Des œuvres comme des griffures ou des brassées d'herbes sauvages, une rétrospective Hans Hartung, devait débuter vendredi à Paris, en réouverture du Musée d'art moderne (MAM) après un an de travaux, restituant sept décennies d'un des pionniers de l'abstraction. «La fabrique du geste», première rétrospective depuis 50 ans à Paris, présente quelque 300 œuvres provenant de collections publiques et privées et de la Fondation Hartung-Bergman. Son mérite est de montrer non seulement les évolutions picturales des décennies, mais aussi de tout ce qui les accompagnait : agrandissements et reproductions à l'identique, carnets de jeunesse, esquisses, photographies (il en a pris 15 000 dans sa vie) qui sont elles-mêmes des œuvres d'art, films documentaires... Un «art informel» qui reste à distance du cubisme et du surréalisme, un geste créateur libre, émotionnel, lyrique, fondé sur une recherche rationnelle. Cette création est à la mesure de la révolte de cet Allemand, né à Leipzig en 1904 et mort à Antibes en 1989 ; un homme qui a tout recommencé après avoir tout perdu, notamment un pied, en 1944, lors de son engagement dans la Légion étrangère avant de devenir un boulimique de nouvelles formes pour revivifier la vie. «Mes dessins étaient traversés de traits entortillés, étranges, embourbés, désespérés comme des griffures. Comme une peinture véhémente, révoltée. Comme moi-même. J'avais le sentiment d'avoir été floué. A part quelques Français qui avaient été mobilisés, les autres peintres avaient tous passé la guerre réfugiés quelque part», témoigne-t-il dans son auto-portrait. Cet acharné peindra jusqu'à la fin, en 1989, dans son fauteuil roulant, entouré d'assistants dans son atelier d'Antibes, véritable petite usine à peinture, où ce créateur libre se montrait très méthodique, à l'allemande. Il a consigné une documentation précise. Cet Allemand, qui vivra peu en Allemagne et mourra quinze jours après la chute du mur, était un photographe obsessionnel, un mathématicien, un latiniste, un passionné d'astronomie. «Enfant, il griffonnait des traits reproduisant les éclairs pour exorciser la peur des orages. Après la Shoah, il ne lui avait plus semblé possible de faire de la peinture figurative», observe Odile Burluraux, commissaire de l'exposition. Dans la dernière partie de sa vie, Hartung multiplie ses outils : la branche de genêt trempé dans la peinture et frappé sur la toile, le pistolet à air comprimé, la serpette, la sulfateuse à vigne. Il pulvérise, trace, gratte, brosse avec passion. Il laisse des toiles comme des éclairs. «La Fabrique du geste», Hans Hartung, jusq'au 1er mars, Musée d'art moderne de Paris.