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L'«anaya» ou la protection sacrée
Chroniques d'une famille de Djouad de la Soummam
Publié dans Le Soir d'Algérie le 27 - 10 - 2020


Par Mahmoud Ourabah
L'«anaya», concept ou valeur très importants chez les Kabyles, comme noté dans la Présentation générale de ces chroniques, joue un rôle actif dans le comportement des acteurs tout au long de ces chroniques.
Effectivement, le respect de cette valeur sacrée chez les Kabyles a incité fortement cheikh Ameziane ou Rabah à tendre un traquenard mortel au commandant de secteur de Bougie, Salomon de Musis, le 4 août 1836. Sa culture de chef traditionnel ne pouvait laisser sans réparation et vengeance la non-reconnaissance de l'«anaya» qu'il s'était engagé à donner pour protéger un saint m'rabet. Sa «anaya» fut, disait-on, «cassée».
Un article de Felix Mornand, directeur de la Revue de Paris, intitulé d'ailleurs «Le Naya», daté de 1843, raconte toute la stupeur devant la gravité de la découverte par les militaires français de la forteresse de Béjaïa du cadavre de ce malheureux saint m'rabet, et surtout l'importance politique du meurtre de ce «marabout», le «naya» (le protégé) du cheikh Saad (Saad, c'est-à-dire le plus puissant) de la vallée du Messaoud (la Soummam), à ce moment-là Ameziane ou Rabah. Cet article de Felix Mornand daté de 1843 a sans doute été une source pour les autres officiers historiens Féraud, Lapène, Dauamas Faber...
Il donne toute la symbolique de cette protection ou de ce «naya» dans la civilisation kabyle. Dans cet article fort détaillé, Felix Mornand revient sur le rôle de cette famille qui donnait des chefs à la tribu des Ath Djebar, une confédération de 20 tribus de l'intérieur, rive droite de la Soummam, en particulier sur le cheikh Saad Oulid ou Rabah, le principal défenseur le 23 septembre 1833 de Bougie face à l'armada de Trézel ; Saad, qui signait ses courriers «Prince de la Rivière». Saad ou Rabah étant parmi les tribus de la Soummam venues au secours de Bougie (tous ses habitants fuyant notamment vers les monts Toudja). C'était militairement le plus puissant chef de tribu de la Soummam, fort de sa cavalerie la plus nombreuse. F. Mornand dans cet article, une somme de toute l'histoire de la bataille de Bougie de septembre 1833, suivie durant plusieurs décennies par des assauts contre ce «blockhaus» en cours de fortification par l'artillerie de Trézel, chef des armées d'Afrique, raconte clairement aussi la position du colonel Duvivier, commandant militaire laissé par Trézel après la bataille de Bougie, farouche adversaire et opposant de Saad Oulid ou Rabah. Duvivier entendait dans une politique de «diviser pour régner» essayer de s'entendre avec les tribus immédiatement limitrophes de Bougie et tentait de disqualifier Saad en affirmant sa «non-représentativité» réelle sur toutes les tribus des deux rives de la Soummam. Duvivier a tout fait pour saborder des négociations entre Lowasi, un intendant civil qui continuait à vouloir négocier avec Saad ou Rabah un traité du 9 avril 1835 ; lequel traité fut d'ailleurs signé avec le Gouverneur d'Alger, le comte d' Elron, mais non agréé et vite tombé en désuétude. Néanmoins, Duvivier a dû démissionner puisqu'on n'a pas voulu suivre sa politique d'opposition farouche à Saad Oulid ou Rabah, le «Prince de la rivière».
Une des trames de ce livre d'histoire Vingt-six mois à Bougie du lieutenant-colonel Edouard Lapène (1849), le successeur du commandement militaire de la place forte de Bougie, le malheureux Salomon de Musis, tourne autour de l'«anaya». Que Lapène, emporté sans doute par son fort ressentiment, qualifie l'«anaya», dans son livre (il écrit le «naya») «de mœurs barbares». Se référant à ses propres valeurs, Lapène accuse par contre Ameziane ou Rabah de manquement «au code de l'honneur militaire».
Lapène est pourtant le seul parmi les conquérants à dévaloriser l'«anaya», la qualifiant de «mœurs barbares». C'est au contraire de l'opinion de Lapène et plein d'admiration que le général Daumas parle de cette valeur kabyle dans son ouvrage en collaboration avec Fabrar, Une histoire de la Gande Kabylie. Il écrit que si les Kabyles supportent difficilement l'absolutisme, «ils ont pourtant un sultan : l'«anaya».
Mais le cheikh Ameziane a été fortement blessé dans son propre honneur de djouad et chef de la confédération des Ouled Abdeldjebar, ou Ath Djebar, par ce fait de la mitraille française de l'enceinte de Bougie, tuant son protégé Si Brahim parce que ses soldats derrière les murs de leur fortin n'ont pas respecté sa «anaya». Ce qui revenait à ne pas reconnaître son pouvoir, précisément sa baraka, le tournant ainsi en dérision auprès de ses pairs, les autres chefs de tribu, ses concurrents. Comme si cette soldatesque de l'enceinte de Bougie, bien étrangère au pays, pouvait à cette époque, en pleine guerre de conquête, connaître ce code de l'honneur propre aux Kabyles.
