Je me rappelle, il y a quelques années de cela, sur les murs de Tizi, des affichettes ont été collées. Par curiosité, je voulais savoir de quoi il retournait. Un rebouteux des environs faisait gratuitement sa publicité. Pire encore, il se vantait de guérir avec des herbes médicinales un paquet de maladies. Tenez-vous bien : du VIH à la prostate, de l'impuissance masculine et à la migraine, de l'infertilité au cancer, etc. Tout cela, sans jamais avoir fait les bancs de l'université. Ça existe. Je vous promets que ça existe. Pourquoi donc faire de longues études, je vous le demande. Il suffit d'avoir du toupet, du bagout et le nez fin pour promettre de guérir un fagot de maladies. L'irrationnel est toujours en cours dans notre pays. Il y a bien ceux qui tombent dans le piège ; sinon ces gens-là n'iront pas s'afficher de la sorte publiquement. Ces rebouteux ont souvent pignon sur rue. Personne ne les contrôle. Pourtant, il y a bien pratique douteuse de la médecine. À mon toubib préféré, je lui suggère d'apposer une autre plaque devant son cabinet médical. Qu'il enlève ce titre pompeux de neurochirurgien. Il n'a qu'à signaler, en gros caractères, « je guéris tout, venez mes herbes sont magiques. » Il y aura une queue impressionnante, surtout si le bouche-à-oreille, appelé « téléphone arabe », fait des siennes. Je m'en vais vous raconter deux histoires véridiques. Une amie, diplomate de profession, souffrait du mal de dos, une souffrance qui la clouait au lit. Nous sommes dans la moitié des années quatre-vingt. Elle m'appelle, un jour, me demandant de l'accompagner dans une commune proche de Tizi ; il y a là – me dit-elle — une dame qui fait des miracles. Pourquoi pas, lui dis-je ? L'amie en question était sûre d'elle. Le frère de l'amie de la cousine est sorti, de chez cette dame, droit comme un « i ». J'ai rigolé un bon coup. Je l'ai accompagnée jusque chez la « spécialiste ». Nous avons fait la chaîne. Une secrétaire « médicale » appelait les patients. Mon amie rentre chez la bonne dame ; elle en ressort au bout d'une vingtaine de minutes. Elle avait la banane, la bougre ! Elle était rayonnante. Que s'est-il donc passé dans l'antre de la rebouteuse ? « Alors», lui dis-je ? « Je ne ressens absolument rien ; je marchais comme un crabe, tout à l'heure ; regarde-moi maintenant, je retrouve ma forme de mes vingt ans. » « Mais qu'a-t-elle fait pour réussir ce miracle ? » « Elle m'a demandé de lui indiquer la partie douloureuse ; puis, elle a craché dessus ; et, elle s'est mise à masser vigoureusement ; elle a répété l'opération plusieurs fois. » « C'est tout ? » « Je reviendrai la voir ; il me faut plusieurs séances. » Bien sûr qu'elle a casqué, et le prix fort ! Ah, j'ai oublié de vous dire que cette diplomate venait de rentrer de poste d'un illustre pays d'Europe du Nord. À vous de voir, maintenant ! Perso, je fais partie de la famille des migraineux. Je suis un migraineux permanent, comme le disait un de mes amis exilés malheureusement au Canada depuis la préhistoire. Dans une affaire comme ça, on fait le tour des spécialistes, jusqu'au jour où j'ai compris que je vivrai avec la migraine toute ma vie, j'ai laissé tomber les salles d'attente des hôpitaux. J'ai compris qu'il me fallait la domestiquer, autant que faire se peut. Un jour que je me plaignais de ces céphalées terribles, une tête éclairée me proposa de m'indiquer un vieux monsieur, du village à côté, qui « coupe » la migraine. Ça donne quelque chose ? Bien sûr, ça donne un résultat garanti. Je connais « flen » qui est passé chez lui, il n'a jamais plus avalé un comprimé de paracétamol. Curieux, j'ai eu la bonne idée de lui demander comment opérait ce vénérable vieillard pour « couper » la migraine. C'est simple, il te mord au front. Quoi, me mordre au front ? Pour de vrai ? Bien sûr, il te mordra jusqu'à te laisser une marque. Qu'a-t-il comme produit divin dans ses dents ? On dit qu'il aurait mangé la viande de chacal ; de ce fait, il a acquis ce don de guérisseur. Vous comprendrez que j'ai préféré vivre avec ma migraine, depuis toujours, comme avec une vieille compagne ; comme un vieux couple, en somme ! La canicule fait fort d'assommer les têtes les plus retorses. Mais le charlatanisme, lui, ne cessera jamais de profiter de notre naïveté. De notre désespoir, à dire vrai. Une télévision privée, made in bladi, invite une dame « masquée » sur son plateau ; elle aurait un remède miracle pour terrasser le Covid-19. Rien que ça ? Ce n'est pas grand-chose dans le pays où des nuages proclament, haut dans le ciel, le nom du Divin. Nous connaissons tous la suite ! Revenons à la future prix Nobel de médecine ! Elle sort de son « âbboune » de la « chemma », pas n'importe laquelle, ya djemaâ. De la « retba », ya dini ! Pour les profanes en matière de chique, il y en a deux sortes : la chique « retba » et la chique « harcha ». Et alors ? C'est simple, il faut sniffer la « chemma » et le corona n'a qu'à bien se tenir. Les journalistes télé se sont donnés à fond ; c'est bien, faites la promo du charlatanisme, il en restera toujours quelque chose ! Attendez, ce n'est pas tout. Un gus sur la toile, filmé par je ne sais qui, fait lui aussi la promo de sa trouvaille. Cette année, on aura deux prix Nobel de médecine, ya dini. Donc ce gus, trouvé je ne sais où, propose de guérir le Covid-19 à l'aide d'un oignon. Oui, j'ai bien dit : « besla ». Il suffit de couper en deux la « pauvre chérie de besla », l'exposer une nuit at home, tous les virus seront absorbés par l'oignon. Au fait, il coûte combien au marché ce légume ? On vient de me dire que l'oignon est le roi des légumes ; grâce à cet hurluberlu, il est plus que cela, désormais. Adieu l'étalon or, voici l'étalon oignon ! Fort Knox, tenez-vous bien ! Je demande pardon à tous nos médecins de m'être étalé sur ce qui préfigure l'inconscient collectif algérien de demain. Je leur demande pardon pour toutes les années de dur labeur à l'université d'ici et d'ailleurs. Mais je voudrais leur dire, ils le savent déjà, que nous ne sommes pas près de sortir de l'auberge. Une auberge bien algérienne, celle-là. Je ne suis pas en colère, je suis juste malheureux de devoir vivre, à mon corps défendant, ce genre de conneries. On est dans la mouise jusqu'au cou, il se trouve des gus qui viennent remettre une couche de m... sur notre désespoir. Ca suffit, par pitié ! Je laisse Mohamed Sehaba clore cet espace de parole, qui veut que la canicule, le corona et le charlatanisme ne font pas bon ménage : « Bientôt ce pays sera déchiré tel un billet de monnaie/Ruines en feu de cris d'effraies/Et mains fondues au ciel indifférent/Partout la pierre portera la marque du loup/Et tout nous sera éloigné/Comme infiniment nos morts derrière la nuit. » Y. M.