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La pandémie de Covid-19 et l'autre manière de penser le monde
Publié dans Le Soir d'Algérie le 28 - 04 - 2020


Par Mourad Betrouni(*)
Le confinement crée en vous ce besoin d'écrire et de partager, pour vous sentir présent et utile, y compris dans l'extravagante insignifiance de vos récits. Ça fait du bien de partager et ça vous déculpabilise quelque part devant votre impuissance à agir sur les évènements présents. C'est le sens qu'il faut accorder à cette contribution, en ces moments de solitude, où s'ébauche subrepticement, sous votre regard ébahi, dans le sillage de la pandémie de Covid-19, un ordre nouveau.
Ils chantent et déclament sur leurs balcons pour réinventer le sentiment d'humanité, le désir de vivre, qui vous rapproche de votre prime animalité (organisme unicellulaire), pour vous réconcilier avec votre instinct le plus prégnant : l'instinct de conservation. Qu'importe de mourir bouddhiste, chrétien, juif ou musulman, dans des protocoles requis d'une conscience morale ou religieuse, érigée en gardien du temple, si ce n'est plus une affaire d'hommes ou de femmes, mais une question de survie de l'espèce sexuée tout entière, celle d'un affrontement où l'humanité n'est plus au sommet de la chaîne trophique pour garantir sa survivance.
Un dessaisissement de l'homme, honteusement assumé par le confinement et la distanciation physique, un aveu d'abandon ou un refus de combat. Fuir le Covid-19 – vider les lieux — et laisser s'établir le nouveau parvenu, dans les niches écologiques clinquantes (autoroutes, métros, musées, monuments, stades, cinémas, théâtres, casinos et autres…), laissées vacantes. Un nouveau parvenu qui n'est pas aussi nouveau que cela, si on se mettait à le scruter à l'échelle du grossissement moléculaire, qui ne confine pas mais qui va droit au sujet : l'isolement écologique, celui de l'interruption de tout échange génétique : Eviter la contamination pour sauver la « civilisation ». Nous ne sommes plus dans le paradigme humanitaire, mais dans celui de la comptabilité macabre, où la mort s'invite, par paquets de cent, en contrebas des balcons et des bâtisses sur pilotis.
Il faut attendre la fin de la tempête pour réinvestir son biotope, et inventer l'oubli, ce négatif de la mémoire, pour vous autoriser au recommencement. Hélas, cette fois-ci, le monde aura changé de fonction et de grammaire éco-culturelle. Le Boschiman d'Afrique du Sud se découvrira plus proche de vous génétiquement que votre voisin de palier. C'est avec lui que se fera la recomposition, dans une dérive génétique bien ancrée à la dérive des continents. Nous finirons par redescendre de l'arbre, — et ils descendront des balcons — comme l'ont fait, jadis, nos ancêtres en libérant leurs mains pour parvenir à l'humanité, d'un simple geste de palpation qui a engendré la conscience. Nous redescendrons de l'arbre, juste pour ramener nos pieds sur terre.
Nous vivons, en grandeur nature, par la force de l'information et de l'image, l'une des manifestations visibles de la sélection naturelle, à l'échelle spécifique humaine. Les individus ou groupes d'individus les plus adaptés sont ceux qui assureront la reproduction générationnelle, les autres disparaîtront. La longue histoire du genre et de l'espèce humains est riche d'exemples d'échecs et de réussites. Ceux qui ont réussi ont abouti à l'espèce humaine actuelle : Homo sapiens sapiens (Homme moderne). L'exemple le plus spectaculaire de l'échec est celui survenu, il y a un peu plus de 30 000 ans, où des populations entières, que les spécialistes ont convenu d'appeler « les hommes de Neandertal » ont disparu du continent européen, pour être remplacées par des hommes venus d'ailleurs : les Homo sapiens sapiens, l'espèce conquérante. C'est à cette échelle de la temporalité longue (milliers d'années) et dans une sémantique géologique, qu'il faille observer la pandémie de Covid-19.
Nous sommes en train de vivre une troisième guerre mondiale, dans sa forme post-moderne, où la nature du conflit est microbiologique. Elle préside d'une nouvelle formulation des solidarités planétaires, autour d'un ennemi commun : le Covid-19. La nouvelle guerre ne consiste plus à anéantir ou à réduire physiquement l'adversaire ; elle convoque la capacité de chacun à réagir, par sa culture et son génie propre, aux effets morbides de l'ennemi invisible. Dans ce débat planétaire, l'idéologique, le politique ou le religieux s'effacent devant une nouvelle force de frappe : la science et son corollaire, le savoir et la connaissance.