Mais en se référant toujours à ces «Chroniques», l'«anaya» de Cheikh Ameziane Ou Rabah aura été, par contre, bien respectée par les Kabyles lorsqu'ils voulurent se saisir de l'Emir Abdelkader en 1839, dans l'engorgement de Oued Amacine (proche de Oued Amizour). L'Emir eut ainsi la vie sauve grâce à l'«anaya» d'Ameziane ; «anaya» qui l'accompagna jusqu'à sa sortie de la Kabylie à Hamza (Bouira).
Cette protection d'Abdelkader s'imposait d'autant plus au cheikh Ameziane que l'Emir voyageait en Basse Kabylie «en pèlerin», comme il prenait la précaution de le déclarer lui-même. Il visitait en 1839 dans cette région de la Basse Kabylie, où il était attiré par ces tribus de Bougie qui continuaient à se battre contre les envahisseurs coloniaux, contrairement à ce qu'il pouvait constater dans la plupart des autres endroits du pays. Au-delà de sa mission qui était de tenter de «fédérer» derrière lui toutes les tribus du pays, Abdelkader prit, en effet, beaucoup de temps dans ce voyage en Basse Kabylie de 1839, «en pèlerin», pour admirer les différents paysages de la Soummam.
Comme noté dans notre «Présentation» de ces chroniques, on pourra retrouver bien plus tard trace de cet héritage d'«anaya», lorsque des villageois, pour protéger leur «harma» (dignité et protection des femmes de la famille), mise à mal par des malfaiteurs, firent appel à leur ancien député Abdelmadjid Ourabah, durant l'hiver 1955/56, le mettant en demeure de les protéger, de protéger leur «harma», au nom d'anciens liens d'obligations réciproques remontant à bien avant la période turque. Au nom donc de l'«ayana».
L'«anaya» est défini dans ses différentes facettes dans leur ouvrage classique, de référence, sur les coutumes kabyles par Hanoteau et Letourneux. Ces derniers ayant fait ce travail d'anthropologie sur les mœurs de la Kabylie en faisant appel à la mémoire de savants (de connaisseurs, ou imoussnawen en kabyle) et à des enquêtes menées par ces deux sociologues eux-mêmes dans de nombreux villages.
«L'''anaya'', dans sa forme habituelle, est la protection accordée à une ou plusieurs personnes par un particulier, un ‘‘çof'', un village, une tribu.» Selon les chercheurs Hanoteau et Letourneux, le mot «anaya» viendrait de l'arabe «âanaya», du verbe «ânaa», avoir à cœur et, par extension, «protéger». Claude Bourdieu, dans son Esquisse d'une théorie de la pratique, précédée d'études d'ethnologie kabyle, note l'importance de la «naya» dans des «guerres entre tribus», dans les arbitrages et la protection par des médiateurs de faire cesser les combats, par le respect quasi sacré de la parole donnée, le «naya» des médiateurs.
De nos jours, il ne reste de ce concept de «anaya» que la forme la plus simple, la protection d'un enfant ayant commis une «bêtise» poursuivi par son père pour le «corriger» ; généralement, c'est la plus ancienne dame du foyer qui s'interpose en invoquant l'«anaya». Ou, autre exemple, qui ne se souvient des contes que l'on nous racontait lorsque nous étions enfants, où cette «anaya» est invoquée, par l'exemple qui nous impressionnait, une personne menacée qui court pour s'allaiter du sein d'une ogresse (une femme ayant un pouvoir magique), ce geste volé lui assurant automatiquement l'«anaya», la protection.
Mais du temps de ces petites républiques kabyles, les «Fougueuses républiques fédératives de tribus», selon l'expression de Lapène dans son livre Vingt-Six mois à Bougie 1849, l'«anaya» constitue un véritable corpus de droits de l'individu. Individu plutôt en situation de fragilité, à l'instar d'un pèlerin loin de chez lui ou d'un enfant face à un adulte courroucé. Ce concept s'apparente à ce qu'on nomme depuis les Romains le «droit des gens», et plus tard «droits de l'homme» avec la Déclaration universelle de 1789 et, de nos jours, de «droits humains», concept kabyle qui se focalise et prend en considération l'homme individuellement, la personne humaine. C'était d'abord un devoir sacré pour les villageois de protéger le voyageur en lui assurant sécurité, surtout que les tribus n'avaient pas de service public de police.
Les autres «services publiques» de ces républiques étaient, en fait, organisés aussi sous une forme autogérée, ou de gestion directe. Ce qui attira fortement l'attention des deux chercheurs Hanoteau et Letourneur, sur cet aspect moderne et organisé de ces petites républiques, se passant des lourdeurs d'une administration. De quoi faire rêver de nos jours avec nos Etats, leurs administrations empêtrées dans leurs actions par des bureaucraties étouffantes.
M. O.


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