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INTERVIEW DE RACHID AOUS :
�L�identit� culturelle maghr�bine : une dialectique en lien avec le d�clin de la civilisation arabo-musulmane�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 02 - 2011

Le Soir d'Alg�rie : Votre livre ambitionne de montrer les sources du sous-d�veloppement en terres d�Islam. Y a-t-il un rapport entre sous-d�veloppement et Islam ?
Rachid Aous : D'abord, notons que le mot sous-d�veloppement est une terminologie contemporaine dans laquelle se loge aussi un sens de d�clin ou de d�cadence. Dans mon essai, il est employ� essentiellement pour d�montrer le lien, historiquement �tabli, entre le sous-d�veloppement actuel du monde musulman et le d�clin de la civilisation arabo-musulmane examin� dans la longue dur�e.
En effet, depuis mille ans, les soci�t�s musulmanes connaissent une d�vitalisation constante qui a entra�n� l'�tat de colonisabilit�, de colonisation, de sous-d�veloppement, pass� et pr�sent. Il suffit de consid�rer le bas niveau qualitatif et quantitatif des activit�s humaines en terres d'Islam, dans tous les secteurs, pour �tre convaincu du grave d�litement soci�tal des pays musulmans, � l'exception de la Turquie. Ce constat implique un lien structurel incontestable entre l�id�ologie islamique formatant �l'�tre culturel musulman � et les conditions de mal-vie et de grande mis�re psychologique et mat�rielle que subit la majorit� �crasante des musulmans. Nier cette r�alit� c'est, � coup s�r, se condamner � perp�tuer l'ordre politico-culturel responsable du d�clin du monde musulman. La responsabilit� de ce d�clin a �t� imput�e � l�id�ologie obscurantiste islamique l�gitim�e par tous les pouvoirs politiques, bien avant moi, par d��minents penseurs musulmans, d�Ibn Rochd � tous les animateurs de la Nahdha, sans omettre Ibn Khaldoun.
Vous laissez sous-entendre que les Berb�ro-musulmans ��masculent � leur pens�e dans l'espace public. Qu'est-ce que cela signifie ?
�masculer sa pens�e signifie ne pas verbaliser clairement ses id�es, souvent par manque de courage intellectuel. J'ai us� du concept �berb�ro-musulman � pour souligner la dimension ethnico-culturelle qui, d�une part, se distingue peu en mati�re de pr�jug�s et des conformismes religieux caract�risant l'espace culturel arabo-musulman et, d�autre part, pour soulever le probl�me crucial de l�identit� nationale alg�rienne, dont les crit�res me paraissent devoir �tre r�vis�s en vue de n�exclure, constitutionnellement, aucun Alg�rien qui refuse que leur identit� ait un lien r�glementaire avec la langue arabe et l�Islam. Sur les dangers de ce lien, je renvoie � la lecture du chapitre V de mon essai. En outre, m'appuyant sur des r�alit�s culturelles et politiques sp�cifiques maghr�bines (corpus po�tique, musique, statut des femmes artistes, arabisation id�ologique d�sastreuse�) pour rendre compr�hensible � un plus large public les causes et les cons�quences du d�clin du monde musulman, cette culture maghr�bine a �t� retenue comme paradigme d'analyse acad�mique, transposable mutatis mutandis au monde arabo-musulman en particulier. Ce concept englobe donc les lettr�s et intellectuels berb�ro-arabo-musulmans et les autres musulmans, c'est-�-dire celles et ceux qui, ayant int�rioris� le terrorisme soci�tal et politique islamique, recourent � une verbalisation soporifique et inconsistante, lorsque les probl�mes abord�s ont trait � des sujets br�lants. C�est cette mani�re de s�exprimer, oralement et par l��crit, que vise l�expression ��masculer sa pens�e�. Celle-ci �tant contreproductive et surtout n�gative du point de vue de la formation d�une conscience �clair�e, il m�est apparu p�dagogiquement utile de d�montrer ses effets pervers. Ce propos peut �tre significativement illustr� par deux aphorismes exprimant ma d�marche politico-philosophique. Le premier est d'Albert Camus et le second du philosophe allemand Th�odor Adorno. Albert Camus a dit : �C'est ajouter au malheur du monde que de ne pas nommer clairement les faits.� Et Adorno a �crit : �La plus vraie et la meilleure part d'un peuple est sans doute ce qui ne se laisse pas int�grer au sujet collectif, et si possible lui r�sister.�
Sur quoi vous fondez-vous pour d�l�gitimer le discours islamique ? Le d�clin de la civilisation arabo-musulmane semble �vident pour vous. Quelles en sont, en substance, les caract�ristiques et les origines ?
