100 morts ! Un chiffre fatidique atteint fin du mois de juillet. Depuis le mois de mai, 100 personnes sont mortes au niveau des plages et des plans d'eau (barrages, oueds, lacs, mare d'eau, piscines et retenues collinaires). Une barrière symbolique est ainsi atteinte malgré les différentes campagnes et consignes de sécurité. C'est un sujet très sensible pour toutes les personnes qui apprécient les joies de la mer. « Je suis une bonne nageuse et je me laisse facilement tenter par faire de longues brasses dans la mer. Nous faisons des courses. Mais, j'assume le fait que je sais nager. Je suis étonnée de voir des estivants qui ne savent même pas barboter mais qui tentent le diable », s'étonne Yasmine, une ancienne nageuse. Et d'ajouter : « Une fois, j'ai sauvé in extremis un jeune homme qui avait promis à sa bande d'amis qu'il pouvait aller loin. Pour moi, ancienne nageuse professionnelle, et je continue de faire attention, je ne comprends pas ce genre de comportement. » Ce jeune homme a eu de la chance. Ce n'est pas le cas d'autres jeunes personnes qui ont péri en fin du mois de juin. Nawel, des semaines plus tard encore choquée, raconte. « J'ai assisté à la noyade de six personnes » « Nous avons pris notre congé en cette année, un peu en avance. Nous avons loué un étage de villa au niveau de la wilaya de Béjaïa, plus précisément à Beni Ksila. Deux jours avant la fin de notre séjour de dix jours, nous avons décidé de faire un tour au niveau de la plage Petit-Paradis, réputée et connue. La journée a commencé merveilleusement bien. Nous avons rencontré des familles venues avec leurs enfants. Il y avait une très bonne ambiance. Je me rappelle qu'il y avait un petit groupe de jeunes bien élevés que les parents avaient laissés. Ils avaient de 25 à 15 ans. Ils s'amusaient et jouaient même avec mes enfants. Ils sont entrés dans l'eau et s'amusaient. Je me rappelle jusqu'à aujourd'hui de leurs rires. A un certain moment, ce groupe commençait à montrer des signes d'inquiétude : l'un d'eux n'arrivait plus à revenir. Il montrait des signes de fatigue et sa tête donnait l'impression d'être un point dans les vagues. Simultanément, tout ce groupe a avancé dans l'eau et deux jeunes ont pu l'atteindre et n'ont pas pu le remonter. Ces deux jeunes hommes perdaient aussi de leurs forces et n'arrivaient plus à nager. Les gens autour essayaient chacun de les sauver. Et d'autres appelaient la police et la Protection civile. Cela se passait très vite. Les cris, les pleurs, la détresse de tous les estivants. C'était un moment de plaisir et tout d'un coup tout s'est assombri. La mer est devenue agitée très rapidement. Les estivants avaient jeté leurs bouées mais rien n'y fit. C'est une plage surveillée mais les agents de la Protection civile n'y étaient pas et ceux qui sont venus n'avaient pas les moyens d'intervenir. Lorsqu'ils ont repêché les corps avec leurs bateaux, plus de deux heures trente se sont écoulées. Je ne pourrais jamais oublier cette funeste journée et mes enfants aussi. Cela nous a marqués à jamais. Je déplore surtout le manque ou bien l'inexistence de moyens pour une plage surveillée. Pour ceux qui disent que le drapeau était rouge, je ne me souviens pas de cela mais je me rappelle de leur joie de profiter de la mer pour des jeunes vigoureux. La mer était calme et d'un seul coup elle était devenue agitée. » Les vacances ne sont pas encore terminées, on profite toujours de la mer, la prudence est plus que de rigueur. Le bilan de la Protection civile du lendemain a fait état du repêchage de trois noyés décédés à la plage Petit-Paradis, dans la commune d'Aït Chafaâ, à Azeffoun. Les trois victimes étaient âgées de 15 à 16 ans, toutes originaires du village Tizi N Tighidhet, dans la commune de Yakouren. La Protection civile signale, également, qu'une dizaine d'autres jeunes, âgés de 15 à 20 ans, ont été sauvés au même moment et au même endroit, tous originaires du même village (Tizi N Tighidhet). Par ailleurs, la Direction générale de la Protection civile (DGPC) avait annoncé le déploiement, du 1er juin au 30 septembre, de 9h à 19 h, de 24 000 agents professionnels et saisonniers, contre 18 000 en 2018, soit 6 000 agents supplémentaires. Ils sont répartis sur 419 plages pour des millions d'estivants. Selon la DGPC, le dispositif opérationnel de cette année a été pourvu en moyens matériels supplémentaires, particulièrement en ce qui concerne les embarcations pneumatiques, ainsi que les matériels collectifs et individuels d'intervention. Mieux vaut prévenir que guérir « Un total de 33 463 217 estivants ont fréquenté les 426 plages autorisées à la baignade au niveau national du 1er juin au 22 juillet 2019 », avait indiqué la sous-directrice de l'Organisation et de développement du territoire et chef de projet « saison estivale » au ministère de l'Intérieur, Lamia Bouderouia. Elle a précisé que la wilaya d'Oran arrive en tête des wilayas côtières en matière de fréquentation des plages avec plus de 6 millions d'estivants, suivie des wilayas de Boumerdès (plus de 4 millions), Mostaganem, Jijel et Skikda (plus de 3 millions), Tipasa (2 millions) et Alger (près de 2 millions). Ces millions d'estivants ont-ils conscience des dangers ? Pas si sûr. Pourtant, des campagnes de sensibilisation aux dangers de la mer sont lancées annuellement par divers organismes pour alerter l'opinion publique. Selon Mme Bouderouia, 59 décès ont été enregistrés au niveau des plages, soit 20 dans des plages surveillées et 39 au niveau des plages interdites. D'autre part, 14 personnes sont mortes dans des retenues collinaires, 12 dans des mares d'eau, 10 dans des barrages et 3 dans des oueds. A l'instar d'autres organismes, au niveau de l'Agence nationale des barrages et transfert, une campagne de sensibilisation contre les noyades dans les barrages est lancée annuellement au début du mois de juin. Ainsi, des spots publicitaires sont diffusés, des dépliants distribués à la population, des affiches placardées dans les maisons de jeunes, dans les cybercafés et les mosquées. La Protection civile fait de même. Mais, cela n'a pas l'impact escompté. Mohamed D., gérant d'une agence de communication, encourage l'harmonisation de ces campagnes sous un seul slogan et dans un seul objectif. De plus, cet expert en communication encourage l'utilisation de moyens modernes de communication surtout à travers les réseaux sociaux : « C'est le moyen le plus efficace surtout pour cette tranche d'âge .» Pour sa part, Khaled, jeune activiste de la société civile, note que « la communication ne peut être le seul levier de prise de conscience. Il faut qu'il y ait des mesures coercitives contre les baigneurs qui s'aventurent dans des plages non surveillées et rocheuses, principales causes de noyade. Et augmenter aussi les moyens d'intervention ». Sarah Raymouche