2014 : tous les milliards sont permis El Watan le 06.12.13 | Des milliards de dinars hors budget attribués aux wilayas, des mesures administratives pour alléger la bureaucratie, des prêts sans intérêts et sans impôts pour les jeunes... Le gouvernement est frappé d'une crise de générosité. A moins que cela ne soit en prévision d'un 4e mandat ? Plus de 360 milliards de dinars. Si on n'était pas en Algérie, on pourrait presque dire que c'est Noël avant l'heure. Le père Noël ? Abdelmalek Sellal qui, de sa hotte, a sorti d'énormissimes enveloppes pendant cinq mois de tournée à l'intérieur du pays. Un joli conte qui rappelle un peu 2009. Au cours des mois qui avaient précédé l'élection présidentielle, Abdelaziz Bouteflika avait sillonné le pays, promettant un nouveau plan de développement de 12 000 milliards de dinars sur cinq ans, la construction d'un million de logements et la création de trois millions de postes d'emploi grâce à l'émergence de 200 000 petites et moyennes entreprises. «Sans le moindre doute, ces décisions ont été prises en vue d'un 4e mandat», s'emporte Soufiane Djilali, leader de Jil Jadid et candidat déclaré à la présidentielle. Au RCD, même refrain : «Ces mesures ont certainement été prises en prévision d'un quatrième mandat. Sinon qu'est-ce qui aurait empêché Sellal d'annoncer ça bien avant ?», s'interroge Othmane Mazouz, chargé de communication du parti. Avec les enveloppes, un autre cadeau : l'allégement soudain des mesures administratives. Pour le passeport ? Il ne sera plus exigé de fournir l'acte de naissance n°12 du père du demandeur. Plus encore, le passeport sera délivré dans un délai de huit jours grâce à la suppression de l'enquête de police. Pour le permis de conduire et la carte grise ? Ils peuvent être délivrés le jour même du dépôt du dossier ! Pour la carte nationale ? Le Premier ministre promet une délivrance en 24 heures ! «Il ne faut pas douter des bonnes intentions de l'administration», défend Moussa Service national Touati, président du FNA et candidat déclaré pour 2014, tout en nuançant, «ces allégements arrivent en retard et ils ne doivent pas être pris à la légère. On doit mettre en place des textes pour les organiser.» Plus fort encore : la durée de validité des certificats de résidence passe de trois à six mois. Et il est même autorisé à présent de présenter un acte de naissance n°12, même non légalisé, comme pièce justificative. La lutte contre la bureaucratie dont parlait Abdelaziz Bouteflika au 14e jour de sa campagne électorale de 2009... est enfin lancée. «Nous avons commencé par les choses sur lesquelles on peut progresser rapidement comme l'état civil, la carte grise, le permis de conduire, le passeport…», annonçait Daho Ould Kablia, l'ancien ministre de l'Intérieur en 2011, sans que cela soit suivi d'effet. El Khabar rappelle cette semaine que déjà le gouvernement de Mokdad Sifi (janvier 1994-décembre 1995), sous la présidence de Liamine Zeroual, évoquait les aléas de la bureaucratie. Le président Zeroual, à l'époque, avait intégré au gouvernement un ministère délégué à la Réforme administrative, désignant Noureddine Kasd Ali à sa tête. Ce dernier était chargé de la modernisation de l'administration et du développement de la Fonction publique. Kasd Ali avait confié à la presse, à l'époque, que sa tâche était de «faire renaître la confiance du citoyen en son administration», et que le gouvernement «frapperait d'une main de fer tous les responsables qui n'appliqueraient pas les instructions». Ces mesures ont été prises dans le cadre de la préparation de l'élection présidentielle de novembre 1995 afin de convaincre les citoyens de participer en masse au processus électoral. Mais sans effet réel ensuite. Une dizaine d'années plus tard, à la veille d'un nouveau scrutin, voilà que le gouvernement fait de nouvelles promesses. Dernier cadeau à l'attention des jeunes, électorat non négligeable : la généralisation des prêts bancaires sans intérêts pour les créateurs d'entreprises, action au départ lancée dans le Sud et élargie à tout le pays. Ces jeunes ne paieront pas d'impôts pendant dix ans (aujourd'hui, six). Mais Bilal, chômeur âgé de 24 ans, titulaire d'un master en études sécuritaires internationales, n'y croit guère. Electoralistes Et de citer en exemple la suppression récente de la carte militaire pour participer au concours de la Fonction publique. «Cela ne veut rien dire. Nous devons quand même effectuer notre service, sinon l'armée nous recherche (ils sont 350 000 aujourd'hui à ne pas s'être pliés à cette obligation, ndlr). Et les sociétés, qui vont forcément nous la demander, ne vont certainement pas prendre le risque de recruter des jeunes recherchés. La seule mesure serait d'annuler définitivement le service national.» Des mesures qui exaspèrent encore Soufiane Djilali : «A quelques mois de l'élection présidentielle, voilà que le régime s'aperçoit que les Algériens souffrent de leur administration, et décide en un tour de main de rendre tout beaucoup plus facile ?» Rachid Nekkaz, aussi candidat en course pour El Mouradia, considère que «s'ils ont mis un peu de temps pour comprendre qu'il fallait faire des allégements administratifs», il faut, selon lui, «aller plus loin que des mesures électoralistes. Moi je propose par exemple de mettre en place une administration électronique. Le service militaire n'est pas utilisé pour développer la conscience citoyenne algérienne, il freine le