Sur la n�cessit� vitale de d�l�gitimer le discours islamique qui a fa�onn� et fa�onne encore les mentalit�s dominantes en terres d'Islam, mes recherches poursuivies depuis une trentaine d'ann�es ont abouti � la d�monstration que c'est bien le monolithisme id�ologique islamique, instrumentalis� par tous les pouvoirs politiques, qui est la cause premi�re du d�clin de la civilisation arabo-musulmane. Telle est l�essence de ma th�se d�velopp�e en 488 pages. Mais votre double question soul�ve aussi la probl�matique du comparatisme historique, m�thodologie dialectique incontournable pour mieux r�v�ler les principales failles des diagnostics, pos�s depuis le XIIe si�cle, sur les causes du d�clin de la civilisation arabo-musulmane. En effet, on ne peut comprendre les causes premi�res de ce d�clin si, au pr�alable, on n'a pas rigoureusement compris quels ont �t� les facteurs essentiels ayant pr�sid� � l'�mergence de la civilisation arabo-musulmane. C'est dans cette dialectique fondamentale que le comparatisme historique acquiert pleinement sa puissance de d�monstration p�dagogique. Par exemple, il est fort instructif de d�montrer que le monde musulman vit depuis plus de dix si�cles ce que le monde europ�o-chr�tien a connu avant lui, � l�identique, durant plus de mille ans, sous l�ordre moral dogmatique catholique, apostolique et romain. Parmi les enseignements r�v�l�s par cette comparaison, on notera que les progr�s durables en Europe, dans les arts, en sciences et en mati�re d��galit� des droits humains sont consubstantiels � l�enracinement de la raison scientifique et critique. Mais, surtout, cette raison critique scientifique et cr�atrice ne put se d�velopper que, hors de la cl�ture �pist�mologique du Moyen-�ge, c�est-�-dire uniquement quand des penseurs os�rent se lib�rer du r�f�rent divin pour analyser l�infinit� du cosmos et la complexit� du monde. Elle n�aurait pu s��panouir sans un amoindrissement cons�quent de l�influence sur les mentalit�s et sur les pouvoirs politiques du dogmatisme obscurantiste catholique. Le monde musulman, tout en jetant aux oubliettes de l'Histoire le racisme, le scientisme et l�essentialisme de l�Europe orgueilleuse et colonisatrice, doit retenir de cette exp�rience europ�enne ce qui en a fait le succ�s, � savoir son capital d�esprit critique scientifique qu�elle a su faire fructifier et son syst�me d�organisation politique dont la caract�ristique majeure, depuis la fin du XVIIIe si�cle, est d��tre capable de r�sister � l�influence de tout dogmatisme religieux. Ce monde gagnerait aussi � comprendre d'o� vient que la Chine a su lib�rer son imagination cr�atrice lui permettant aujourd'hui d'�tre une force �conomique et politique qu'aucune puissance, f�t-elle l'hyper- puissance am�ricaine, ne peut d�daigner. Il r�alisera alors que la premi�re r�volution culturelle contemporaine chinoise du 4 mai 1919 s'op�re en rupture radicale avec la tradition ancestrale confuc�enne. Cette rupture fut f�conde en mati�re de transformation des mentalit�s, base de l'am�lioration des conditions de vie mat�rielle et culturelle de centaines de millions de Chinois. Autrement dit, les progr�s durables, en Chine comme en Europe, ne furent possibles qu'une fois r�alis�es les ruptures id�ologiques fondamentales avec l'ordre f�odal et religieux ancien.
