Par Kader Bakou Une discussion avec notre confrère Amine L. nous a fait découvrir Mourir pour des idées de Georges Brassens. Cette chanson a été écrite par le chanteur français en 1972, année où Amine n'était pas encore né. Le titre est un peu trompeur, car Georges Brassens s'attaque à ceux qui lancent des slogans du genre «mourons pour nos idées», mais qui, en réalité, envoient les autres (les jeunes) mourir à leur place. Brassens leur répond avec un brin d'ironie : «Mourir pour des idées, l'idée est excellente. Moi, j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eu. Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante, en hurlant à la mort me sont tombés dessus. Ils ont su me convaincre et ma muse insolente, abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi, avec un soupçon de réserve toutefois : Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente.» Dans le paragraphe suivant, il s'explique «Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure, allons vers l'autre monde en flânant en chemin. Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure pour des idées n'ayant plus cours le lendemain. Or, s'il est une chose amère, désolante en rendant l'âme à Dieu, c'est bien de constater qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée.» Ensuite, il attaque directement ces gourous et autres faux prophètes, beaux parleurs : «Les Saint Jean Bouche d'or qui prêchent le martyre, le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas. Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire, c'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas. Dans presque tous les camps, on en voit qui supplantent bientôt Mathusalem dans la longévité. J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté : «Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente.» En conclusion, il leur demande, avec le même humour noir, de laisser les gens tranquilles ou de mourir eux-mêmes pour leurs principes : «Les idées réclamant le fameux sacrifice, les sectes de tout poil en offrent des séquelles. Et la question se pose aux victimes novices. Mourir pour des idées, c'est bien beau, mais lesquelles ? Et comme toutes sont entre elles ressemblantes... Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau, le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau. Encore s'il suffisait de quelques hécatombes pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât. Depuis tant de «grands soirs» que tant de têtes tombent, au paradis sur terre on y serait déjà. Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes. Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez. Et c'est la mort, la mort toujours recommencée. O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres, mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas. Mais de grâce, morbleu laissez vivre les autres ! la vie est à peu près leur seul luxe ici bas. Car, enfin, la Camarde est assez vigilante. Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux. Plus de danse macabre autour des échafauds ! Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente.» K. B.