Par Ammar Belhimer [email protected] «Le Qatar est un Etat esclavagiste pour 1,4 million de travailleurs migrants.» Le jugement est sévère mais il semble d'autant plus pertinent qu'il émane de Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui a pris la parole lors de l'audience du Parlement européen le 14 février dernier. Le Qatar qui accueillera la Coupe du monde de 2022 est sévèrement jugé parce qu'il refuse l'abolition du système de kafala qui asservit les personnes venues travailler dans le pays. Dans ce système, la main-d'œuvre migrante est traitée «de façon inhumaine», martèle-t-elle encore, avant d'ajouter : «Le travail forcé et l'absence de droits pour les travailleurs demeurent à l'ordre du jour au Qatar. Aucun travailleur étranger ne pourra être protégé par quelque norme de protection». Selon le quotidien londonien The Guardian, au moins 44 ouvriers népalais seraient déjà morts sur les chantiers de la future Coupe du monde. «Les cadres qataris qui acceptent et maintiennent à dessein de telles conditions, se comportent en réalité comme s'ils se trouvaient au Moyen-Âge. En effet, les ouvriers, au fond, à l'instar des serfs d'autrefois, sont des sujets, au sens où ils n'ont aucun droit et que des devoirs», appuie le Huffington Post. Des syndicats, des groupes de défense des droits humains et l'Organisation internationale du travail (OIT) se sont succédé devant les parlementaires européens, ce même 14 février, pour réclamer une représentation correcte sur le lieu de travail et la liberté d'expression. La législation qatarie, rappelons-le, ne reconnaît pas aux travailleurs migrants le droit de former un syndicat ou d'y adhérer. A eux, s'est joint le témoignage poignant de Zahir Belounis, retenu au Qatar avec sa femme et ses jeunes enfants lorsque son club de football a refusé de signer son permis de quitter le territoire. L'OIT a réclamé «l'adoption d'une approche intégrée et complète, la nécessité de réformer le système de kafala et de prévoir la liberté syndicale et le droit de négocier collectivement». Le système de kafala soumet l'obtention du permis de séjour à un parrainage local et lie de fait les travailleurs à leurs employeurs dès lors qu'ils ne peuvent quitter le pays ou changer d'employeur sans l'autorisation de leur patron. L'OIT déplore par ailleurs que le Qatar n'ait pas accepté ses recommandations sur ces problèmes dans la nouvelle charte publiée pour les travailleurs qui construisent les stades et les terrains d'entraînement pour la Coupe du monde. «C'est déshonorer la Coupe du monde que de persister à l'organiser dans une nation qui asservit ses travailleuses et ses travailleurs», a déclaré Sharan Burrow. Celle-ci réclame une réforme législative et le respect des droits des travailleurs. «Les entreprises, les gouvernements et la FIFA ne doivent pas être complices de l'asservissement des travailleuses et des travailleurs dans ce pays et de la hausse du nombre de décès. En nous basant exclusivement sur le nombre de travailleurs népalais et indiens morts, nous estimons prudemment que plus de 4 000 personnes trouveront la mort d'ici le premier coup de sifflet en 2022.» L'audience est une étape importante pour le Parlement européen qui peut demander des comptes aux entreprises européennes qui répondent aux appels d'offres pour la construction des infrastructures de plusieurs millions de dollars au Qatar. Sous la pression internationale, l'émirat semble vouloir donner bonne impression, mais cela ne convainc pas les organisations syndicales. «La promesse des autorités d'accorder la liberté de mouvement aux travailleurs n'est qu'un simulacre, d'autant que le Qatar pratique la ségrégation des travailleurs sur une base raciale.» A la place d'un contre-pouvoir syndical, il a été institué un système d'autocontrôle, jugé «caduque et discrédité qui a échoué par le passé au Bangladesh et dans d'autres pays où des milliers de travailleurs ont perdu la vie.» Ce système repose sur la Charte du Comité suprême relative au bien-être des travailleurs qui prévoit le recours à des travailleurs analphabètes pour qui l'empreinte du pouce apposée au bas d'un document fait office de signature ; un travailleur social pour 3 500 employés, qui pourra consacrer en tout et pour tout 41 secondes par semaine à chaque travailleur ; l'ouverture d'une hotline pour le traitement des plaintes de travailleurs sans toutefois préciser qui répondra aux appels ou quelle sera la procédure de traitement des griefs. La hotline actuelle a été un fiasco total ; que des camps de travailleurs d'une superficie approximative de 8 millions de mètres carrés soient nécessaires pour loger les 500 000 ouvriers supplémentaires dont le Qatar aura besoin pour construire l'infrastructure de la Coupe du monde ; un système d'enregistrement et d'autopsie en cas de décès de travailleurs. «Cette charte est un simulacre pour les travailleurs. Elle promet la santé et la sécurité mais ne prévoit aucun mécanisme d'application crédible. Elle promet des normes en matière d'emploi mais n'accorde pas aux travailleurs migrants le droit de former un syndicat ou d'y adhérer. Elle promet l'égalité mais ne prévoit aucune garantie de salaire minimum», a dit Sharan Burrow. «Le Qatar a annoncé ces mesures en réaction à la pression publique mais ne fait rien pour atténuer la pression qui pèse sur les travailleurs. Des mesures similaires annoncées par la Qatar Foundation il y a près d'un an sont restées sans effet. Le taux de mortalité des travailleurs au Qatar a augmenté. Le Qatar doit changer ses lois, il n'y a pas d'alternative», a dit Sharan Burrow qui ne paraît pas au bout de ses peines dans sa guerre sainte contre un régime autoritaire, néo-patrimonial et oligarchique