« Chacun pour soi et Dieu pour tous », étant entendu, le Dieu incarné, si sublimé dans l'imagerie européenne du « rêve américain ». L'Italie se meurt à huis clos et c'est la Chine qui court à son chevet. L'Europe est interdite d'entrée et ses Etats déclarent en tirer des leçons, mais le coup est parti. C'est un véritable détricotage d'un tissu dont les fils ne tiennent plus. La solidarité mondiale est humaine ou elle ne l'est pas et c'est en Asie que s'inventera la résilience, devant l'imminence d'un effondrement de la civilisation occidentale. La pandémie de Covid-19 n'est que l'ultime pièce de dominos qui fera s'écrouler, par saccades successives, les murs porteurs de la croissance illimitée et de la société de l'abondance.
A l'échelle des inquiétudes recensées par l'OMS, il faut y ajouter le versant de l'ignorance et de la superstition. Il n'existe pas [encore] de traitement du coronavirus et la science est mise à rude épreuve. C'est une malédiction divine qui s'est abattue sur l'humanité. Il me vient à l'esprit l'histoire du naufrage de la flotte espagnole de Charles Quint, dans la baie d'Alger, en 1541, par le fait d'une violente tempête. Un évènement mythifié par une gestuelle répétitive du saint Sidi Bougdour (l'homme aux marmites) de La Casbah d'Alger, qui faisait « engloutir » les vaisseaux espagnols en brisant les marmites, l'une après l'autre. Depuis, tout le monde a adopté le mythe et personne n'a vu la tempête.
A écouter des analystes et autres commentateurs sur le coronavirus, des personnes bien appréciées par ailleurs, il y a lieu de s'inquiéter outre mesure. Le raisonnement semble s'empêtrer dans une disharmonie d'échelle où le local prend la place du planétaire. Le Covid-19 n'est pas un problème circonscrit à la place des Martyrs ou à la mosquée Ketchaoua. Il n'est pas algérien, comme il n'est pas français ou américain. Sa frontière est une méga-membrane moléculaire à l'intérieur de laquelle se déploie un métabolisme morbide, le coronavirus. Le sujet ne concerne pas l'homme mais le devenir de l'espèce humaine. La pensée est à cette échelle et l'inquiétude est eukuménique. Il faut éclater la bulle pour parvenir au monde. Nous vivons pour la première fois une épreuve de la vie, qui nous ramène à notre essentiel : l'humanité
La crise de coronavirus «Covid-19» est une invitation à une autre manière de penser le monde, qui se substitue à l'idéologie sécuritaire dominante, pour un rééquilibrage géopolitique et géoéconomique, producteur de nouveaux enjeux, de nouveaux conflits et de nouvelles solidarités. C'est une opportunité, inespérée, au-delà du fait morbide, pour arrêter l'horloge mondiale et en réparer les ressorts abîmés, pour une nouvelle reprise de la machinerie. Fernand Braudel disait bien que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, « l'organisation du monde est entrée en contradiction avec l'écosystème planétaire ».
Le mouvement, le flux, la mobilité, la circulation, jusqu'à la respiration, sont sollicités pour une mise en réseau planétaire plus fluidale, agencée à un nouveau calendrier. Ne sommes-nous pas en pleine transition écologique ? Nous assistons, pour la première fois, à un acte de ritualisation planétaire «éternuez dans votre coude», qui participe d'une nouvelle catégorie de valeur de l'empire globalisant. Ce n'est point l'éternuement, en soi, mais le geste de ritualisation et son accompagnement qui assurent la traçabilité.
Sur une carte de propagation de coronavirus, depuis le foyer chinois, l'hémisphère sud, tout particulièrement l'Afrique, semble moins affecté – pour l'instant – corrélativement à son niveau de pauvreté et son « immobilisme congénital ». Faut-il, dès lors, bannir le « dynamisme fertilisant » de l'Occident et tenter une immersion dans le bassin de l'immobilisme et de la permanence ?
Ceux qui marchent lentement ont-ils, aujourd'hui, plus de chance de s'en sortir ? Rappelez-vous l'idée de la «bombe P» (population) qui faisait dire à certains de nos éminents savants que c'est la croissance démographique du Sud qui était responsable de la crise écologique annoncée. La mort, dans l'hémisphère sud, par le fait de la malnutrition et de l'hygiène, est-elle plus acceptable et recevable qu'une tuerie collective par arme de destruction massive ?