Vous affirmez que le corpus de l'Islam n'a aucune possibilit� d'ouverture, voire d'amendement. Pourquoi ce qui a �t� possible pour le christianisme en Occident ne l'est pas pour l'Islam, pas plus que pour le juda�sme ?
En premier lieu, soulignons qu�il existe dans chacun des textes fondateurs des trois monoth�ismes des id�es d�intol�rance et d�enfermement culturel ethnocentrique, et chacune de ces religions a d�cr�t� d�tenir l�absolue v�rit�. Cela pr�cis�, on peut affirmer, du point de vue de l�analyse historique comparative reposant sur des facteurs similaires dans leurs effets structurants de longue dur�e, seules les exp�riences en chr�tient� et en terres d�Islam r�pondent � ce double crit�re de comparaison (la p�riode consid�r�e ici est de plus de dix si�cles d�influence religieuse appuy�e par des pouvoirs s�culiers usant de la violence dite l�gitime). Les corpus islamiques participent de fa�on d�terminante au fa�onnage des mentalit�s conservatrices de la plupart des musulmans (nes). Ils sont exclusivement �labor�s sous le carcan normatif du Qoran incr��. Avec al- Muttawakkil, calife abbasside, le dogme du Qoran incr�� a �t� institu� en 852 : il stipule que les versets du Qoran sont la parole litt�rale de Dieu. Puisqu�il en est ainsi, Dieu ne pouvant se tromper, sa Parole s�impose m�me pour les versets dont la litt�ralit� consacre des rapports in�galitaires et dont certains, pour ne prendre que trois exemples, l�gitiment la violence contre les femmes (Sourate IV, verset 34 et nos analyses pp. 209 � 225), des sanctions barbares qui r�vulsent les consciences humanistes (Sourate V, versets 33 ; 38 et nos analyses pp.225 � 228) et les nombreux anath�mes, autres sources de violence et d�intol�rance, contre les incr�dules, les libres-penseurs, les hypocrites, etc. Le probl�me central en Islam est que, depuis l�instauration de ce dogme, les ex�g�ses des versets coraniques ont syst�matiquement l�gitim� les principes in�galitaires, consacr�s en droit. Cette r�alit� inacceptable ne peut �tre positivement transform�e sans remettre en cause le dogme du Qoran incr��. Mon essai expose en d�tail la n�cessit� vitale de rupture radicale avec ce dogmatisme (voir pp. 154-162). Concernant le dogmatisme chr�tien, il s�est impos� au IVe si�cle par la volont� des empereurs romains, Constantin et Th�odose notamment, mais l�influence de ce dogmatisme en Europe n�a cess� de d�cliner, � partir du XVIe si�cle et, plus significativement, depuis le XVIIIe, gr�ce aux effets lib�rateurs des Lumi�res. C�est ce processus, � la fois politique, historique et culturel caract�risant l�Occident �chr�tien�, qui repr�sente la grande diff�rence avec le monde musulman. Mon essai s�attache � en expliciter les principaux aspects. Cependant, je dis : attention aux analyses simplistes et aux comparatismes fallacieux ! Par exemple, l'affirmation �l'Islam ignore les �glises� recouvre l'id�e selon laquelle la chr�tient�, parce que repr�sent�e par un centre de pouvoir, la papaut�, est mieux � m�me d'impulser des r�formes tant � l'int�rieur de l'�glise que soci�tales, par comparaison � l'Islam qui, faute d'un centre �quivalent, est impuissant � lancer des r�formes de m�me nature. Cette affirmation, sugg�rant aussi un pouvoir unique en chr�tient�, est inexacte et, de plus, il est �galement faux d�induire que c'est l'absence d'un tel pouvoir en terres d'Islam qui a emp�ch� des r�formes structurelles ; d'autant que de cette cat�gorie d�analyse �manent des id�es essentialistes dangereuses, instrumentalis�es par des forces islamophobes et anti-arabes pour affirmer une sup�riorit� ontologique de la chr�tient� sur l'Islam. Or, se limitant au dogmatisme catholique et apostolique romain, on constate qu'il s'est impos� presque ne varietur durant 1400 ans environ et, surtout, les r�formes entreprises en Europe ne le furent que sous la contrainte de forces ext�rieures � cette �glise. C'est donc attribuer � cette �glise et � son syst�me de pouvoir des m�rites qui ne lui sont pas dus.