dynamisme de la jeunesse». Pendant ce temps, le père Noël Sellal continue sa tournée, mardi à El Oued, mercredi à Biskra, assurant «au nom du président de la République et du gouvernement, qu'il existe une volonté politique d'accompagner tous ceux qui sont prêts à investir dans le pays.» Et l'agence officielle de presse de commencer un bilan qu'on devine déjà long des trois mandats de Abdelaziz Bouteflika. Le 1er décembre, on apprenait ainsi que plus de 40 000 aides à l'habitat rural avaient été enregistrées à Bouira durant le quinquennat 2010-2014. Mourad Goumiri. Politologue : une zerda prémonitoire d'un 4e mandat ! -Toutes les mesures annoncées par le gouvernement : une campagne pour un 4e mandat ? Les déplacements du Président-Premier ministre ne relèvent certainement pas d'une démarche cohérente, construite sur un programme, un plan ou une quelconque prise en charge sérieuse des problèmes de développement local. Dès lors, ils ne peuvent s'inscrire que dans une démarche clientéliste, et la seule manifestation qui apparaît, dans l'agenda du pouvoir et qui nécessite cette action, à un rythme effréné, c'est bien la présidentielle ! Vous avez peut-être remarqué que l'ingénierie de ces déplacements est identique pour chacune des wilayas (petite ou grande, riche ou pauvre) avec une visite ne dépassant pas les 24 heures, «l'inspection de projets» (qui figurent ou pas dans le tunnel de projets réalisés ou en voie de l'être), auxquels il alloue une enveloppe financière complémentaire (hors budget) plus ou moins importante, avec la promesse du règlement futur des difficultés locales endémiques (logement, santé, éducation, emploi, infrastructures) et enfin une rencontre-débat avec les appareils locaux et leurs relais, appelés injustement «société civile», avant de reprendre l'avion du retour. Personne ne se demande où il a puisé ces milliards de dinars qu'il distribue aussi généreusement ! De même, personne ne comprend la logique de ces affectations, secteur par secteur, ni leur ordre de priorité ? L'architecture même de ces interventions publiques n'est pas lisible et ressemble plus à une zerda prémonitoire d'un événement à venir, comme le prescrivent nos traditions zaouïales. Quant aux discours lus sur place, avant sont départ, il est à géométrie variable et en fonction de l'actualité que les appareils lui imposent. -Pourquoi maintenant et pas avant ? Si ce n'était la maladie du Président (la première mais surtout la seconde), le 4e mandat était programmé et n'aurait certainement pas posé de problème majeur. Seulement la maladie du Président a fait tomber ce scénario et a conduit le pouvoir à choisir, contraint et forcé, un autre candidat, capable de satisfaire les exigences de tous les clans du pouvoir et en particulier de celui sortant. Connaissant parfaitement les mœurs politiques de notre pays, le Président sortant sait très bien et mieux que quiconque, que s'il ne choisit pas lui-même le futur Président il risque de se retrouver, lui et le reste de sa famille, dans la même situation que les Ben Ali, en fuite précaire ou les Moubarak, enfermés dans une cage comme des bêtes. D'où l'importance du choix du futur candidat coopté par tous les clans du pouvoir. Dès lors, la démarche de Sellal entre dans le cadre du rapport de forces entre les clans pour que le choix se fasse en leur faveur et non contre leurs intérêts. Cette action s'est donc faite en rupture de tout ce qui avait été programmé et s'inscrit dans une politique de redistribution de la rente à la population, en vue d'emporter son adhésion sur le futur candidat, peu importe son nom, pourvu qu'il accepte de servir le pouvoir. -D'où viennent donc ces milliards de dinars ? Les deniers publics engloutis dans cette opération proviennent, bien entendu, de la «caisse noire budgétaire» créée à partir du premier mandat, sous le nom de «Fonds national de péréquation», instrument qui devait amortir les fluctuations intempestives du marché international des hydrocarbures (le calcul des recettes d'exportation s'effectue sur la base d'un baril à 39 dollars et le reste alimente le Fonds). Les messages délivrés sur place consistent en fait en une revue des troupes, en vue de l'assaut final pour la présidentielle. En même temps, ils testent l'adhésion à un éventuel 4e mandat. Il est à noter que, dans certaines wilayas, cela s'est soldé par un caillassage. On est en droit de se poser une question : pour qui roule le Président-Premier ministre ? Pour le futur candidat virtuel du pouvoir, pour le Président sortant ou pour lui-même, bien qu'il s'en défende bien entendu ? Il ne se passera pas encore un mois sans que cette question trouve sa réponse. -On est aussi dans l'application du plan quinquennal... Un plan de développement économique et social demande, pour son élaboration et sa mise œuvre, un minimum de temps et de concertation, ce que le Président-Premier ministre n'a pas eu ni même voulu, puisque l'objectif si peu caché était d'éteindre les foyers de révolte qui se multiplient et n'épargnent aucune wilaya. Transformé en «pompier de la République», il a dû affronter l'hostilité des populations qui revendiquent des décisions immédiates pour améliorer leur quotidien. D'ailleurs, il a soigneusement évité de se rendre dans certaines wilayas sensibles. Sa mission a consisté à ramener le calme dans la tête des Algériens et à leur promettre des lendemains qui chantent. Ryma Maria Ben Yakoub et Sofia Ouahib