription : voilà ce qui procède exactement de la Sainte Inquisition ordonnée par les prêtres du Moyen-Age.C'est pourquoi la question dépasse ce que leur rhétorique appelle violence restreinte». Et la symbolique de la violence, qu'en dites-vous ? Qui est systématiquement ciblé par cette violence ? Un : la presse. Ce qui s'est passé aujourd'hui est un examen éprouvant la résistance des médias tunisiens. Il n'y a pas de démocratie sans pouvoir médiatique pluraliste, démocratique et libre. Pouvoir qui prend à sa charge la volonté du peuple de tout contrôler. Tout contrôler, c'est-à-dire la tête du pouvoir, les institutions, les partis politiques, les associations, la culture, l'idéologie dominante...
Deuxième catégorie ciblée par la violence : les défenseurs des droits de l'Homme, et en particulier les avocats. C'est-à-dire la voix qui avait le plus de mordant sous Ben Ali, opposée à sa dictature. Troisième catégorie : les universitaires, la cervelle de la Tunisie qu'on veut anéantir à travers l'Université. Exemple type ici : l'université de la Manouba, forteresse de génie qui nous a donné le gratin des intelligences, la pléiade des meilleurs cadres du pays. Ces constellations d'intelligence sont la fortune inappréciable du pays. Cinquième cible de violence : l'institution éducative, parce que système nerveux de la société. Ils veulent le paralyser. Sixième cible : le génie artistique (...)
Je vous l'ai bien dit dès le départ : ces gens sont les ennemis jurés de l'intelligence. Ils veulent que la Tunisie soit abrutie. Ce pays, comme chacun le sait, n'a pas de richesses premières. Notre unique capital, c'est l'intelligence. Nous n'avons pas de pétrole et Dieu merci ! Parce que si nous avions eu cette ressource pétrolière, nous ne serions pas moins abrutis que les riches du Golfe arabe. Ce pays n'a pour manne de richesse que le capital de l'intelligence humaine. Et ce que nous avons acquis en commun, ce qui nous a permis aux uns et aux autres de cohabiter malgré tout dans ce pays.
La violence qui s'institutionnalise avec ces gens est conforme au projet tyrannique. C'est pourquoi je tiens à montrer du doigt ceux qui en assument la responsabilité. Quand le chef du gouvernement formule des excuses, et à une personne, nous lui disons : «Non monsieur, il n'y a pas qu'une seule personne ni cette seule circonstance qui réclament des excuses. Où est votre devoir, votre responsabilité ? Les lapsus et demandes d'excuses, nous en avons entendu des tonnes ! Sommes-nous en face d'institutions ou d'un pouvoir absolutiste ?»
Les deux faces d'Ennahda
A Tunis et auprès de ses sympathisants français, l'assassinat de Chokri Belaïd n'en finit pas de déchaîner les passions. Celui qui servait de porte-voix médiatique au «Front populaire» tunisien, agglomérat de petites formations de la gauche radicale, faisait figure de symbole, tout particulièrement aux yeux des salafistes qui, non contents de s'en prendre aux mausolées populaires, aux libres penseurs et aux femmes, avaient juré de ramener son scalpel.Le corps de Belaïd à peine refroidi, le chef du gouvernement Hamid Jebali a répondu aux manifestations anti-islamistes en annonçant vouloir former un gouvernement apolitique, constitué de purs technocrates en lieu et place de l'attelage improbable qui gouverne le pays. Quoique majoritaire en voix et en sièges, tant pour des raisons d'arithmétique politicienne qu'afin de se forger une image plus consensuelle, Ennahda a, en effet, dû s'associer au Congrès pour la République (CPR) du président Marzouki ainsi qu'au parti Takatoul du président du Parlement, deux mouvements de centre-gauche, pour composer le cabinet issu de l'élection de la Constituante en octobre 2011. Mais Jebali a beau clamer ses désirs de dialogue, la rue islamiste – ennahdistes et salafistes confondus – et son propre parti lui ont dit niet : pas question de renoncer à la légitimité des urnes pour acheter la paix sociale. Cortège contre cortège, Tunisiens séculiers et barbus ont pu se compter tandis que prévalait le statu-quo gouvernemental. Malgré tous ses efforts, Jebali n'avait pas avancé d'un pouce jusqu'à sa démission d'hier soir, les médias mettant massivement son impuissance sur le compte du chef spirituel d'Ennahda, le cheikh Rached Ghannouchi, censé incarner l'aile dure du parti de la renaissance islamique.