Depuis quelques ann�es, on assiste � une floraison d'�tudes islamiques. Certaines d'entre elles �taient consid�r�es par Mohammed Arkoun comme de la mytho-id�ologie. Que pensez-vous de cette cat�gorie et plus g�n�ralement de la multiplication des approches de l'Islam ?
En pr�ambule, je voudrais rendre un hommage post-mortem � Mohammed Arkoun, en empruntant aux sages musulmans une belle expression dont ils usent souvent : �Allah ya rahmou bi-f�aylou (Que Dieu lui accorde Sa Mis�ricorde � la mesure de ses actes)�. Etant l�objet de s�v�res critiques sur ses postures publiques, je lui dois cet hommage d�autant que mon admiration pour son �uvre est clairement verbalis�e dans mon essai, en d�pit de divergences d�analyses qui s�y trouvent expos�es. Sur le qualificatif �mytho-id�ologie� caract�risant la floraison d��tudes islamiques, je partage son jugement. J�ajoute que les �crits et discours de la plupart des nouveaux penseurs islamiques chevauchent encore les fausses esp�rances r�formistes qui n�ont jamais pu �tre entreprises par la quasi totalit� des pays d�Islam, principalement en raison des mauvais diagnostics pos�s sur les causes du d�clin de la civilisation arabo musulmane. Selon mon diagnostic, les voies r�formistes souhaitables ne peuvent �tre s�rieusement envisag�es sans avoir au pr�alable engag� un combat frontal des id�es contre ces fondamentaux structurant le dogmatisme obscurantiste islamique et contre son corollaire id�ologique profane (par exemple la sacralisation de la langue arabe litt�raire) qui renforce cet obscurantisme.
Le rapport entre Islam et politique est une autre �vidence nich�e dans le texte coranique qui contient de quoi g�rer les affaires de la cit�. La s�paration du politique et de l'Islam vous para�t-elle possible au regard de l'esprit et de la lettre du texte religieux ?
L�Islam traditionniste qui s�est impos� depuis le d�c�s du Proph�te Mohammed est la seule r�alit� doctrinale que nous connaissons. Toutes les autres interpr�tations visant � d�montrer, en vain, qu�il existerait un autre Islam dit ��clair� s'�garent en d�bats st�riles. Reste n�anmoins que des centaines de millions de musulmanes et musulmans vivent et pratiquent leur foi avec ferveur, dans la tol�rance et la paix sociale. Mais cette r�alit� importante qui caract�rise aussi le monde musulman rel�ve d�une cat�gorie d�analyse qui ne peut ni ne doit �tre confondue avec le champ s�mantique dans lequel s�ordonne l�ordre moral islamique traditionniste, voire obscurantiste, et qui puise sa l�gitimit� dans la seule r�alit� doctrinale musulmane que nous connaissons. C�est pourquoi la modernisation des mentalit�s suppose une d�construction radicale des st�r�otypes ali�nant la raison critique cr�atrice en terres d'Islam. Cette d�construction doit donc s'astreindre � une r�futation syst�matique des fondamentaux doctrinaux de l'Islam et de ses discours apolog�tiques qui renforcent les relations in�galitaires entre les sexes, l�esprit de superstition et l�enfermement culturel ethnocentrique. Cette d�construction est �galement n�cessaire � la transformation des rapports de domination nationale et internationale. Car, concernant la domination imp�rialiste, on conna�t mieux d�sormais ses cons�quences d�sastreuses sur les conditions de vie de plus d'un milliard d��tres humains, cons�quences directement issues de son syst�me �conomique et financier pr�dateur (voir pp. 109-113, en particulier la note 14). Lib�rer cette raison cr�atrice exige en priorit� de vaincre le terrorisme religieux et politique qui empoisonne et d�vitalise les soci�t�s musulmanes. C'est une bataille id�ologique sans concession qu'il faut mener, dans tous les domaines, pour convaincre le plus grand nombre possible de citoyens (nes) de cette n�cessit� de rompre avec le dogmatisme islamique pour mieux rompre tout aussi radicalement avec les syst�mes politiques tyranniques et corrompus.