Dans la vieille Antiquité, deux savants grecs, Sénèque et Platon, accusaient déjà les « excès des temps nouveaux », qui annonçaient les grands bouleversements inhérents à l'Empire romain avec leurs « bienfaits civilisationnels » et leurs pendants en lot de maladies, telle la lèpre. C'est Plutarque, un siècle après, qui osa les deux explications possibles des épidémies régnantes : celle de maladies qui ont toujours existé, qu'on ne connaît pas et qu'on connaîtra avec le temps et celle de maladies nouvelles qui viennent d'ailleurs. Depuis, la science a fortement élargi ce spectre, en envisageant que la maladie peut évoluer à partir d'une autre maladie et que la notion de « maladie nouvelle » n'est envisageable que dans le cas d'un virus extraterrestre ou d'un virus synthétique, artificiel, produit dans un laboratoire.
Rappelez-vous, dans les années 1990, lorsqu'on a accusé les chimpanzés et autres singes, libres ou en captivité, d'être les transmetteurs du virus sida, ce qui rassura, un moment, une humanité si scrupuleuse de ses principes et sa pureté morale. Il sera démontré, un peu plus tard, non seulement que le virus VIH pouvait remonter aussi loin que la préhistoire et même au-delà, mais aussi et surtout que s'il ne s'est pas exprimé par le passé et qu'il ait produit une épidémie aujourd'hui, c'est parce que, soit il y a eu mutation vers un virus plus pathogène, soit qu'il est lié aux grands changements et bouleversements qu'a connus la planète.
Dans son article, « Adam était-il séropositif », publié dans Sciences et vie n°894, de juillet 1990, Christine Lefevre concluait
ainsi : « Finalement, on comprend que l'origine du sida n'est pas dans le chimpanzé, mais plutôt dans l'homme. Ce grand singe-là modifie l'environnement et crée en permanence de nouvelles niches écologiques, propices à son propre développement, mais aussi à celui des formes de vie qui le parasitent .» (P.158). Dans son ouvrage Histoire du sida, (éditions Payot), le professeur Mirko Grmeck critiqua frontalement la notion de « maladie nouvelle », dans ce sens où elle ne serait nouvelle que si elle n'est pas reconnue par les médecins ou si elle n'existe pas en réalité. Elle peut être nouvelle dans un endroit donné et non dans le monde entier ; elle peut être nouvelle dans un passé immédiat et non dans toute l'histoire de l'humanité.
La pandémie de coronavirus a suscité, dans notre pays, un intérêt pour la recherche scientifique, tout particulièrement le domaine de la santé et de la médecine et ses capacités à contenir les effets de la pandémie et c'est heureux. Une occasion, pour nous, de découvrir la compétence, le dévouement et le patriotisme de nos femmes et hommes du corps de la santé, tous mobilisés pour sauver des vies et enrayer l'épidémie. Ils sont les soldats de la nouvelle guerre, ils comptent déjà leurs premiers martyrs. Je voudrais leur témoigner toute notre reconnaissance et notre solidarité, à travers un hommage que nous avons déjà rendu à feu le professeur chirurgien Si Ahmed El Mahdi.
Le professeur Si Ahmed El Mahdi est parti selon ses propres vœux, en ayant accompli un rêve, celui d'avoir servi son pays. Dans un enregistrement vidéo, nous avons pu tirer quelques passages d'une de ses interventions, au milieu d'un parterre de médecins, qui annonçait sa fin de mission, l'accomplissement d'un rêve : « Combien je suis fier de partir, parce qu'il faut partir quelque part. Dans la vie tout a une fin. Comme disait Martin Luther King, j'ai fait un rêve, moi j'ai dit j'ai réalisé un rêve, celui d'être chirurgien. J'ai réalisé mon rêve, c'est d'avoir fait évoluer les choses… Quoi de plus important que l'investissement humain. Les textes, les lois, les décisions ne sont pas tout. Tout, c'est l'homme. C'est l'homme qui fait tout ». Le professeur Si Ahmed El Mahdi est parti en homme. Que nos enfants puissent s'imprégner de cette valeur essentielle, ce testament d'humanité.
M. B.
* Chercheur en archéologie


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