Ainsi du CPR qui vient de perdre la moitié de ses troupes après la défection de son secrétaire général, moins islamo-compatible que son ambitieux fondateur Marzouki. Fait sans précédent depuis la révolution de janvier 2011, le général Rachid Ammar, le chef d'état-major des armées – qui fit preuve d'une bravoure et d'une présence d'esprit inégalées lors de la chute de la maison Ben Ali – est dernièrement sorti de son devoir de réserve pour publiquement tancer un membre du gouvernement. La faute en incombe à Slim Ben Hmidane, ministre CPR des «Domaines de l'Etat», lequel avait évoqué des propos que le général aurait prétendument tenus en plein Conseil des ministres. Fort de son image de gardien de la révolution, Ammar a infirmé la version du ministre et fait part de sa vive préoccupation face à la situation sécuritaire. Un épisode anecdotique qui en dit long sur la fébrilité des gouvernants tunisiens, le doigt sur la couture du pantalon dès que les forces de sécurité interviennent. Vingt ans après, le scénario-catastrophe de l'annulation des élections algériennes de 1991 remportées par les islamistes du FIS reste sans doute dans toutes les têtes...
Par-delà ses contradictions, le peuple d'Ennadha persiste à braver les regards occidentaux : d'après un récent sondage, malgré l'usure du pouvoir, le parti islamiste se hisserait toujours à la première place du podium en cas d'élection, devant le bloc néo-bourguibiste L'Appel de la Tunisie.
Tout ceci ne nous dit pas qui a tué Chokri Belaïd, quand auront lieu les prochaines élections, ni quand un nouveau gouvernement sera formé et un projet de Constitution adopté. Rien n'est joué, d'autant qu'une majorité absolue de Tunisiens rechigne à enterrer les acquis du bourguibisme – Code du statut personnel et autres droits de la femme – dans un linceul vert et noir.
Assassiné devant son domicile le 6 février dernier, Chokri Belaïd était un symbole de l'opposition au gouvernement tunisien dominé par le parti islamiste Ennahda. Isabelle Kersimon a sélectionné les passages les plus marquants du réquisitoire contre Ennahda qu'il a tenu à l'antenne de Nessma TV le 23 janvier 2012, en réaction à une série d'agressions commises par des islamistes contre des personnalités de la société civile tunisienne. Si ses propos ne nous donnent pas le nom du meurtrier de Belaïd, ils indiquent sans doute le mobile qui l'a poussé à commettre cet acte odieux.
«Ces gens-là ont avec Ben Ali une caractéristique fondamentale commune : les deux parties sont des ennemis jurés de l'intelligence tunisienne. Ils n'aiment pas l'intelligence tunisienne. Ils aiment plutôt niveler, en répandant systématiquement l'ignorance ! Deuxio : ce qui s'est passé aujourd'hui, en ce qui concerne Nessma TV1, ne peut être dissocié des batailles fondamentales. (...)
Aujourd'hui en Tunisie, nous sommes à la croisée des chemins dans le parcours révolutionnaire. Vous avez évoqué le 14 janvier. Eux, dans ce parcours révolutionnaire étaient absents, n'y ont pas participé. Et moi aujourd'hui, en tant qu'avocat, je suis triste. Parce que ceux qui ont voulu m'agresser aujourd'hui, agresser les avocats (moi je suis sorti du tribunal sous la protection de mes confrères, alors que la police regardait passivement). La police de Ali Larayedh regardait passivement. Moi je vais engager des poursuites contre lui, Ali Larayedh.