L'Alg�rie, votre pays, dont vous semblez bien conna�tre l�histoire, a �t� en quelque sorte un laboratoire dans l'av�nement d'un islamisme violent et conqu�rant. A vos yeux, y-a-t-il dans l'histoire de ce pays des �l�ments qui le pr�destinaient � cette fonction ?
Pour moi, l�intol�rance doctrinale islamique impr�gne profond�ment la soci�t� alg�rienne, � l�instar de n�importe quelle autre soci�t� qui subirait de fa�on d�terminante une pens�e monolithique religieuse. A ce substrat culturel et religieux, semblable � la plupart des autres pays arabo-musulmans notamment, trois facteurs nouveaux sont venus aggraver la densit� de la violence en Alg�rie : 1- l�arabisation-islamisation id�ologique et criminog�ne de l��cole alg�rienne ; 2- la fermeture du champ politique � une alternative d�mocratique pacifique ; 3- la corruption syst�matis�e et son corollaire la mauvaise gouvernance. Cette br�ve r�ponse me para�t suffire � r�sumer ma conviction �tay�e sur les causes ayant entra�n� les violences extr�mes et la cruelle r�gression que notre nation a connue durant la r�cente d�cennie noire. Enfin, j�ajouterai un autre facteur majeur �l�instrumentalisation de l�histoire de notre mouvement de lib�ration nationale�, instrumentalisation longuement d�crypt�e et explicit�e dans mon essai (chapitre IX).
Propos recueillis par Meriem Nour et Bachir Agour
SIGNET
Reflexion
Rachid Aous a pass� une trentaine d�ann�es de sa vie � �crire et publi� un livre, un seul : Aux origines du d�clin de la civilisation arabomusulmane. Il a cr�� les �ditions D�r al-�Uns � Paris pour ce livre et, par la suite, pour d�autres. Un livre foisonnant, �rudit, dense o� les genres se m�langent pour fonder une parole � la fois r�flexive, analytique et m�me euphorique. Un volcan qui, dans son �ruption, fait jaillir les joyaux des tr�fonds de la terre et tout ce qui la constitue. On voit bien que le th�me du d�clin de la civilisation arabo-musulmane habite Rachid Aous. Ce n�est pas seulement un int�r�t intellectuel qui soutient cette r�flexion de fond mais une implication personnelle. Pour y arriver, Rachid Aous a d� travailler dur, relire les grands penseurs, trouver des passerelles entre les causes et les effets. �a donne un livre qui ressemble � l�auteur : volubile et passionnant !
B. A.
Banquier, philosophe et justicier
A deux pas de �la Mouffe�, quartier du 5e arrondissement de Paris populeux et commer�ant, et de la fac de lettres du vieux Censier, se niche rue des Patriarches un petit local tenant lieu de maison d'�dition. Rachid Aous, patron de la soci�t� Dar al-Uns �ditions, le partage avec un coll�gue �diteur lui aussi. Si ce n'�tait sa t�te chenue serr�e sous une casquette de coton du m�me blanc que ses cheveux, son look �tudiant l'assimilerait ais�ment � la population locale. Il faut dire que Rachid est un fort en th�me, volubile et amoureux des id�es, des mots avec lesquels il jongle habilement. Cette maison d'�dition, il en a toujours r�v� tout comme cet ouvrage consacr� au d�clin de la civilisation arabo-musulmane, dont il est l'auteur, et qu'il vient de publier. C'est un peu pour cela qu'il a cr�� cette soci�t� voil� 15 ans. Mais avant d'en arriver l�, que de chemins parcourus, tortueux, p�rilleux m�me ! Fils de commer�ants de Kol�a, Rachid na�t dans le quartier Tambourouf de la cit� reine du plateau du Sahel, le 11 f�vrier 1944. Son p�re est originaire d'Azazga, en Grande-Kabylie, et sa m�re, orpheline de p�re et de m�re, d'El-Kseur. Alors, dans la famille on parle kabyle, mais aussi arabe et fran�ais. C'est la langue fran�aise d'ailleurs qui est privil�gi�e, tout comme l'�ducation de fa�on g�n�rale avec ses r�f�rences aux valeurs fran�aises : �Ecole fran�aise, parlant fran�ais � la maison, s'habillant � la fran�aise en short et socquettes blanches, on �tait consid�r�s par certains comme des m'torni.... J'avais honte de m'habiller de cette fa�on parce que �a me distinguait du lumpenprol�tariat, puisque je faisais partie, moi aussi, des domin�s, des colonis�s.� D'autant que la grand-m�re paternelle, Chabha, �capable de tresser pendant des heures des po�mes dont chaque vers �tait un missile atomique �, a �t� la premi�re � imposer � ses petits-enfants cette �ducation � la fran�aise. Il faut dire que, menac�e de mort par sa propre famille qui voulait la remarier, elle s'�tait enfuie de nuit avec ses enfants, posant ainsi un acte de rupture avec son environnement. En d�pit de cette �ducation, on n'en est pas moins patriote chez les Aous, et la maison familiale sert de refuge aux maquisards. En 1956, Rachid fait la gr�ve des cartables, quittant d�finitivement l'�cole d�s la fin du primaire : �J'ai un souvenir fabuleux de l'�cole. Nous �tions une minorit� d'Alg�riens � suivre l'�cole fran�aise. Je n'ai jamais rencontr� le racisme durant ma scolarit�. Mon instituteur corse traitait tous ses �l�ves avec le m�me respect.� Il n'a que 14 ans, en 1958, lorsqu'� la suite d'un attentat auquel il n'�tait point li�, il est arr�t� et pass� � tabac. A sa m�re qui le r�clame, un militaire r�pond qu'il a �t� tu� : �Avec un sang froid stup�fiant, ma m�re a dit : ah bon, on l'a tu� ! C'est pas le premier, ce ne sera pas le dernier. Puis, elle est partie et on m'a rel�ch�. J'�tais tr�s admiratif.� Cependant, le p�re ne souhaite pas voir son fils prendre le maquis, il l'estime trop jeune. Quant � l'int�ress�, la question d'un ami fran�ais l'interpelle : �Si on te demandait de tuer mon p�re commissaire, est-ce que tu le ferais ?� Rachid ne montera pas au maquis, mais en 1961, il rejoindra l'OCFLN et sera en charge d'approvisionner, en �quipements divers et m�dicaments, des r�sistants de l' ALN. Son ouvrage cit� en r�f�rence s'ouvre sur une photo datant de la p�riode du cessez-le-feu. Rachid pose, encadr� par deux maquisards, un pistolet mitrailleur entre les mains : �Je frime, bien s�r, car je n'ai jamais tenu d'armes.� Si Rachid ouvre son livre par cette photo, c'est qu'y figure Si Messaoud, commissaire politique de la r�gion de Kol�a, Wilaya IV, pendant la guerre de lib�ration, et que, selon lui, son assassinat par des gendarmes en 1994 illustre son analyse de la relation �entre r�gimes politiques ill�gitimes, corruption et violence comme une des causes structurelles du d�clin de la civilisation arabo-musulmane �. En 1961, Rachid a 17 ans et tandis que rien ne le pr�dispose � une carri�re dans la banque, il profite d'une offre de formation pr�vue dans le cadre du Plan de Constantine : �L'id�e de ce plan �tait d'offrir des passerelles aux Alg�riens pour les d�tacher de la lutte arm�e.� Le voici donc, apr�s un an de formation, employ� � la Banque nationale pour le commerce et l'industrie alg�rienne, BNCIA. Affect� au service �tranger, on lui confie la responsabilit� des comptes en devises, puis celle du change. L'ann�e suivante, en septembre 1962, il cr�e avec Sa�d Benderra la premi�re section des employ�s de banque de l'UGTA ainsi que la f�d�ration dont il deviendra le secr�taire g�n�ral en 1966. Bien qu'il ne soit pas, pr�cise-t-il, dans une �d�marche carri�riste�, mais plut�t �militante�, il passe tr�s rapidement les �chelons et se retrouve chef du service �tranger de la Banque populaire commerciale et industrielle d'Alger, BPCIA, qu'il int�gre fin 1963. Il rejoint la premi�re banque nationale alg�rienne, BNA, d�s sa cr�ation en 1966. Deux ans plus tard, il cr�e et organise le Centre d'op�ration