Il y a parmi ceux qui voulaient m'agresser des gens pour qui j'ai plaidé, et plaidé à un moment où ils ne trouvaient aucun islamiste pour les défendre. Et j'ai été ciblé par la police de Ben Ali pour avoir défendu ces gens-là et dénoncé, moi et quelques confrères, la question de la torture. Et nous étions, au Barreau tunisien, une infime minorité à oser pareille chose. Aujourd'hui, ils se laissent «charger» parce que ennemis de l'intelligence. Ce qui s'est passé aujourd'hui est dangereux, parce que le credo du 14 janvier est Liberté et Dignité. La liberté n'a de sens que structurée autour de sa valeur centrale, et cette valeur réside dans le respect de la diversité et le droit de chacun à la différence. Tel droit va de pair avec les libertés de pensée, d'expression, de conscience et de croyance, et – chose très importante – la liberté d'accès à l'information, mais aussi la liberté de la recherche universitaire, et bien plus importante encore : la liberté de création.Et là, oublions Nessma TV. Ce qu'elle a diffusé est un film. Un film, un poème, une œuvre théâtrale, une chanson, aucun magistrat sur terre n'est compétent pour statuer là-dessus. La création artistique et littéraire s'évalue et se corrige par les critiques spécialisés dans ces domaines, et non pas par les tribunaux. Ces gens qui veulent imposer leur censure comptent nous engager dans l'ère de la Hisba (code draconien de censure religieuse), comme c'est le cas actuellement en Egypte. Ils veulent faire régresser la Tunisie qui est gouvernée par un système judiciaire civil datant de plus d'un siècle. Rappelons-leur ceci, pourquoi pas ? Qu'ils se souviennent que ce pays nous a donné Mohammed Ben-Arafa Al-Ouirghimmi qui a interdit l'esclavagisme il y a plus de cinq cents ans, avant les Anglais et les Américains, entre autres.
Ce pays a été le premier dans le monde arabe à adopter une Constitution civile. Ce pays nous a donné le plus grand mouvement d'émancipation et de lumières. (...)
Donc c'est une lutte entre deux orientations, qui se poursuit aujourd'hui. D'une part, une force rétrograde, passéiste, avec sa culture de la mort, sa violence, sa négation de l'autre, sa pensée unique, sa couleur unique, son souverain unique et sa lecture unique du texte sacré, laquelle interdirait même l'exercice de la profession d'avocat. Et, d'autre part, la pensée qui plaide l'humain, qui évolue dans une perspective plutôt relativiste. Une pensée qui voit dans la Tunisie un jardin abritant mille fleurs et autant de couleurs.
Nous pouvons diverger dans la diversité, mais dans un cadre civil, pacifique, démocratique. Diverger dans la diversité, oui ! Parce que moi je les aurais soutenus s'ils étaient venus ici pour faire une déclaration contre Nessma TV. C'est leur droit. S'ils avaient distribué des tracts à l'avenue Bourguiba, ç'aurait été leur droit. S'ils avaient rédigé un article, organisé une manifestation pacifique, ç'aurait été leur droit. C'est cela le droit à la différence, vu que nous ne pouvons pas être comme eux.Mais de là à agresser des gens, à ameuter des foules, et j'ai vu aujourd'hui un gosse de 15 ans devant le tribunal, un adolescent qu'on a dû faire sortir de son école pour le monter contre l'élite du pays et l'autoriser à prononcer contre tel ou tel le Takfîr (sentence d'apostasie) et la proscription : voilà ce qui procède exactement de la Sainte Inquisition ordonnée par les prêtres du Moyen-Age.C'est pourquoi la question dépasse ce que leur rhétorique appelle violence restreinte». Et la symbolique de la violence, qu'en dites-vous ? Qui est systématiquement ciblé par cette violence ? Un : la presse. Ce qui s'est passé aujourd'hui est un examen éprouvant la résistance des médias tunisiens. Il n'y a pas de démocratie sans pouvoir médiatique pluraliste, démocratique et libre. Pouvoir qui prend à sa charge la volonté du peuple de tout contrôler. Tout contrôler, c'est-à-dire la tête du pouvoir, les institutions, les partis politiques, les associations, la culture, l'idéologie dominante...
Deuxième catégorie ciblée par la violence : les défenseurs des droits de l'Homme, et en particulier les avocats. C'est-à-dire la voix qui avait le plus de mordant sous Ben Ali, opposée à sa dictature. Troisième catégorie : les universitaires, la cervelle de la Tunisie qu'on veut anéantir à travers l'Université. Exemple type ici : l'université de la Manouba, forteresse de génie qui nous a donné le gratin des intelligences, la pléiade des meilleurs cadres du pays. Ces constellations d'intelligence sont la fortune inappréciable du pays. Cinquième cible de violence : l'institution éducative, parce que système nerveux de la société. Ils veulent le paralyser. Sixième cible : le génie artistique (...)
Je vous l'ai bien dit dès le départ : ces gens sont les ennemis jurés de l'intelligence. Ils veulent que la Tunisie soit abrutie. Ce pays, comme chacun le sait, n'a pas de richesses premières. Notre unique capital, c'est l'intelligence. Nous n'avons pas de pétrole et Dieu merci ! Parce que si nous avions eu cette ressource pétrolière, nous ne serions pas moins abrutis que les riches du Golfe arabe. Ce pays n'a pour manne de richesse que le capital de l'intelligence humaine. Et ce que nous avons acquis en commun, ce qui nous a permis aux uns et aux autres de cohabiter malgré tout dans ce pays.