avec l'�tranger de la BNA, puis sera nomm� directeur de la tr�sorerie, des relations internationales et du contr�le des changes. Parall�lement � cette activit�, il entreprend l'assainissement des comptes de la BNA. Lorsqu'il �voque celle-ci, Rachid se r�f�re aux Incorruptibles � les vrais, ceux de la Prohibition aux �tats-Unis � : �J'ai recrut� une �quipe de type Eliot Ness. Elle travaillait 7 jours sur 7 et avait les pleins pouvoirs. Cette exp�rience et le conseil aux entreprises nationales en particulier, m'ont permis peu � peu de prendre conscience de notre incapacit� � peser sur le pouvoir pour d�fendre les int�r�ts du pays. Nos actions cherchant � enraciner les exigences de la bonne gestion rest�rent sans effet. Ils �taient les plus forts. Nous �tions des Don Quichotte.� Ce constat le d�termine � passer � l'action politique ouverte et il entreprend de constituer une �cagnotte� pour financer une opposition � Boumedi�ne. Cette cagnotte, c'est l'argent des placements bancaires dont il a la charge. Elle atteindra 2 millions de dollars. Profitant d'un conseil d'administration de l'Union m�diterran�enne de banque dont il est l'un des administrateurs, il quitte Alger pour Paris apr�s avoir proc�d� au transfert des fonds, en d�cembre 1978. Clandestinit�, faux papiers. Il s'inscrit sous le nom de Ren� Agostini en licence de langue et de civilisation arabe � l'Institut catholique de Paris : �J'avais refus� l'arabisation id�ologique de l'Alg�rie, parce que j'avais compris que le substrat culturel sur lequel se renfor�ait le pouvoir despotique de Boumedi�ne, et de fa�on g�n�rale tous les pouvoirs tyranniques arabes, c'�tait l'islam doctrinal dont la langue arabe litt�raire est un vecteur important de propagande.� Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que l'Alg�rie a lanc� contre lui un mandat d'arr�t et qu'Interpol le recherche. Il est arr�t� � Paris, et condamn� en France pour faux papiers, d�tournement de fonds. Il �cope de trois ans de prison ferme et 500 000 francs d'amende. Avec les remises de peine, il effectuera en r�alit� 25 mois et 16 jours. �En prison, je me suis mis � la disposition de mes compatriotes maghr�bins et, profitant de mon enfermement, j'ai relu tout Balzac et j'ai entrepris de lire toute l'�uvre d'Ibn Khaldoun ainsi que, crayon en main, l'Ancien Testament, les �vangiles et le Coran�. Une fois lib�r�, sa condamnation lui interdit le statut de r�fugi� : �D'autant plus que pendant mon proc�s, on a cherch� en vain � savoir o� �tait cet argent et qui en avait b�n�fici�. Le statut de r�fugi� politique ne m'a �t� reconnu qu'en 1991.� Il va travailler successivement comme conseiller dans l'immobilier, puis enseignant dans un centre universitaire am�ricain � Paris. Et toujours cette interrogation qui le talonne : l'origine du d�clin de la civilisation arabo-musulmane. C'est cette n�cessit� d'y r�pondre qui le m�ne � la cr�ation de sa maison d'�dition en 1995, persuad� que la lutte contre �le monolithisme id�ologique islamique � passe par la valorisation du patrimoine culturel sp�cifique maghr�bin, non r�ductible � la seule langue arabe et � l'islam. Passionn� depuis toujours de cha�bi, il devient ethnomusicologue et publie Les grands ma�tres alg�riens du cha�bi et du hawzi. Dans cet esprit d'ouverture, sa maison devient une r�f�rence en mati�re d'ouvrages relatifs � la tradition culturelle jud�o-arabe : �Elargir la conscience du plus grand nombre possible de Maghr�bins pour r�duire l'influence sur les mentalit�s de l'Islam doctrinal obscurantiste. Je ne publie que des ouvrages qui proc�dent de cette d�marche, directement ou indirectement. �


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