La violence qui s'institutionnalise avec ces gens est conforme au projet tyrannique. C'est pourquoi je tiens à montrer du doigt ceux qui en assument la responsabilité. Quand le chef du gouvernement formule des excuses, et à une personne, nous lui disons : «Non monsieur, il n'y a pas qu'une seule personne ni cette seule circonstance qui réclament des excuses. Où est votre devoir, votre responsabilité ? Les lapsus et demandes d'excuses, nous en avons entendu des tonnes ! Sommes-nous en face d'institutions ou d'un pouvoir absolutiste ?»
Les deux faces d'Ennahda
A Tunis et auprès de ses sympathisants français, l'assassinat de Chokri Belaïd n'en finit pas de déchaîner les passions. Celui qui servait de porte-voix médiatique au «Front populaire» tunisien, agglomérat de petites formations de la gauche radicale, faisait figure de symbole, tout particulièrement aux yeux des salafistes qui, non contents de s'en prendre aux mausolées populaires, aux libres penseurs et aux femmes, avaient juré de ramener son scalpel.Le corps de Belaïd à peine refroidi, le chef du gouvernement Hamid Jebali a répondu aux manifestations anti-islamistes en annonçant vouloir former un gouvernement apolitique, constitué de purs technocrates en lieu et place de l'attelage improbable qui gouverne le pays. Quoique majoritaire en voix et en sièges, tant pour des raisons d'arithmétique politicienne qu'afin de se forger une image plus consensuelle, Ennahda a, en effet, dû s'associer au Congrès pour la République (CPR) du président Marzouki ainsi qu'au parti Takatoul du président du Parlement, deux mouvements de centre-gauche, pour composer le cabinet issu de l'élection de la Constituante en octobre 2011. Mais Jebali a beau clamer ses désirs de dialogue, la rue islamiste – ennahdistes et salafistes confondus – et son propre parti lui ont dit niet : pas question de renoncer à la légitimité des urnes pour acheter la paix sociale. Cortège contre cortège, Tunisiens séculiers et barbus ont pu se compter tandis que prévalait le statu-quo gouvernemental. Malgré tous ses efforts, Jebali n'avait pas avancé d'un pouce jusqu'à sa démission d'hier soir, les médias mettant massivement son impuissance sur le compte du chef spirituel d'Ennahda, le cheikh Rached Ghannouchi, censé incarner l'aile dure du parti de la renaissance islamique.
Ainsi du CPR qui vient de perdre la moitié de ses troupes après la défection de son secrétaire général, moins islamo-compatible que son ambitieux fondateur Marzouki. Fait sans précédent depuis la révolution de janvier 2011, le général Rachid Ammar, le chef d'état-major des armées – qui fit preuve d'une bravoure et d'une présence d'esprit inégalées lors de la chute de la maison Ben Ali – est dernièrement sorti de son devoir de réserve pour publiquement tancer un membre du gouvernement. La faute en incombe à Slim Ben Hmidane, ministre CPR des «Domaines de l'Etat», lequel avait évoqué des propos que le général aurait prétendument tenus en plein Conseil des ministres. Fort de son image de gardien de la révolution, Ammar a infirmé la version du ministre et fait part de sa vive préoccupation face à la situation sécuritaire. Un épisode anecdotique qui en dit long sur la fébrilité des gouvernants tunisiens, le doigt sur la couture du pantalon dès que les forces de sécurité interviennent. Vingt ans après, le scénario-catastrophe de l'annulation des élections algériennes de 1991 remportées par les islamistes du FIS reste sans doute dans toutes les têtes...
Par-delà ses contradictions, le peuple d'Ennadha persiste à braver les regards occidentaux : d'après un récent sondage, malgré l'usure du pouvoir, le parti islamiste se hisserait toujours à la première place du podium en cas d'élection, devant le bloc néo-bourguibiste L'Appel de la Tunisie.
Tout ceci ne nous dit pas qui a tué Chokri Belaïd, quand auront lieu les prochaines élections, ni quand un nouveau gouvernement sera formé et un projet de Constitution adopté. Rien n'est joué, d'autant qu'une majorité absolue de Tunisiens rechigne à enterrer les acquis du bourguibisme – Code du statut personnel et autres droits de la femme – dans un linceul vert et noir.


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